Charles Perrault
Le tricentenaire de la mort de Charles Perrault, le 16 mai 1703, nous donne l’occasion de retracer la vie de ce grand écrivain qui contribua à mettre au goût du jour le genre littéraire des contes de fées. Il n’est pas possible de parler de tous les fils Perrault. Ils étaient sept, comme les sept fils du bûcheron dans Le Petit Poucet et la plupart se distinguèrent sous le règne de Louis XIV. Mais le plus célèbre est certainement Charles, qui, comme Le Petit Poucet, est le cadet de la famille.
Charles Perrault naît à Paris, le 12 janvier 1628 avec son frère jumeau, François. D’origine tourangelle, sa famille appartient à la haute bourgeoisie de robe. Il est le fils de Pierre Perrault, avocat au Parlement de Paris. Charles suit un cursus scolaire brillant. Bien que passionné par les mathématiques, la médecine et l’architecture, il découvre très vite que sa vraie vocation est l’écriture et suit donc des études littéraires au collège de Beauvais à Paris. Il étudie ensuite le Droit et s’inscrit au barreau de Paris en 1651. Son métier d’avocat ne lui plaît guère et après trois ans, il entre comme commis chez le Receveur général des finances qui n’est autre que son frère aîné, Pierre. Il occupera par la suite des postes élevés au service du roi Louis XIV : vingt ans de collaboration avec le fameux Colbert, responsable de la politique artistique et littéraire de la Cour, contrôleur général des bâtiments du roi – il fait construire, en 1667, l’Observatoire du Roi d’après les plans de son frère Claude –, membre de la Commission des inscriptions publiques (future Académie des inscriptions et belles-lettres). En 1671, il est élu parmi les Immortels et devient ensuite chancelier, puis bibliothécaire de l’Académie.
Huit contes pour la gloire
La majeure partie de l’abondante œuvre littéraire de Perrault – poèmes burlesques, épopées chrétiennes, pièces de théâtre, mémoires, textes autobiographiques, pamphlets, et surtout réflexions critiques qui foisonnent d’idées neuves – est toujours inconnue du grand public à l’heure actuelle. Ce n’est pas par ces textes que Perrault a acquis dans la littérature universelle la notoriété que l’on sait, mais pour une œuvre de dimension extrêmement réduite, un recueil de huit contes, intitulés Les Contes de ma mère l’Oye, expression générique qui signifie, à l’époque, “Contes de bonnes femmes” : La Belle au Bois dormant, Le petit Chaperon rouge, Barbe-bleue, Le Chat botté, Les Fées, Cendrillon, Riquet à la houppe et Le Petit Poucet. Charles Perrault avait offert ce cahier calligraphié et richement décoré à “Mademoiselle” Elisabeth-Charlotte D’Orléans, la petite-nièce de Louis XIV.
Perrault est-il l’auteur des Contes de la mère l’Oye ?
Qui a “inventé” les contes de fées ? D’où viennent-ils ? Quel âge ont-ils ? Nul ne le sait. Un certain Tuan Ch’engshil a écrit, il y a plus de mille ans, l’histoire d’une petite cendrillon chinoise, mais il nous fait savoir qu’il s’agit déjà d’un récit vieux comme le monde. Ainsi, la majorité de nos héros quotidiens apparaissent pour la première fois dans des écrits de l’Antiquité grecque ou égyptienne, textes bouddhiques, légendes celtiques, légendes chinoises, mythes nordiques. Les contes sont nés avec l’humanité et se sont transmis oralement de génération en génération, traversant les frontières et le temps pour parvenir jusqu’à nous. Ce n’est donc pas Charles Perrault qui a imaginé Les Contes de la mère l’Oye. Comme l’explique son propre fils, Pierre Darmancour : « Ces contes ne sont que des bagatelles qui se racontent dans les huttes et les cabanes depuis la nuit des temps... »
Le mérite de son père a été de les collecter et les sauver de l’oubli en les mettant au goût du jour, en les adaptant aux sensibilités religieuses, sociale, politique, de son époque, le XVIIe siècle.
Les contes, de tradition orale, adaptés littérairement par Perrault, n’appartiennent aucunement à la littérature enfantine, mais à une littérature orale, mouvante, destinée aux adultes des communautés villageoises, faits pour être lus le soir, à la veillée et que les enfants écoutaient, mêlés aux adultes. Le passage des contes de la tradition orale à la tradition écrite impliqua automatiquement une forme de censure des textes originaux. Qui sait aujourd’hui que le Petit Chaperon rouge des versions orales dévorait la chair de sa mère-grand et s’abreuvait de son sang ? Qui sait que Cendrillon jetait du sel dans la cendre en faisant croire qu’elle avait des poux, afin qu’on la laisse tranquille…
De tels éléments auraient choqué le public mondain du XVIIe siècle et Charles Perrault s’empressa de les supprimer. Il adapte son récit en ajoutant des glaces et des parquets au logis de Cendrillon et en restituant l’action du Petit Poucet à l’époque de la grande famine de 1693. Il rajoute une note humoristique, utilise les dialogues, le présent de la narration ou l’usage des “formulettes”, telles que « Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? » Ou : « Mère grand, comme vous avez de grandes dents ! »
Ce faisant, Perrault transforme le conte oral et réalise, avec ces huit récits traditionnels, un chef-d’œuvre de la littérature universelle. La célébrité des contes de Perrault ne s’est jamais démentie. Celle-ci traversa très tôt les frontières de la France pour se répandre en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, en Russie, en Espagne, en Amérique, puis dans le monde entier.
Charles Perrault meurt dans la nuit du 15 au 16 mai 1703, à son domicile de Paris.
La querelle des Anciens et des Modernes
Charles Perrault est également connu pour avoir été l’initiateur et le principal protagoniste de la fameuse querelle des Anciens et des Modernes. Son poème intitulé le Siècle de Louis le Grand , qui associe l’antiquité au paganisme et l’art moderne au christianisme, fait grand bruit : « Depuis la Renaissance, écrit Marc Soriano, professeur à l’université de Paris-Jussieu, la conception littéraire était dominée par le sentiment de la supériorité des auteurs de l’Antiquité (grecs et latins), et l’idéal esthétique du classicisme était fondé, entre autres, sur le principe de l’imitation des modèles, réputés indépassables, de la littérature antique. Avec la lecture, le 27 janvier 1687, de son poème intitulé le Siècle de Louis le Grand, à la gloire du roi, Perrault exposait devant les académiciens l’idée contenue dans ces deux vers : « Que l’on peut comparer, sans crainte d’être injuste, le siècle de Louis, au beau siècle d’Auguste ! » La querelle était lancée. Deux camps se formèrent avec, à leurs têtes, Boileau pour les Anciens et Perrault pour les Modernes. »
Cette polémique littéraire les opposera pendant 9 ans et se soldera par une réconciliation publique en 1694.