Rencontre avec Yves Meaudre
Un anniversaire comme les 50 ans d’Enfants du Mékong, c’est un événement heureux ou un douloureux rappel que votre existence est toujours nécessaire ?
C’est une grande joie ! Bien sûr que l’on préférerait qu’il n’y ait plus de misère, mais elle est inhérente à la condition humaine et existe depuis la nuit des temps, alors autant se réjouir que des bonnes volontés œuvrent à la combattre.
C’est le sens de notre week-end du 22 et 23 novembre à l’Unesco1 : rassembler tous les amis d’Enfants du Mékong autour de cette thématique : « Le don, ressource illimitée de l’humanité ». A l’heure où le pétrole vient à manquer et où nous sommes confrontés à des ruptures alimentaires de toutes sortes, une chose demeure illimitée : le don.
Imaginez que grâce au don d’un monsieur qui a ouvert sa porte à un enfant démuni, quelque part au Laos, c’est la vie de 60 000 enfants qui a basculé 50 ans plus tard. Ce monsieur, c’est René Péchard, un homme pudique et d’une grande foi, qui a fondé bien malgré lui Enfants du Mékong.
Quelle était l’intuition fondatrice d’Enfants du Mékong ?
Aucune intuition ! René Péchard n’avait ni plan ni projet humanitaire. Il a simplement dit “oui” à un enfant, puis à un deuxième, un troisième… Entre deux patients, René Péchard, qui était dentiste, leur donnait quelques cours. Lorsqu’il a été contraint de quitter le pays, en 1975, ce sont 350 enfants qui étaient accueillis dans 3 foyers. Certains ont pu le suivre en Thaïlande où il est alors venu au secours des familles réfugiées dans les camps. C’est là qu’il a commencé le parrainage pour aider ces familles. Ce système a permis à des familles entières de survivre dans l’enfer des camps.
Aujourd’hui quelles actions, concrètes, menez-vous ?
Dans la même logique que celle de son fondateur, l’action d’Enfants du Mékong est totalement empirique. Sa seule constante est sa fidélité aux pays d’Asie. Mais nous nous adaptons à leurs problématiques au gré de leurs changements et de leur urgence. Après être venu en aide aux familles internées dans les camps, nous nous sommes intéressés, à partir de 1991, à celles qui étaient contraintes de revenir dans leur pays. Il faut imaginer la terreur de ces familles, obligées de regagner un pays qu’elles avaient le plus souvent fui sur un bateau de fortune, et qui se retrouvent suspectées par les autorités locales. En les recensant et en les accompagnant financièrement, nous leur avons permis d’échapper à l’anonymat, qui aurait signé leur arrêt de mort…
Comme vous le voyez, nous n’avons pas de métier à Enfants du Mékong, nous ne faisons que répondre à une demande. Les “Bambous”, ces jeunes volontaires que nous envoyons pour des missions d’un ou deux ans, sont des précieux indicateurs des besoins du terrain.
Aujourd’hui, on s’aperçoit que le drame de ces pays est que les enfants ne sont pas scolarisés. Nous avons donc mis le paquet sur l’éducation en construisant plus de 250 écoles et en aidant financièrement les familles à scolariser les enfants… Ceux-ci sont suivis jusqu’à ce qu’ils deviennent complètement autonomes. Nous insistons beaucoup sur la formation morale de ces enfants, sur la notion de bien commun, l’intérêt à être honnête…
Vous avez toujours le même mode opératoire : le parrainage… En quoi consiste-t-il et pourquoi y tenez-vous autant ?
Initié par René Péchard, le parrainage consiste à faire entrer la personne qui donne de l’argent dans une dimension de charité active. Il ne s’agit pas de faire un chèque et de se désintéresser de l’affaire. Le parrain – qui en versant 24 euros par mois permet à une famille entière de se nourrir, se soigner et de scolariser les enfants – s’engage à écrire à son filleul qui lui aussi doit donner des nouvelles. La relation qui s’exprime par le courrier est exceptionnelle : des amitiés se créent, des liens très forts se tissent pour toujours. Nous avons très souvent des demandes de parents français souhaitant qu’on leur trouve un filleul de l’âge de leur enfant. Vous pouvez être sûr que cela éduque votre enfant d’avoir un ami du bout du monde qui évoque les pénuries de riz quand le vôtre n’a en tête que la dernière console de jeux vidéo...
Vous évoquiez les Bambous… Pourquoi ce nom ? Qui sont ces jeunes ?
Les bambous, que l’on trouve partout en Asie, sont connus pour leur robustesse. Dix bambous ensemble, c’est plus solide qu’un mortier. Cela correspond bien à l’état d’esprit des 35 jeunes de 21-30 ans qui, dans une logique de passion, partent chaque année exercer la charité dans ces pays en se mettant au service des plus pauvres.
Vous-mêmes, qu’est-ce qui vous a décidé à “tout plaquer” pour Enfants du Mékong ?
Les choses se sont faites petit à petit ! Je ne me suis jamais dit qu’il fallait que je donne un sens à ma vie par un engagement quelconque. Mais un jour, alors que je travaillais au MEDEF, j’ai rencontré René Péchard qui m’a demandé de l’aider sur le plan juridique. J’ai accepté de lui rendre service. Et progressivement, ce qui n’était au départ qu’un “hochet caritatif” m’a pris de plus en plus de temps… jusqu’à ce qu’en 1988, René Péchard me demande de le remplacer à la tête de l’association. Je n’imaginais y rester qu’un an et vite retrouver une activité dans une société du CAC 40 ! Mais on se laisse prendre : les populations que l’on a suivies, on ne veut plus les quitter car des liens très forts se sont tissés… j’ai donc repoussé la décision…
Et Dieu dans tout cela, quelle part tient-il dans cet engagement ?
Il en est à l’origine, bien sûr. J’ai une confiance illimitée dans le Bon Dieu. Quand la proposition m’a été faite de me consacrer totalement à l’œuvre, je me suis dis : « Mon Dieu, si tu me demandes cela, c’est que tu sais où tu vas me mener. » C’est toujours vers lui que je me tourne quand, aujourd’hui, il m’arrive de me faire du souci pour la pérennité de l’œuvre. J’ai l’angoisse de ne pas transmettre quelque chose aussi beau que ce que j’ai reçu…
Votre foi a-t-elle été renforcée ?
C’est colossal ce que j’ai vécu comme expériences grâce à ces enfants que je considère d’ailleurs comme les miens. René Péchard disait : « Dans chaque enfant, je vois Jésus au Golgotha ». Je le vis chaque jour. Grâce à eux, ma relation à Dieu s’est modifiée : elle est beaucoup moins intellectuelle, idéologique mais beaucoup plus incarnée. Cette expérience m’a ouvert : j’ai rencontré des non-chrétiens impressionnants dans leur compréhension de Dieu. L’engagement des Bambous est édifiant également. Sans être forcément croyants, ils vivent la radicalité de l’engagement que Jésus demande au jeune homme riche.
QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
C’est un saint auquel je suis sensible : j’ai d’ailleurs un fils qui porte son nom ! Saint Antoine représente la bienveillance, la tendresse, la douceur… Tout un programme pour mon Antoine d’1,93 m, passionné de rugby !
Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Non, jamais. En revanche, j’ai la chance d’avoir une maison à 12 km de Paray-le-Monial. En tant que parodien (nom des habitants de Paray, ndlr), j’ai donc une grande dévotion pour Marguerite-Marie et je me sens tout à fait dans la spiritualité du Sacré-Cœur.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Difficile ! Il y a des moments d’ordre esthétique, presque physique, où je me sens proche de Dieu : quand je suis seul face au Saint-Sacrement dans cet endroit grandiose qu’est la chartreuse de La Verne, par exemple. Mais je peux aussi éprouver sa présence dans la souffrance. Et dans la certitude que Dieu est là pour me répondre.
Comment priez-vous ?
Chaque fois que je suis en voiture, je récite mon chapelet. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est le silence devant le Saint-Sacrement.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
J’ai été heureux toute l’année… Mais je dirais que la naissance de mon premier petit-fils, après deux petites-filles, a été une grande joie !