Rencontre avec P. Patrick Verspieren
En vue de la révision de la loi de 2004 relative à la bioéthique, le gouvernement a annoncé la tenue d’états Généraux début 2009. Le point sur toutes ces questions avec le P. Patrick Verspieren, jésuite, responsable du Département d’éthique biomédicale du Centre Sèvres (Paris).
D'où vient le mot “bioéthique” ? Que recouvre-t-il ?
En France, on a tendance à croire que tout a commencé en 1982, avec la naissance d’Amandine, premier enfant conçu par fécondation in vitro. Mais c’est en 1970, aux Etats-Unis, que le terme “bioéthique” a vu le jour. Au départ, il a eu deux significations distinctes. Dans la première, il désignait une sorte d’éthique de la vie, marquée par un grand souci de l’environnement. Dans un deuxième sens, la bioéthique consistait en une réflexion éthique sur les questions posées par la médecine et les nouvelles pratiques biomédicales. Sa meilleure traduction est alors : “éthique biomédicale”.
Cette signification se rapproche de celle donnée en France au mot “bioéthique”. Par ce terme, on désigne communément les questions posées par l’avancée des connaissances biomédicales et les grandes innovations : on pense spontanément aux greffes d’organes, à la génétique, à la fécondation in vitro, ou encore aux cellules souches. On a tendance à l’opposer à “l’éthique du soin”, à “l’éthique médicale”, ce qui est regrettable.
Pensez-vous qu’il appartient aux députés de légiférer sur ces questions ?
Il appartient au Parlement de voter les lois. Mais la question est de savoir ce qu’il faut y mettre. En France, on veut tout préciser par la loi ! Peut-être serait-il préférable d’adopter ce qui se pratique dans d’autres pays : fixer par la loi les grandes règles, et s’en remettre aux tribunaux et à diverses instances pour préciser leur application. La loi relative à la bioéthique de 2004 remplit vingt-quatre pages très serrées du Journal Officiel, c’est beaucoup trop !
Pourquoi doit-elle être révisée, cette loi de 2004 ?
Lorsqu’elle a été votée, il était prévu qu’elle serait de nouveau soumise au débat cinq ans plus tard. Nous y sommes. Voter des lois provisoires, voilà ce qu’il faudrait récuser. Cela soumet le législateur à de multiples pressions, et cela peut le déresponsabiliser. On l’a bien vu avec la recherche sur l’embryon. La loi de 2004 énonçait qu’elle était interdite. Mais quelques lignes plus loin, il est écrit : « Par dérogation, et pour une période limitée à cinq ans, les recherches peuvent être autorisées. » Des parlementaires, qui étaient réticents, ont accepté, en raison de cette limitation à cinq ans. C’était illusoire ! A mon sens, la loi devrait prendre position, de manière nette, ce qui n’empêcherait pas les parlementaires de revenir sur les mêmes sujets, quand cela paraîtra s’imposer.
Une loi que l’on modifie au gré des découvertes scientifiques joue-t-elle vraiment son rôle ?
Je crains que non. Ce n’est évidemment pas le rôle de la loi d’accepter tout ce que la science a découvert. La loi devrait encadrer la recherche, et non l’inverse : ce n’est pas à la recherche de dicter les lois.
Quel est le contenu de la loi relative à la bioéthique de 2004 ?
La loi portait sur toutes les innovations et les technologies dans le domaine de la médecine et de la biologie appliquée à l’homme : les prélèvements et les greffes d’organes, la génétique – notamment les tests qui permettent de prédire l’apparition de maladies graves – le diagnostic prénatal, l’assistance médicale à la procréation, la recherche sur l’embryon, le clonage.
Concrètement, comment va se passer le processus de révision ?
Depuis le mois de juillet, le gouvernement a demandé un certain nombre de rapports à des institutions scientifiques, éthiques et juridiques, pour évaluer les aspects positifs et négatifs de la loi de 2004. Lorsque ces rapports auront été rendus publics, devraient débuter des “Etats généraux de la bioéthique” dont le but est de permettre aux citoyens de s’exprimer. Qu’en sera-t-il, en fait ? Il est difficile de le prédire. Mais a été désigné un “Comité de pilotage” qui devrait rendre ses conclusions fin juin 2009. Sept points de réflexion sont déjà proposés.
Quels sont ces sept axes de réflexion ?
Les sujets retenus sont : d’abord, la recherche sur l’embryon, le prélèvement et la greffe d’organes, de tissus et de cellules, les modalités d’expression du consentement dans les protocoles de recherche. Ensuite, le principe d’indisponibilité du corps humain : jusqu’à présent la loi stipule que tout don d’élément du corps est gratuit. Va-t-elle permettre de dédommager financièrement des personnes en fonction de la pénibilité de certains prélèvements, comme celui d’ovocytes ? Dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, seront examinées la question de l’anonymat du don de sperme ou d’ovocytes, et celle de la “gestation pour autrui”. Enfin, comme autres sujets de réflexion, le développement de la médecine prédictive, et l’extension du recours au diagnostic prénatal et au diagnostic pré-implantatoire.
Pour les catholiques, quels sont les enjeux de ces questions ?
Au cœur de tous ces sujets, se pose la question fondamentale du respect de la dignité humaine, ce qui invite à rester vigilants tout spécialement sur cinq points.
Le respect de l’être humain dès sa conception est mis en cause par la perspective d’utiliser des embryons humains pour la recherche. C’est un point essentiel.
Deuxième aspect, plus transversal : le respect de l’unité de la personne humaine, indissociablement corporelle et spirituelle ; le corps n’est pas un objet mis à la disposition de la personne, et ses éléments ne peuvent être traités comme des marchandises monnayables.
Autre point de vigilance, le respect de la liberté des personnes vis-à-vis de toutes ces techniques.
Ou encore, la conception de la famille : la question est posée de permettre le recours à l’assistance médicale à la procréation à des femmes célibataires infertiles, et donc de ne plus chercher à ce que l’enfant conçu grâce aux techniques biomédicales ait, à sa naissance, une mère et un père.
Enfin, il me paraît important de veiller à ce que cette loi ne fasse pas oublier les millions de personnes – atteintes de maladies chroniques ou devenues séniles – qui ont, elles, besoin de soins courants plus que de toutes ces techniques.
Au nom de quel principe ou de quel argument les catholiques ont-ils une parole originale à faire entendre ?
Ces points de vigilance ne reposent pas sur des arguments religieux, mais sur une conception de l’homme, de son corps, du couple et de la famille transmise à travers des siècles de christianisme, dont les chrétiens ne sont pas les seuls dépositaires. C’est pour cette raison que Benoit XVI parle souvent de “loi naturelle”.
Les autres religions ont-elles les mêmes préoccupations que les catholiques sur les questions de bioéthique ?
Dans l’ensemble, oui. Le grand point de divergence que nous avons avec les juifs, les musulmans, et même les protestants, concerne l’embryon humain. L’Eglise catholique n’est pas suivie dans la fermeté de son langage sur le respect de l’embryon dès sa conception.
Etes-vous optimiste sur l’issue de ces Etats Généraux ?
Sur certains points, oui… sur d’autres, non.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Ce fut un grand prédicateur et un grand théologien. Il a été nommé Docteur de l’Eglise. Il suscite encore aujourd’hui une profonde dévotion.
Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Je ne connais ni la ville de Padoue, ni la Basilique du Saint. Mais il y a une cathédrale que j’aime bien : Notre-Dame de Chartres. J’ai passé mon enfance juste à côté, et j’aime retourner dans ce lieu de toute beauté.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Dans la célébration de l’Eucharistie. C’est toujours un rappel très prégnant de la Passion, de la Mort et de la Résurrection de Jésus.
Comment priez-vous ?
Tout spécialement en méditant et en contemplant des scènes de l’Evangile.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Peut-être la beauté de la mer sous le soleil, dans le golfe du Morbihan où j’ai passé quelques jours de vacances.