Mexique-Europe
Toutes les salles du musée sont réservées à cette exposition exceptionnelle. 75% des œuvres présentées viennent des collections publiques et privées du Mexique. Cette exposition d'envergure inscrite dans le cadre de Lille 2004, fait d'ores et déjà figure d'apothéose de la manifestation. Son originalité : montrer l'art du XXe siècle mexicain. Toutes les expositions précédentes étaient focalisées sur l'art précolombien ou bien prétendaient présenter un panorama des origines à nos jours. Pourtant, dès le début du siècle, de nombreux artistes mexicains séjournèrent notamment à Paris et se nourrirent de l'art européen, puis à partir des années 1920, le Mexique révolutionnaire attira bon nombre d'artistes européens.
L'exposition, qui suit un parcours chronologique, s'ouvre symboliquement en 1910, année où éclate la révolution mexicaine et s'achève en 1960, date à laquelle s'affirme une nouvelle génération d'artistes. L'exposition s'ouvre avec les portraits d'Hermenégildo Bustos, sorte de Douanier Rousseau mexicain, qui, selon l'écrivain Octavio Paz, est un peintre plus ou moins habile d'images religieuses traditionnelles et d'ex-voto populaires, qui mérite d'être reconnu pour ce qu'il a véritablement été : un extraordinaire portraitiste .
Puis le visiteur découvre le Docteur Atl, artiste très célèbre au Mexique. Derrière ce pseudonyme, se cache Gerardo Murillo, un peintre spécialisé dans la représentation de volcans, en particulier du Paricutín. Il faut dire que ce dernier a brusquement surgi à l'est de Mexico en 1943, de quoi marquer les esprits ! Ce Docteur Atl fut surtout à l'origine de la rébellion des étudiants de l'Académie San Carlos contre la pédagogie rétrograde de cette école d'art réputée.
La salle suivante est consacrée aux années parisiennes des artistes mexicains, notamment de Diego Rivera et de Angel Zagarrà. C'est l'occasion d'évoquer l'ambiance artistique entre fauvisme et cubisme qui régnait dans la capitale française autour de la première guerre mondiale.
Voisin de Mondrian, Rivera rencontre vite Picasso et Fernand Léger et devient ami avec Juan Gris, Soutine, Zadkine... Au cours d'un voyage en Espagne, il découvre Greco et peint une Vue de Tolède en 1912, qui montre comment l'exemple du maître l'a encouragé à styliser, sans crainte de gauchir la perspective. Rivera géant bafouilleur, modérément chevelu mais échevelé, barbu suffisamment, montrant les dents, costaud jusqu'à faire impression mais mal bâti... , comme le décrit André Salmon, se plaît aux discussions théoriques. André Lhote venait souvent pour parler peinture avec Diego qui pouvait discuter des heures, dessinant, expliquant, pâlissant et devenant de plus en plus agité.
La mexicanité
L'exposition nous révèle José Guadalupe Posada et Jean Charlot, deux figures avec lesquelles la mexicanité va se révéler prépondérante.
L'œuvre grinçante et satirique du graveur Posada sera en effet une des sources majeures de l'inspiration de l'art mexicain des années qui suivirent. Avec une grande virtuosité dans l'utilisation des noirs et des blancs et de toute la gamme des gris, il produit énormément d'œuvres très populaires. Il développe notamment l'art du cavalera. L'image de la Tête de mort bonne vivante qui montre une femme de la bourgeoisie avec son chapeau et ses beaux atours mais dont le visage est une tête de mort, est devenue une sorte d'emblème de la mexicanité. La gravure, parce qu'elle est relativement économique et de grande diffusion, sera l'un des moyens d'expression favoris de bons nombres d'artistes engagés dans l'atelier de Gravure Populaire créé en 1937. Cette sorte de laboratoire dans lequel les artistes se stimulent les uns les autres résistera jusque dans les années 1960, même si, au fil des ans, il perdra de sa créativité.
Jean Charlot, artiste franco-mexicain a émigré au Mexique en 1921, en apportant son savoir-faire de fresquiste, acquis à Paris auprès du peintre Marcel Lenoir. C'est de toute évidence l'une des découvertes de l'exposition. Jean Charlot était aussi érudit en culture amérindienne. En arrivant dans le pays de ses ancêtres du côté maternel, il approfondit ses connaissances en visitant musées et sites archéologiques. Il travaille même en tant qu'archéologue à Chichen Itza. Il apprend le Náhuatl, la langue des Indiens. Plus concrètement, il aide ses collègues mexicains à mener à bien l'étude de leur patrimoine culturel. Dans leur recherche d'authenticité, bien des artistes vont en effet se nourrir de l'art populaire et de leurs racines indiennes. Dans sa première fresque murale, Le Massacre dans le temple principal, qui date de 1922-1923, Charlot montre des danseurs rituels indiens attaqués par des chevaliers caparaçonnés dans des armures ressemblant à des machines.
Le muralisme
La peinture murale mexicaine est incontestablement l'expression la plus connue de l'avant-garde mexicaine et paradoxalement celle qu'on a le moins vu. Peindre sur les murs. N'était-ce pas là le moyen le plus radical de rendre l'art accessible à tous ? Autre caractéristique qui enchante les créateurs novateurs : ces fresques sont intransportables, donc hors de portée de spéculations. Mais du coup elles sont périssables. Cette dernière constatation est à l'origine, quelques années plus tard, d'un système de béton peint fixé à une armature de métal qui permet à la fresque d'être quand même déplacée. Grâce à cela, nous avons le privilège de pouvoir en admirer quelques-unes. Une prouesse néanmoins et une première en Europe. En effet, le panneau de Diego Rivera consacré à la bataille de Puebla, pèse plus d'une tonne et avec son emballage, le poids doublait !
Ces belles fresques quasiment intransportables n'étaient payées que par de modestes subventions. Alors, malgré une prise de position fermement opposée à la bourgeoise peinture de chevalet, les muralistes se remirent aux toiles. Et heureusement pour nous. Parmi les chefs d'œuvre présentés ici, notons la très belle Marchande de fleurs, peinte par l'incontournable Diego Rivera en 1949, mais aussi le Campement d'un colonel zapatiste de Fernando Leal, réalisé en1921 et aussi le somptueux Halloween de Philip Guston, datant de 1942.
Des artistes femmes exceptionnelles
Ce qui frappe dans cette exposition, c'est le nombre et la qualité des tableaux peints par les femmes quel que soit le courant - le stridentisme (version mexicaine du futurisme), le surréalisme. Aucune volonté particulière du commissaire mais une constatation de la présence de fortes personnalités artistiques féminines.
On connaît bien sûr Frida Kahlo dont on découvre des œuvres de très belle facture, exposées pour la première fois en Europe. Mais il y a aussi l'œuvre magnifique de Maria Izquierdo, une artiste repérée déjà par Antonin Artaud et qui vient d'être reconnue trésor national au Mexique. Cela signifie que ses œuvres ne sortiront plus des collections d'Etat mexicaines, ce qui explique que certaines toiles initialement prévues et reproduites dans le catalogue n'ont pu venir et ont dû être remplacées par des œuvres en provenance de collections privées. A noter encore Leonora Carrington, Remedios Varo et Olga Costa dont on admirera l'impressionnante Petite fille aux Sandales.
Enfin la dernière partie de l'exposition est consacrée à la Ruptura. Les artistes désenchantés, après cet élan populaire, reviennent à une expression plus individualiste. En même temps, c'est cette même révolution, notamment picturale, qui a fondé les bases d'un art authentiquement mexicain. La rupture s'est en fait opérée progressivement. L'une des grandes figures de cette période est Rufino Tamayo. Après avoir été totalement intégré aux courants artistiques dominants, cet artiste sincère, toujours en quête de son propre langage, devient l'un des premiers dissidents. Il quittera d'ailleurs son pays pour s'installer aux Etats-Unis où il survivra difficilement. Il n'en demeure pas moins qu'il est devenu l'instigateur d'une nouvelle étape, premier signal de ce que l'on a nommé, vingt ans plus tard, la Ruptura. Il est intéressant de remarquer comment l'œuvre de Tamayo, à la fois authentiquement mexicaine s'intègre en même temps dans un courant international qui fait de lui un artiste universel.
Pour compléter ce panorama artistique du Mexique du XXe siècle, deux salles sont consacrées à la photographie. La première, au début du parcours de l'exposition, propose des tirages originaux de Edward Weston, Tina Modotti, Henri Cartier Bresson, et aussi du mexicain Casassola, auteur du célèbre portrait de Zapatta que l'on trouve dans tous les manuels scolaires. La deuxième section photographique, à mi-parcours, présente les superbes photos de Manuel Alvarez-Bravo ainsi que celles de Juan Rulfo et de Lola Alvarez Bravo. Notons encore les portraits de Gisele Freund représentant les artistes Frida Kahlo, Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros.
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Musée d'art moderne Lille Métropole,
1, allée du Musée, 59650 Villeneuve d'Ascq.
Tél. : +33-(0)-3-20 19 68 68.
Tous les jours, sauf mardi, de 10h à 18h. Nocturne le jeudi jusqu'à 21 h.
Catalogue, 326 pages, Editions Cercle d'Art, 45 €.