La politesse, obsolète ou atemporelle ?
Si nous sommes tous capables de politesse, il semble plus difficile de la définir et de la délimiter tant elle peut évoluer avec les us et coutumes, les pays, les traditions. Dans le dictionnaire français, on lit que la politesse est l’« ensemble des usages, des règles qui régissent le comportement et le langage considérés comme les meilleurs dans une société ». Le mot ne vient pas du grec polis (la Cité) mais du latin politus (« lisse, propre, ce qu’on a pris le temps de polir »). Ainsi, la politesse est une certaine manière de se frotter les uns aux autres : c’est l’art des signes et l’art de vivre ensemble. Autrement dit, être poli c’est être courtois, aimable, galant, savoir les bonnes manières et les mettre en pratique, avoir du tact, savoir vivre en somme ! Sans la politesse, le monde serait une jungle. La politesse permet en effet de se situer dans ses relations sociales, comme un code utilisé pour vivre ensemble, pour ne pas être marginalisé. Effacez les règles de civilité et vous détériorez le fondement même de la vie en société !
S’il vous plaît, merci, Pardon
Selon le pape François, les trois mots clés pour une vie familiale pleine d’amour et de pardon sont : s’il vous plaît, merci, pardon. Ces trois mots ne sont-ils pas le b.a.-ba de la politesse ? S’il vous plaît et merci sont comme des prières de demande, des prières de louange. En effet, prier signifie être poli avec la vie, savoir lui demander avec respect et savoir la remercier. Sans oublier de demander pardon. Demander pardon à l’autre, c’est s’assurer que l’on ne le dérange pas, qu’on le respecte et qu’on le place avant soi. Être poli, c’est aussi mettre son interlocuteur à l’aise et s’adapter à lui. Tel cet hôte de Buckingham Palace qui avait bu son rince-doigt avec de belles rondelles de citron entraînant tous les convives à faire de même pour ne pas mettre mal à l’aise cet illustre invité, qui devait ignorer l’utilité de cette eau !
La politesse au volant, dans la rue, dans tous les lieux publics, envers des personnes connues ou non, reflète notre état d’esprit. Un piéton qui remercie l’automobiliste qui l’a laissé traverser la rue est un piéton attentif au conducteur et qui le lui montre. Il s’est extrait de sa bulle pour s’ouvrir à l’autre. Par ailleurs, couper la parole est considéré comme le comble de l’impolitesse et de la grossièreté. Dans le domaine de la politesse, l’intention ne fait rien, l’usage et les actes concrets font tout.
Lutte contre l’égoïsme
Au-delà des règles sociales, la politesse, qui peut paraître conventionnelle, est facilement perçue par le chrétien comme de la charité. Être poli, c’est prendre du temps pour être attentif à l’autre. Or l’altruisme n’est pas la valeur la plus en vogue ! L’égoïsme et l’individualisme imprègnent profondément la société actuelle : le stress permanent, le manque de temps, la course après toutes les sollicitations vertigineuses, font que l’homme ne prend plus le temps de regarder l’autre, de le laisser passer en premier. Sa priorité est ailleurs et cela le rend jaloux, aigre, renfermé. Cependant, politesse, bienséance, déférence, courtoisie et gentillesse font bon ménage et si elles semblent devenues des denrées trop rares, elles restent pourtant indispensables à toute vie sociale. « La politesse coûte peu et achète tout », affirmait clairement Montaigne. Pourtant, selon la romancière américaine Edith Wharton, « les Français considèrent la politesse comme une monnaie d’échange, et, comme ils sont fort économes, ils répugnent à la dépenser pour des inconnus. » Or la politesse doit s’appliquer à tous sans distinction.
En mai 2013, le pape François avait relevé le caractère « nécessaire » d’une « prière courageuse, qui lutte, qui persévère, pas une prière de politesse ». La politesse pourrait-elle parfois être hypocrite ? Le fait d’être poli reviendrait-il parfois à se cacher derrière certaines normes pour ne pas avoir à affronter, à se confronter à celui qui est en face de moi ? Certains pourraient penser qu’être poli signifie être soumis de manière un peu naïve voire niaise à un système existant. En tout état de cause, être poli c’est rechercher et viser la paix. La politesse est universelle et va au-delà des usages socioculturels ; en cela, le sourire permet de rejoindre l’autre, c’est la politesse du cœur par excellence.
La politesse à la française
L’attachement aux usages peut correspondre à une peur de rompre avec des traditions, mais il rend compte également de la grande valeur que l’on attache à l’expérience longuement accumulée. Ce qui a perduré au fil du temps est susceptible de répondre à de profonds besoins moraux ou esthétiques. Mais les petites observances sociales sont curieusement différentes d’un pays à l’autre et varient de génération en génération. Edith Wharton, dans son livre Les mœurs françaises et comment les comprendre, explique que le désenchantement du voyageur étranger provient bien souvent de son ignorance des usages français les plus élémentaires : dire « Bonjour Madame » dès qu’on entre dans une boutique et ne pas oublier de dire « Au revoir » quand on en sort ; raccompagner un visiteur jusqu’à la porte d’entrée quand il s’en va ; répondre « Merci » au moindre service que l’on vous rend ; s’effacer en disant « Après vous ». Par manque d’usage, les Anglo-Saxons risquent continuellement d’offenser les Français sans le vouloir et vice versa si les Français n’apprennent pas les mœurs anglaises. La politesse implique donc une constante adaptation ancrée dans les traditions afin de vivre en harmonie et en paix avec les hommes. Heureux les hommes polis, la vie heureuse est à eux !
« ˝Après vous˝. Dans cette formule de politesse, Levinas voyait l’essentiel de la morale. On comprend pourquoi : c’est mettre l’égoïsme à distance et court-circuiter la violence par le respect. (…) C’est dire, sur la politesse, l’essentiel : qu’elle n’est que l’apparence d’une vertu, pour cela aussi socialement nécessaire qu’individuellement insuffisante. Positivité de l’apparence. Être poli, c’est agir comme si l’on était vertueux : c’est faire semblant de respecter (“Pardon”, “S’il vous plaît”, “Je vous en prie”…), de s’intéresser (“Comment allez-vous ?”), de ressentir de la gratitude (“Merci”), de la compassion (“Mes condoléances”), de la miséricorde (“Ce n’est rien”), voire d’être généreux ou désintéressé (“Après vous”)… Ce n’est pas inutile. Ce n’est pas rien »
André Comte-Sponville Dictionnaire philosophique