Rencontre avec... Michel Hélayel
Le Liban est votre terre d’origine et vous vivez en France…
Je suis un homme avant d’être Libanais. D’habitude lorsqu’on me pose cette question, je n’y réponds pas de cette manière. Mais si Dieu a créé l’humanité, ma patrie à moi, ce n’est pas le Liban, la France ou la Chine… mon pays, c’est Dieu. Mon village natal, c’est Dieu.
Que veut dire la poésie ? Pourquoi en écrivez-vous ?
La poésie est pour moi le plus court chemin de l’univers vers soi. C’est pourquoi j’aime m’exprimer à travers la poésie. Pour moi c’est une expression, uniquement, un langage, une manière d’écrire, c’est quelque chose qui libère. C’est une manière d’écrire comme une autre, au même titre qu’on écrit de la philosophie, de l’économie, de la politique… Elle est enracinée dans la vie, elle n’est pas détachée de la réalité. Avec la poésie je m’exprime plus amplement.
On a envie de dire : « A quoi ça sert ? »
Le chemin de la poésie, en réalité, est dans la glorification du divin. C’est un chemin que je considère comme étant très humain.
J’aurais aimé que vous me répondiez que cela ne sert à rien. Car je sens bien qu’il y a Dieu derrière tout cela ; et Dieu à quoi sert-il ?
Celui qui voit les êtres, qui voit tout en lui, qui trouve en lui son but, qui se voue à lui, celui-là ne se sépare jamais de moi, jamais je ne me sépare de lui. En réalité j’écris pour Dieu comme pour tout homme lorsque je m’exprime en poésie.
Pour moi l’arbre, le cèdre, ne peut pas être détruit par le vent.
Le cèdre, c’est aussi le Liban…
Oui, géographiquement.
Vers le milieu de votre livre on trouve le poème suivant :
En ces temps où je meurs
Des cachots de terreur
En ces temps où je meurs
De l’eau des faux sauveurs
En ces temps où l’amour
Dans mon cœur est seigneur
L’amour répète à voix muette
L’amour tempête
Depuis combien de temps
Je viens te voir amant
A quoi bon
Je perds mon temps
Comme si l’amour est sans amour
Comme si l’amour est
un marchand
Comme si l’amour avec le cœur
Dans le présent de l’eau en fleur
Tourne en rond de pleurs
en pleurs
Comme si l’amour sur cette terre
Est bague sans nom
Maison sans peau
Chaussure manchon jusqu’au néant
Qu’est- ce que c’est cette « eau en fleur » dont vous faites aussi votre dernier chapitre ?
C’est la mer : une montagne d’eau…
Quand on feuillette votre livre on passe de sommets en abîmes : il y a L’eau en fleur et L’appel aux morts (« …Sans terre et sans image – Sans hymne et sans toit – Acheté par la croix… »). Qu’est-ce que c’est ?
C’est un livre qui essaie de réveiller ceux qui sont endormis, ceux qui naissent dans le lit et meurent dans le lit. C’est un appel pour faire de l’ennemi un ami.
Ce que vous écrivez tient parfois une page entière mais parfois, à la manière des poèmes japonais, est lancé en quelques mots seulement, comme ceci qui est délicieux :
Après moi le déluge
Est une parole de roi
Avant moi le déluge
Est une parole de foi
Oui, il faut s’appuyer sur la foi dans la vie sinon on n’a pas un langage de raison. C’est un arbre qui vient vers moi et je l’accueille avec une main tendue.
Il n’y a de poésie, donc de vie, que dans une respiration qui respecte le rythme du silence qui parle entre les mots. Dans votre livre, on a, pour quatre lignes, une page entière avec tout son blanc qui est autant une respiration que le silence entre nos paroles.
Vous parliez de poésie japonaise. La poésie japonaise, les haïkus japonais, expriment la nature. Or chez moi, ce raccourci, cette manière d’écrire avec peu de mots, exprime les sentiments de l’homme. Voilà la différence entre la poésie japonaise et ma poésie.
Mourir, souffrir, et puis dormir, c’est accepter d’être moins homme…
Pour moi l’homme est Dieu, dans son développement historique, et le développement historique ne s’arrête jamais, n’est jamais achevé. C’est la raison pour laquelle l’humain, l’homme, ne peut pas atteindre Dieu étant donné qu’il y a toujours une continuité. L’homme ne peut pas devenir Dieu.
Mais Dieu peut atteindre l’homme ?
Dieu peut atteindre l’homme. Dieu s’est fait homme pour que l’homme se fasse Dieu :
C’est l’heure où l’homme
Se doit de faire hausser
L’être premier
Sans déifier
C’est l’heure où l’homme
Se doit de faire baisser en lui
L’être suprême
Sans s’effacer
Il s’est abaissé jusqu’à nous pour nous élever jusqu’à lui…
Oui. Pour nous montrer le chemin.
Votre poésie est pétrie de foi. Pourtant on ne trouve pas dans ce livre une multiplication de paroles pieuses. Il faut trouver Dieu en filigrane, comme une recherche, une imprégnation au-delà des mots.
Oui, c’est une recherche au-delà des mots. Mais on est bien obligé de passer par le mot pour exprimer le Verbe. Qui est chair.
On ne peut lire vos poèmes qu’à haute voix. Les anciens ne lisaient qu’à haute voix. Et alors il se pourrait que je sois tenté d’en corriger un mot ou l’autre, est-ce scandaleux ?
Non, parce que je suis de ceux qui croient que la poésie, le langage, doivent être exprimés par tous et pour tous. La poésie n’est pas une propriété privée. Elle n’est pas non plus, d’ailleurs, une propriété collective. Donc, lorsque quelqu’un change un mot, ou ré-écrit le poème, ça ne me choque pas. Parce que je n’écris pas seulement pour moi. J’écris pour le lecteur en même temps que pour moi-même. La poésie est pour moi une manière d’être dans le monde.
Ce livre est un recueil de poésies rassemblées de 1979 à 80 ?
C’est un livre que j’ai écrit depuis longtemps. C’est le premier livre que j’ai écrit en France. Je l’ai laissé dans un tiroir. Je ne l’en ai sorti qu’après avoir publié bien d’autres choses. Je pense qu’il est toujours actuel parce que le mot exprime l’éternité.
Quand je songe être né
Avant la disparition du dernier porte-avion
La colère me dresse en flamme
Quand je partage les idées
Les espoirs des enfants innocents
Je me console
Quand il me faut tisser le soleil
Robes sur les corps des enfants
du monde
En patience
Je voudrais tant être oublié par
la mort
Questionnaire Saint-Antoine
Connaissez-vous Saint-Antoine de Padoue ?
Oui… : Saint-Antoine de Padoue, rendez ce qui n’est pas à vous…
Non.
A tous les moments. Dieu n’est pas extérieur à l’homme, c’est pourquoi je suis habité.
Dans la foi.
Comment, qui priez-vous ?
Dieu. Mais Dieu passe par l’homme.
Vous voyez des raisons d’espérer dans…
J’ai écrit un jour un poème qui disait :
« J’ai envie de m’en aller
Mais partir maintenant…
Mais rester sur terre
Est plus urgent pour notre terre ».
Comment pouvons-nous rendre ce monde meilleur ?
Diderot a dit : « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire », et moi je dis : « Hâtons-nous de rendre habitable cette terre. »
Citez une figure contemporaine qui vous inspire.
Tous les hommes m’inspirent.
* Editions L’Harmattan