La côte d’Adam “construit” la femme
«L’émancipation de la femme”, qui a débuté dans la seconde moitié du XIXe s., a été un événement fondamental de la promotion humaine au cours du dernier siècle. Mais que signifie, au regard du chrétien, cette prise de conscience ?
Toute évolution de la pensée réalise, à nos yeux, l’Incarnation, c’est-à-dire le chemin, long et difficile, de l’homme vers la découverte de la présence de Dieu au cœur du monde et pour en devenir conscient. Dieu a créé l’être humain pour qu’il “cultive” sa terre, son existence (cf. Gn 2,15), sous l’action de l’Esprit créateur. Au premier chapitre de la Genèse, il est dit que Dieu créa l’homme « mâle et femelle » (Gn 1,27) et cette expression souligne l’égale dignité de l’homme et de la femme. Et la “côte” prise à l’homme – à “l’être humain, homme/femme” – traduit un mot hébreu qui signifie “côte d’un bâtiment”, d’où l’idée de construction soulignée plus loin. Mais on la traduit généralement par “coté”, tendance, voire instinct, bon et mauvais : capacité de penser et d’agir sous la poussée de l’Esprit ou illusion de pouvoir atteindre le bonheur par ses propres forces.
La femme “construit” et discerne
Mais nous pouvons également trouver dans le mythe de la “côte” une indication sur la nature et le rôle de la femme. Le texte de la Genèse dit : « Le Seigneur transforma la côte… en une femme. Le mot “transforma”, “façonna” vient d’une racine qui signifie “bâtir” ou “discerner”, précisément, entre le bien et le mal. Ce mot désigne alors une véritable vocation : la femme est une créature, capable de comprendre où est le bien, un être en somme doté d’une véritable sagesse. En ce sens, il ne faut pas avoir peur d’affirmer que la femme est par sa nature “prophétique”, capable de percevoir les conséquences de ses actes.
La Bible fournit un grand nombre de femmes plus clairvoyantes que les hommes, capables de déceler la présence de l’Esprit, les résistances que lui oppose l’humanité et de trouver la solution. Voyez Judith. Face à l’ennemi qui menace la ville de Béthulie, les chefs du peuple cèdent au désespoir et prônent la reddition immédiate (Jd 7,24-28). Judith, elle, les ranime en disant : « Rendons grâce au Seigneur notre Dieu qui nous met à l’épreuve » (Jd 8,25) ; et c’est elle, femme sans défense mais pleine de confiance, qui sauve la ville et le peuple. Et dans la Genèse Dieu lui-même dit à Abraham (Gn 20,12) : « Ecoute tout ce que te dit Sara ; écoute sa voix » : écoute-là non seulement parce qu’elle est ta femme, mais encore parce que sa voix traduit pour toi un profond appel spirituel.
Rivalité ou harmonie ?
Personne ne doute que l’un des problèmes de l’émancipation de la femme, soit sa prétention à rivaliser avec l’homme. Mais face à cette tendance de tout être humain de rivaliser avec son semblable, l’Evangile parle de petitesse, recommande de choisir la dernière place.
Aussi la femme chrétienne doit-elle réagir contre la tendance à imiter en tout l’autre sexe, un comportement qui finit par nuire à l’entente au sein du foyer, dans le travail, en politique. Chaque être possède ses qualités, qui se complètent sans prévaloir. Si la femme est “prophétique”, c’est parce qu’elle est à l’écoute de la vie qu’elle jouit d’une intelligence particulière pour la protéger. Elle sent, comme dit Judith, (12,18) « la vie s’ouvrir » en elle, tandis que l’homme est mieux apte à édifier des structures et à les défendre.
Etre femme, c’est donc servir et garder la qualité de la vie ; croire qu’après chaque épreuve, il y a quelque chose de nouveau, une vie à découvrir.
C’est pressentir, par-delà la révolte de l’adolescent, sa recherche d’identité, par-delà la violence, une souffrance qui attend la compréhension, par-delà toute sorte de mal, l’attente d’une nouvelle manière de grandir, sûr de la victoire du Bien. Etre femme, c’est attendre dans la confiance, sans entraver le jaillissement d’une nouvelle manière d’être.
C’est enfin, renoncer à rivaliser avec l’autre sexe, pour devenir la compagne et l’éducatrice de l’homme, lui rappeler ses limites, elles-même ouverture vers des possibilités insoupçonnées de la vie.
Les Femmes et l’Eglise
reconnues, mais...
par Cettina Militello, théologienne, exprime ses convictions et ses doutes *.
Depuis le Concile Vatican II, le rôle de la femme dans l’Eglise a fait des pas de géant, mais le chemin est encore long.
Le Messager. Partons, si vous voulez bien, des origines…Cettina Militello. Le Nouveau Testament présenterait, d’après certains auteurs, une communauté dans laquelle les disciples, hommes et femmes, sont à égalité dans la suite du Christ et annonce de l’Evangile. Mais cette parité s’estompe très vite. Avec les Pères de l’Eglise, le moyen âge et les temps modernes jusqu’au XIXe s., elles sont l’égales de l’homme dans l’ordre de la grâce – tous, hommes et femmes, participent au salut en Jésus Christ et aux sacrements de l’initiation chrétienne, baptême, confirmation, eucharistie –, mais la femme est inégale dans l’ordre de l’histoire et de la participation à la vie civile et religieuse. Ce qui fait la différence, dans l’Eglise – et dans la société – c’est la condition dans laquelle la femme naît.
Au cours du XIXe s., à la faveur de situations sociales et politiques nouvelles, la femme s’achemine vers son émancipation. En 1963, dans son encyclique Pacem in terris, Jean XXIII emploie une formule qui fait choc : « … de plus en plus consciente de sa dignité humaine, la femme n’admet plus d’être considérée comme un instrument. Elle exige qu’on la traite comme une personne aussi bien au foyer que dans la vie publique ». Les prises de conscience du Concile ne sont pas loin.
– Qu’est-ce qui change avec le Concile ?
– Le mode d’appartenance à l’Eglise. Celle-ci n’est plus liée à un critère hiérarchique (supérieur-inférieur), mais à l’initiation chrétienne : nous sommes tous, au même titre, membres du peuple de Dieu. Avec le Concile, les femmes ont accès à l’étude et à l’enseignement de la théologie (aussi bien en Italie qu’en France d’ailleurs, ndlr). Mais cela ne résout pas le problème…
– Pourquoi ?
– Parce que le préjugé culturel, hiérarchique, demeure ; ainsi que la conception du “pouvoir” lié au ministère dans l’Eglise. La crainte de perdre le pouvoir oppose, encore, clercs et laïcs, femmes et membres du clergé. Les rôles des différentes composantes, au sein de la communauté de l’Eglise, ne sont pas définis. Avec les derniers papes, l’attention envers la femme s’est accrue, il est vrai ; reste cependant à élaborer la vraie figure de la femme : égalité, bien sûr, mais aussi réciprocité. La théorie a progressé, mais la pratique est encore à l’état rudimentaire.
– En quoi la participation de la femme à la vie de l’Eglise est-elle manquante ?
– Les laïcs, hommes et femmes, ne sont pas très présents au niveau des responsabilités, et lorsqu’ils sont présents, ils sont “cléricalisés”. En outre, il persiste dans l’Eglise un préjugé anti-femme… Comment peut-on l’assumer comme compagne si l’on continue à donner d’elle une image négative, de “fille d’Eve” ? Tant que le seul modèle positif est la Vierge Marie, elles auront beaucoup de peine à se faire respecter et à être accueillies.
– Quels seraient, d’après vous, les pas à accomplir ?
– L’une des voies possibles pour que la femme soit active dans l’Eglise, c’est sa compétence théologique. Une femme pourvue de savoir peut s’exprimer, intervenir, et ne peut être réduite au silence.
Il y a sûrement des femmes qui sont admises à l’élaboration de projets pastoraux, voire de documents d’Eglise, mais que peuvent-elles vraiment faire ? Ne sont-elles pas une sorte “fine fleur” à laquelle on rend hommage alors qu’en fait rien ne change.
– Quel conseil donneriez-vous aux femmes ?
– Etudier ! Non seulement dans les Universités ou les Instituts catholiques, mais aussi au niveau de la base, dans les paroisses. Il y a des parcours bibliques, des cours de liturgie, d’histoire, de catéchèse, ouverts à tous… Celle ou celui qui veut vraiment compter dans une communauté doit pouvoir donner raison de sa foi et de son espérance.
* Cettina Militello dirige la chaire “Femmes et Christianisme” à l’Institut Marianum de Rome et dans d’autres athénées de la capitale italienne. Auteurs de plusieurs ouvrages, sa réflexion porte sur l’ecclésiologie, l’anthropologie et la mariologie.
Femmes diacres ?
Il peut paraître contradictoire qu’au moment où l’Eglise cherche à rattraper ses retards et à redonner à la femme sa dignité et son rôle, elle persiste à lui nier l’accès, non seulement à la prêtrise, mais au diaconat. Qu’en est-il exactement ?
L’étude sur le diaconat, publiée récemment par la Commission théologique internationale laisse la question en suspens tant au niveau historique qu’au niveau théologique.
D’après l’histoire, « les diaconesses dont il est fait mention dans la Tradition de l’Eglise ancienne… ne sont pas purement et simplement assimilables aux diacres »…
D’après la théologie, le sacrement de l’ordre est un, avec la claire distinction entre les ministères de l’évêque et des presbytres et le ministère diaconal. Ce qui signifie que si l’Eglise consent à ordonner des femmes diacres, cette étape devrait conduire normalement à l’ordination de femmes prêtres. Ce qui n’est pas encore pour demain…