En silence pour les droits des immigrés
18h29. L’horloge du fronton du Conseil d’Etat à Paris se détache dans la nuit tombante. Quelques secondes plus tard, elle donne le signal d’un étrange ballet. Des dizaines de personnes forment un cercle. Dos aux passants, ils restent immobiles et muets. Pendant une heure. Comme tous les troisièmes vendredis du mois depuis plus d’un an. Au centre, rien. Juste une bougie et une lampe tempête. Certains ont accroché une pancarte dans leur dos. Ils dénoncent les traitements réservés aux migrants dans notre société (centres de rétention, expulsions, discrimination, …). En silence, ils crient leur non au jeu de la peur de l’immigré. Pour honorer ces sans-voix, ils se taisent. Des touristes américains s’arrêtent pour lire leurs tracts en anglais. L’attention de quelques Parisiens déboulant de la bouche de métro toute proche glisse rapidement.
Naissance toulousaine
Ce vendredi, près de 200 personnes affrontent le froid pour participer à ce nouveau “cercle de silence”. Il s’inspire de celui de Toulouse. La communauté des Frères Franciscains de la Ville rose a en effet initié cette forme d’action non violente. Pourquoi ? Le Fr. Alain Richard s’en est réexpliqué le 24 janvier lors d’un colloque sur l’accueil de l’étranger, organisé par la Fédération d’entraide protestante à Paris. « A Toulouse, il existe un centre de rétention administratif près de l’aéroport. Il ressemble à une prison. Or, pour moi et les douze Frères de ma communauté, vivre l’Evangile, est et reste le premier mot de la Règle de notre Ordre. Particulièrement sensibles à la situation des personnes persécutées, nous cherchions à être cohérents avec nos engagements. »
Six mois sont nécessaires aux Frères pour définir le “cercle de silence”. Le 30 octobre 2007, ils se lancent. Avant de se taire, ils lisent la prière de saint François. Entourés d’une dizaine de personnes, ces religieux en habit dénoncent l’enfermement systématique des sans-papiers. Quelques mois plus tard, protestants et catholiques de Marseille les imitent. Ils choisissent les jeudis de Carême pour protester pacifiquement. Puis Paris, Strasbourg, Bordeaux, Rouen,… Les cercles de silence font tâche d’huile. Grâce à la médiatisation, à la simplicité de l’engagement, au message porté. Aujourd’hui, de petites villes de province comme Montélimar ou Rodez, mais aussi des villes de banlieue comme Saint-Denis, organisent leur “cercle” tous les mois. Un peu plus d’un an après l’initiative toulousaine, 97 “cercles de silence” se réunissent régulièrement. Franciscains, mais aussi Dominicains, prêtres diocésains, bénévoles catholiques, pasteurs, laïques, syndicalistes, les participants viennent d’horizons différents.
Les fondements chrétiens des cercles de silence
Mais pour les chrétiens qui les organisent ou y participent, la démarche reste profondément chrétienne. La forme de l’action tout d’abord. « Le silence parle particulièrement aux chrétiens, car le silence c’est le mystère, la vie intérieure, témoigne Céline Dumont, membre du réseau chrétien-immigré qui participe au “cercle de silence” de Paris. Qu’est-ce-que je fais quand je rentre dans une église : je me mets en silence. Cela renvoie également à la tradition monastique. »
Le silence n’est pas habité de la même manière par les participants. Les catholiques avouent volontiers qu’ils prient. Pour sa part, Michel Martin, membre d’une Fraternité séculière franciscaine d’Ile-de-France, note que « le silence et l’action non-violente marquent un profond respect de l’adversaire ». Une idée qui rejoint les propos de Fr. Alain Richard : « Ce silence est sans haine, sans jugement. Il unit des personnes qui seraient divisées par la parole. » Parfois, ce silence dérange le passant et l’oblige à se situer par rapport au sort des migrants. C’est une des visées de cette action : témoigner et déranger.
Désobéissance civile, obéissance évangélique ?
« Nous protestons contre une injustice et nous y allons comme le Christ, désarmé, ajoute pour sa part Josette Gazzaniga, membre de la Fraternité séculière franciscaine de Paris. Face à la force de la loi et des pouvoirs publics, notre seule force est notre force intérieure. »
Cette forme de désobéissance civile obéit toutefois à des valeurs supérieures : celles enseignées par le Christ de l’accueil de l’étranger, du respect de la dignité humaine, du refus de l’injustice. Comme le résume Fr. Alain Richard : « nous exprimons un cri profond d’une humanité aimante. »
Localement, ces actions sont soutenues par les autorités catholiques. A Toulouse, les Frères Franciscains ont reçu l’aval de leurs responsables. A Strasbourg, Mgr Jean-Pierre Grallet est déjà venu à un “cercle de silence”. La pastorale des migrants relaye également ces mouvements. Mais certains, comme le Fr. Alain Richard, aimeraient bien que l’Eglise fasse mieux connaître son enseignement sur ce sujet
Les “cercles de silence” se posent aujourd’hui la question de leur avenir. Comment maintenir cet esprit et ces valeurs face à leur succès et à la diversité des participants ? Comment concilier ceux qui recherchent une efficacité politique immédiate et ceux qui pensent que seule leur mobilisation sur le long terme peut servir de témoignage ? Comment pérenniser la mobilisation ? Pour le Fr. Alain Richard, la constance est indispensable. Sans s’interdire d’autres formes d’actions pour interpeller les décideurs sur la situation des migrants, il pense que les “cercles de silence” doivent rester des lieux du suspens.
Devoir de solidarité
Aujourd’hui, des familles qui ont dû s’expatrier pour échapper aux dangers qui les menaçaient sont longuement réduites à survivre chez nous dans des conditions de précarité et d’inquiétude insupportables.
Les souffrances des étrangers soumis au régime des centres de rétention ont soulevé une vague de compassion et de protestation que les “Cercles du silence” ne nous permettent plus d’ignorer. [...] Pour les chrétiens, le devoir de solidarité et d’assistance s’impose au titre de leur foi, et pour les catholiques au titre de la doctrine sociale de notre Eglise. Nous sommes les disciples de Jésus, le Christ de Dieu « venu chez les siens et que les siens n’ont pas reçu ». Nous avons appris de Lui qu’en tout homme nous devons reconnaître un frère et nous l’entendons nous dire : « J’étais un étranger et vous ne m’avez pas recueilli » (Mt 25, 43). »
Message de Noël 2008 de Mgr André Fort, évêque d’Orléans