Rencontre avec... Mgr Jean-Pierre Grallet
Cette année, les Franciscains ont fêté leurs 800 ans. Est-ce important pour vous cet anniversaire ?
Le 800e anniversaire de la reconnaissance de la Règle est l’occasion de rappeler qu’aucun croyant ne peut progresser sans repère, sans règle. Une vie sans règle, c’est-à-dire sans loi, sans boussole, est une vie qui va à sa perte.
Est-ce un honneur d’être le seul évêque franciscain en exercice en France ?
Non pas un honneur, mais une exigence forte d’accomplir ma tâche en vivant l’Evangile, le plus fidèlement possible.
Cela vous a-t-il coûté de quitter la vie communautaire pour la vie plus solitaire d’évêque auxiliaire puis d’archevêque de Strasbourg ?
Franciscain, j’ai été très heureux dans la vie communautaire. Quitter ma communauté particulière pour entrer dans une communion plus vaste fut néanmoins une expérience heureuse, car je vivais cela en obéissance à Dieu, et en ressentant la confiance des chrétiens qui m’entouraient.
La solitude, je la ressens quand j’ai à décider, en dernier lieu, seul, mais en ayant bien sûr consulté autrui et prié Dieu. Cette solitude-là n’est pas pesante : c’est le prix normal de la responsabilité par laquelle je sers les autres et à qui je reste relié !
Vos origines franciscaines font-elles de vous un évêque différent ?
Le but n’est pas d’être différent d’autrui, mais soi-même, selon la volonté de Dieu. Ma vie franciscaine m’a certainement préparé à ma charge actuelle. Je pense notamment aux responsabilités assumées au sein de l’Ordre franciscain. De plus, la vie fraternelle a profondément façonné ma manière d’être auprès des autres. Etre Frère avec et pour les autres, quoi de plus important en société ? L’Eglise gagnerait à développer ce lien de fraternité entre tous les croyants. Nous sommes tous frères, enfants du même Père. Relations aux autres et relation à Dieu sont étroitement liées.
Parlez-nous un peu de votre diocèse… Le fait qu’il soit sous régime concordataire en change-t-il l’administration ?
Le Concordat a ceci de positif qu’il offre à chaque ministre du culte des moyens suffisants de vivre. Cela peut lui permettre d’être plus libre pour les tâches missionnaires, puisque d’une certaine manière, “l’intendance suit”. Un autre avantage du Concordat, c’est qu’il exprime des liens apaisés et positifs entre l’Eglise et les Autorités publiques. En Alsace, les chrétiens sont présents à tous les niveaux de responsabilité de la société civile, en vrai esprit de partenariat et de service.
Au-delà du Concordat, quelle est la spécificité du diocèse de Strasbourg ?
Ses frontières coïncident parfaitement avec celles de la Région-Province, dont l’identité culturelle est riche et fortement marquée. Les deux départements alsaciens sont densément peuplés et comptent 1 800 000 habitants. Si la majorité des habitants est catholique, la communauté protestante, traditionnelle en Alsace, exerce une influence importante. Les juifs sont également traditionnellement implantés en Alsace, en ville comme à la campagne. L’islam est désormais présent dans le paysage alsacien, ainsi que, plus faiblement, le bouddhisme. L’œcuménisme – entre chrétiens – est donc très vivant. Le dialogue interreligieux, depuis quelques décennies, est bien réel (dialogue judéo-chrétien, dialogue islamo-chrétien, notamment).
Le rôle de Strasbourg, capitale européenne, est déterminant. Les rencontres internationales et interculturelles sont nombreuses. Les Alsaciens, portés à entreprendre et à s’associer, s’y retrouvent bien.
Dans le diocèse, les paroisses sont vivantes, la liturgie est soignée. Il y a une tradition alsacienne de la musique et du chant choral. Presque toutes les églises paroissiales disposent d’un orgue ! Pour autant, l’Alsace n’est pas épargnée par les épreuves que connaissent toutes les Eglises, en France et en Europe. En raison de cela, la mission est un devoir pour chacun de nous !
Y a-t-il un intérêt particulier pour l’Europe ?
Bien sûr, les Alsaciens doivent honorer la place qu’ils occupent dans l’Europe et cultiver un esprit de rencontres et d’ouverture à l’autre. Je me réjouis de savoir de nombreux Alsaciens présents et actifs dans les différentes instances européennes.
Quelles ont été vos priorités quand vous êtes devenu archevêque ?
La première a été de continuer le travail de regroupement des paroisses amorcé par mon prédécesseur. L’autre priorité fut de répondre à la quête de sens et de spiritualité, formulée par nos contemporains. Je souhaite également que la charité et la solidarité se vivent dans le quotidien de la vie, surtout en ces temps crise.
Vous qui avez longtemps été aumônier d’étudiants, quel regard portez-vous sur la jeunesse actuelle ? Vous semble-t-elle désenchantée ?
J’ai toujours eu, à l’égard des jeunes, une attitude de confiance et de bienveillance. N’ajoutons pas de la défiance à leurs propres inquiétudes ! Sont-ils désenchantés ? Ils le seront peut-être si nous ne les aidons pas à prendre leur responsabilité et à œuvrer avec nous pour un monde plus vrai, plus juste, plus fraternel. Le monde dans lequel entrent les jeunes est difficile. Ne les laissons pas seuls, encourageons-les !
Il est habituel de dire que l’Eglise de France va mal, que les vocations diminuent, que les paroisses se vident, bref que « tout fout le camp ». Est-ce votre opinion ?
Je n’accepte pas une telle expression. Par contre, je reconnais que nous sommes mis à l’épreuve. Pour autant, nous ne sommes pas abattus. C’est vrai que les raisons de nous réjouir ne sont pas assez nombreuses, mais il y a tout de même de vraies raisons d’espérer. J’ai eu la joie d’ordonner cinq prêtres cette année. Il y a des vocations, des gens qui frappent à la porte ! Ouvrons-leur cette porte et offrons-leur de rendre service et de se donner sans compter !
Qu’est-ce qui pourrait faciliter cet “accueil” ?
N’avons-nous pas des cœurs trop habitués ? Laissons-nous réveiller par La Bonne Nouvelle du Christ : c’est le printemps de notre Eglise !
Les remous successifs de l’hiver dernier ne montrent-ils pas la difficulté de l’Eglise à communiquer ?
Sans doute, mais veillons à ne pas mettre ces différentes “affaires” sur le même plan. Il y a eu tant d’amalgames et de partialité dans les informations ! Ceci étant dit, l’Eglise peut progresser en matière de communication. Mais ce qui vaut pour l’Eglise, vaut pour toute la société. Il y a trop souvent, dans les médias, un conditionnement par l’ironie ou la “pensée unique”. C’est pourtant une belle responsabilité de transmettre des informations. A nous tous d’en être dignes et de nous mettre au service de la vérité !
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
C’est un saint que j’admire sincèrement. Saint François portait saint Antoine en grande estime. Il l’encourage à enseigner la théologie, à condition de ne « point éteindre en lui l’esprit de prière et de dévotion ».
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Etes-vous déjà allé à Padoue ?
Non, pas encore !
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Tout spécialement dans la célébration eucharistique.
Comment priez-vous ?
Je prie de bien des manières, la première étant la “prière des heures”, pratiquée dès ma jeunesse, au séminaire. Une autre manière, c’est le silence de l’adoration. Il y a aussi la contemplation de Dieu, à travers la beauté de la création. C’est encore certaines rencontres, qui m’invitent à la prière…
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
La certitude que Dieu m’aime. C’est un bonheur profond. Chaque fois que je rencontre des chrétiens heureux, secrètement, j’en remercie Dieu.