L’Eucharistie à Québec
Six ans après les Journées Mondiales de la Jeunesse (JMJ) de Toronto, le Canada s’apprête à recevoir, du 15 au 22 juin, des milliers de fidèles du monde entier. Le diocèse de Québec organise en effet le 49e Congrès Eucharistique International. L’Eglise québécoise attend pour cet événement une cinquantaine de cardinaux et près de 15 000 pèlerins, dont 500 à 1 000 Français (et notamment le cardinal Philippe Barbarin, le cardinal André Vingt-Trois et Mgr Dominique Rey). Pour la messe de Statio orbis, qui sera célébrée sur les plaines d’Abraham le dimanche 22 juin, les organisateurs prévoient la venue de 50 000 personnes malgré l’absence du pape Benoît XVI.
Pour les fidèles, ce congrès est l’occasion de prendre conscience que ce qui se vit d’intense dans l’Eucharistie n’est pas coupé de l’ensemble de la vie. A Québec, les congressistes sont invités à réfléchir durant une semaine au thème : « l’Eucharistie, don de Dieu pour la vie du monde ». Pour cela, tous les matins, ils participent à un temps de catéchèse faite par des cardinaux des différents continents. L’Eucharistie est célébrée au milieu de la journée. L’après-midi, un temps d’adoration du Saint-Sacrement est proposé, et des ateliers permettent de découvrir les différentes formes de la vie caritative.
Un peu éclipsé par les grands rassemblements de la jeunesse comme les JMJ, ces congrès populaires existent pourtant depuis plus de 150 ans. Leur création s’inscrit dans le mouvement de spiritualité eucharistique de la fin du XIXe siècle, qui, entre autres œuvres, a édifié la basilique du Sacré-Cœur à Montmartre. En 1873, à Paray-le-Monial, une jeune femme, Emilie Tamisier, sent un appel de Dieu : il lui demande de se vouer « au salut social par l’Eucharistie ». A sa suite, des laïcs et des prêtres organisent en 1881 le premier Congrès Eucharistique à Lille, dont le thème est « L’Eucharistie sauve le monde ». Ces catholiques engagés pensent trouver dans une foi publique renouvelée, le remède à l´ignorance et à l´indifférence religieuse, et à la perte d’influence de l’Eglise dans la société. Dans le contexte de l’établissement de la IIIe République et de lois sur la laïcité, des catholiques décident de montrer qu’ils sont une force.
Découvrir l’universalisme de l’Eucharistie
Aujourd’hui, ces congrès, célébrés tous les 4 ans, sont « une occasion pour une Eglise locale de s’ouvrir sur le monde, explique le P. Denis Metzinger, délégué pour le diocèse de Paris à ce 49e Congrès Eucharistique. Avec le développement du culte eucharistique dans les paroisses, le croyant peut avoir tendance à faire de sa relation avec le Christ une relation exclusive : ma foi, c’est Jésus et moi seul. Pour Jean-Paul II qui l’a convoqué, ce congrès doit, au contraire, revigorer l’Eglise locale. » Ce rassemblement permet de faire localement l’expérience de la communion de l’Eglise universelle, et de comprendre que l’Eucharistie construit la communauté des croyants.
Comme le remarque le P. Denis Metzinger, « le seul risque, comme dans tous les grands rassemblements, c’est que la ferveur fasse oublier que l’Eucharistie est un sacrement que l’on peut recevoir tous les dimanches. Les pèlerins doivent découvrir qu’ils vivent les mêmes expériences dans leur paroisse. » Ses craintes rejoignent les idées exprimées par le cardinal Marc Ouellet, l’archevêque de Québec et le primat du Canada, dans le document théologique de base de ce congrès : « Il importe aujourd’hui de réévangéliser le dimanche, car en beaucoup de milieux, son sens a été obscurci sous la pression d’une culture individualiste et matérialiste. »
Elan missionnaire et caritatif
L’expérience montre que ces congrès réveillent la foi dans le pays qui l’accueille. « De nombreux prêtres, religieuses et laïques de ma génération ont été marqué par le dernier congrès organisé en France, en 1981, à Lourdes, raconte le P. Denis Metzinger. Après cet événement, les vocations sacerdotales et religieuses ont augmenté. » Autre fruit espéré de ces congrès, l’envoi en mission et l’encouragement à « témoigner sans hésitation » de l’amour du Christ, comme l’a indiqué Benoît XVI, le 9 novembre 2006, aux membres du comité pour les Congrès Eucharistiques Internationaux.
Dans son invitation aux croyants, le cardinal Marc Ouellet rappelle que l’Eglise catholique « puise à la source de la Sainte Eucharistie l’inspiration et l’énergie qui stimulent l’engagement de tous dans la construction d’un monde plus juste et fraternel. » En effet, comme l’explique le P. Florian Racine, délégué pour le diocèse de Fréjus-Toulon à Québec : « Pour annoncer le Christ avec conviction, il faut le connaître et l’aimer. Pour ceci, il est nécessaire de le rencontrer personnellement. L’évangélisation naît du contact personnel avec Jésus Christ. Cette rencontre se réalise de manière privilégiée dans l’Eucharistie. »
Depuis le concile Vatican II, la dimension d’évangélisation des congrès a pris une coloration humanitaire. Chaque rassemblement s’accompagne d’un appel à l’action sociale (charité, lutte contre la pauvreté et la faim, etc.). Des précédents congrès, il reste des signes de charité et de solidarité, notamment des logements pour les personnes âgées à Nairobi au Kenya (1985) ; à Séoul (1989) le mouvement One heart, one body continue à partager avec les églises pauvres, et à essayer de réconcilier le Nord et le Sud de la péninsule coréenne, et à Rome (2000), le dispensaire de la gare Termini accueille toujours les personnes défavorisées.
A Québec, les fonds recueillis seront reversés à la fondation du cardinal Marc Ouellet qui vient en aide depuis 2006 aux immigrants et aux réfugiés dans le besoin. Si ces congrès se sont institutionnalisés, ils ont finalement peu changé de perspective : ils restent une source de renouveau spirituel.
Le don de Dieu
« Il est particulièrement important aujourd’hui de faire mémoire du don de Dieu, car le monde actuel connaît, au milieu de progrès techniques remarquables, notamment dans le domaine des communications, un vide intérieur dramatique vécu comme une absence de Dieu. Fasciné par ses propres performances créatrices, l’homme contemporain tend en effet à oublier son Créateur et à se poser comme l’unique maître de sa propre destinée.
Par ailleurs, l’oubli du Créateur risque d’enfermer l’homme (…), dans un égocentrisme qui engendre une incapacité d’aimer (…).
La Sainte Eucharistie contient l’essentiel de la réponse chrétienne au drame d’un humanisme qui a perdu sa référence constitutive au Dieu créateur et sauveur. »
Cardinal Marc Ouellet, document théologique de base du congrès.