L'économie de communion

24 Juillet 2009 | par

Très attendue, la troisième encyclique de Benoît XVI consacrée au développement, a été rendue publique le 7 juillet, à la veille de la réunion du G8. Coïncidence bienvenue a noté Mgr Podevin, le porte-parole de la Conférence des évêques de France en présentant ce texte. « La portée de cette encyclique sociale peut être immense, car le Pape déplace l’attention face à la crise », analyse Jérôme Vignon, président des Semaines sociales de France et président des Assises chrétiennes de la mondialisation. Alors que jusqu’à maintenant, les débats sur la crise se concentraient sur la nécessaire réforme des institutions internationales, tenues responsables de la situation, « le Pape invite les chrétiens et les “hommes de bonne volonté” à se changer eux-mêmes », ajoute Jérôme Vignon.



Pour le président des Semaines sociales de France, « la très grande originalité de cette encyclique réside dans le fait que le Pape insiste sur le rôle de la connaissance, de la raison comme instrument possible de changement des comportements économiques ». « Alors que la doctrine sociale catholique avait jusqu’à présent plutôt mis l’accent sur la charité comme inspiratrice d’une indispensable justice sociale (Veritas in caritate), poursuit-il, cette encyclique franchit une étape supplémentaire. Pour accomplir effectivement cette justice, il est nécessaire que les “institutions” économiques et sociales se laissent aussi conduire selon un esprit de vérité : Caritas in veritate. » Un thème développé dès l’introduction de ce document très dense. « Sans vérité, sans confiance et sans amour du vrai, il n’y a pas de conscience ni de responsabilité sociale, et l’agir social devient la proie d’intérêts privés et de logiques de pouvoir qui ont pour effet d’entraîner la désagrégation de la société », explique Benoît XVI.



Annoncée depuis deux ans, cette encyclique n’est donc pas un manuel anti-crise, mais une actualisation de la doctrine sociale de l’Eglise. Le Pape reconnaît cependant que « la crise devient une occasion de discernement » et qu’elle met « en capacité d’élaborer de nouveaux projets. » Notamment de nouvelles règles et de nouvelles formes d’engagement.



Quelle éthique pour le capitalisme ?

Ainsi s’il ne condamne ni le marché en soi, ni la mondialisation, le Pape évalue toutefois les défaillances du système actuel : « Le risque de notre époque réside dans le fait qu’à l’interdépendance déjà réelle entre les hommes et les peuples, ne corresponde pas l’interaction éthique des consciences et des intelligences dont le fruit devrait être l’émergence d’un développement humain. » Concernant le marché, le Pape indique que celui-ci ne peut être le régulateur de l’économie : « Abandonnée au seul principe de l’équivalence de valeur des biens échangés, le marché n’arrive pas à produire la cohésion sociale dont il a pourtant besoin pour bien fonctionner. Sans formes internes de solidarité et de confiance réciproque, le marché ne peut pleinement remplir sa fonction économique. » Pour Bernard Laurent, professeur d’économie à l’EM Lyon et spécialiste de la doctrine sociale de l’Eglise, « le Pape reconnaît certes le profit et sa légitimité car il permet le progrès, mais il le subordonne à des critères moraux, non pas seulement dans son utilisation, mais aussi dans la façon dont il est acquis. » Sinon, écrit Benoît XVI, « la recherche du seul profit comme but épuise la richesse et crée la pauvreté. » « Enfin, complète Bernard Laurent, il regrette que l’entreprise ne soit plus considérée comme une communauté humaine. »



Une troisième voie à inventer


Aussi, comme ses prédécesseurs, Benoît XVI rappelle que « l’homme, la personne dans son intégrité, est le premier capital à sauvegarder et à valoriser ». Et il donne des pistes très concrètes pour dépasser le système actuel. Il propose une sorte de troisième voie très novatrice, qu’il nomme « économie de communion ». Dans ce système plus humaniste, le don et la gratuité occuperaient une place importante, que ce soit au niveau de l’entreprise ou au niveau international. D’une part car « c’est le don qui exprime et réalise sa [de l’homme] dimension de transcendance », d’autre part car la gratuité « répand et alimente la solidarité et la responsabilité pour la justice et le bien commun auprès de ses différents sujets et acteurs. »



Benoît XVI revalorise ainsi des formes “atypiques” d’organisations comme le micro-crédit, le système mutualiste, le volontariat, les fondations d’entreprises… « Le Pape demande également que l’on dépasse le cloisonnement entre la société civile à qui reviendrait le don, les entreprises, l’efficacité économique et le profit, et l’Etat, la redistribution des richesses », souligne Jérôme Vignon. Pour lui, les acteurs de cette économie « civile et de communion » « sont les ferments d’une économie nouvelle, les enzymes de la civilisation de l’amour ». Même s’il ajoute qu’il faudrait certainement établir des règles pour encadrer et encourager la responsabilité sociale des entreprises : « Il faudrait par exemple que les entreprises qui se déclarent éthiquement responsables obtiennent une sorte de label qui leur serait délivré par un organisme indépendant. »



En montrant combien la question sociale actuelle, c’est-à-dire la mondialisation, le développement, les inégalités et les nouvelles formes de pauvreté dans les pays riches, la misère et la faim dans les pays pauvres, engage une vision de l’homme, Benoît XVI appelle chaque homme à prendre conscience que tous ses actes ont une conséquence morale. Ainsi le successeur de saint Pierre fait-il confiance en l’homme, en sa conscience morale et sa responsabilité personnelle et sociale pour mettre en place un développement juste. Un développement intégral, c’est-à-dire qui promeut « tout homme et tout l’homme. »

 



Caritas in Veritate



A l’époque de la mondialisation, l’économie pâtit de modèles de compétition liés à des cultures très différentes les unes des autres. […]

La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations d’échange entre valeurs équivalentes.

Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que d’œuvres qui soient marquées par l’esprit du don. L’économie mondialisée semble privilégier la première logique, celle de l’échange contractuel mais, directement ou indirectement, elle montre qu’elle a aussi besoin des deux autres, de la logique politique et de la logique du don sans contrepartie.



Lettre encyclique Caritas in veritate du pape Benoît XVI du 29 juin 2009, publiée le 7 juillet 2009.



 

Updated on 06 Octobre 2016