Sandro Botticelli : un Florentin à Paris
Sandro Botticelli est sans doute l'un des peintres du Quattrocento italien les plus connus avec Fra Angelico. Certaines de ses peintures comme la Naissance de Vénus sont même si célèbres qu'elles sont devenues de véritables icônes de la culture moderne. Cette Vénus a en particulier l'ambigu privilège d'être transformée en statue de jardin en pseudo-marbre et même, réduite à son visage et à une partie de ses cheveux emportés par le vent, de servir de logo à une entreprise d'informatique spécialisée en création de logiciels ! Cette gloire relativement récente, fait remarquer Daniel Arase, le commissaire de l'exposition, efface les longs siècles d'oubli . En effet, de son vivant, après avoir connu un vif succès, Botticelli semble avoir été moins demandé durant les dix dernières années de sa vie. Il tomba ensuite dans un oubli profond qui perdura plusieurs siècles. Les romantiques et les préraphaélites furent les premiers à le réhabiliter suivis par sur les esthètes de la fin du XIXe siècle. Aujourd'hui, de nouveau en pleine lumière, on peut admirer ses chefs-d'œuvre d'où émane l'idée d'une beauté universelle et immuable si chère à l'esprit de la Renaissance.
Consacré par les Médicis
Alessandro Filipepi est né à Florence en 1445. Son père, Mariano, était peaussier. Il se peut que le surnom insolite sous lequel le peintre est universellement connu soit associé, selon l'historien Vasari, à celui d'un orfèvre, ami de son père, avec lequel le jeune garçon aurait été apprenti, il aurait été forgé par ailleurs pour l'un de ses frères. Sandro travailla plus probablement pendant quelque temps dans l'atelier de ce frère orfèvre et hérita du surnom que portèrent par la suite tous les hommes de la famille. De fait, la chronologie de Botticelli est compliquée et pleine d'incertitudes. Nous savons cependant de source sûre qu'il fut admis dans l'atelier de Filippo Lippi en 1464. Ensuite, on suppose que, Lippi étant parti pour Spolète, Sandro reprit son atelier ou bien que, ayant achevé son apprentissage, il commença à fréquenter l'école de Verrocchio. Il obtint sa première commande officielle en 1470, date à laquelle le nom de Botticelli figure parmi ceux des maîtres d'atelier. Il a 25 ans. Le tableau en question, la Vertu Fortitudo , est une allégorie de la force destinée au tribunal de l'Arte della Mercanzia (Guilde des Marchands) de Florence. C'est le succès. Toute la ville défile devant cette œuvre. Les grandes familles, à la recherche de jeunes artistes capables de contribuer à leur notoriété, se pressent alors chez lui, pour passer commande qui une Madone, qui une sainte Elisabeth ou un saint Augustin... Et, en 1475, Julien de Médicis lui-même, héros d'un tournoi grandiose offert par son illustre famille, arbore une bannière peinte par Botticelli.
Entre 1481 et 1482, l'artiste séjourne à Rome, et, avec d'autres peintres florentins comme Cosimo Rosselli et Domenico Ghirlandaio, il travaille à la décoration des murs de la Chapelle Sixtine. Puis il revient sur les bords de l'Arno qu'il ne quittera plus jamais. Il intègre alors le cercle restreint dominé par la philosophie platonicienne et la philologie antiquisante mais aussi versé dans l'art de l'emblème, la symbolique, l'héraldique et l'astrologie. Sandro Botticelli fut sans aucun doute le témoin et l'interprète le plus intelligent de cet univers créé autour des Médicis. Personne n'a su mieux que lui répondre aux attentes de cette élite. Ceci explique son succès des années 1470 et 1480. A ce moment-là, l'artiste réalise quelques-unes de ses plus belles peintures de thèmes mythologiques et poétiques dont les trois célèbres tableaux conservés au musée des Offices : le Printemps, la Naissance de Vénus et Pallas et le Centaure. Cette dernière œuvre est présente dans l'exposition.
Le tableau, un peu moins connu que les deux précédents, représente une femme couronnée de branches d'olivier, vêtue d'une longue robe brodée de motifs d'anneaux de diamants tressés. La jeune femme portant une sorte de hallebarde saisit de la main droite la chevelure d'un centaure armé d'un arc et d'un carquois. Il incline la tête en signe de soumission. Dès l'Antiquité, le centaure, mi-homme, mi-animal, représentait les instincts féroces et sensuels, le désordre et le vice. Toutefois, la difficulté d'identifier le personnage féminin, qui ne porte pas d'attributs spécifiques, empêche de comprendre cette allégorie, dont la signification fait encore l'objet de débats, d'interprétation et d'hypothèses les plus divers.
Des Madones à la beauté de Vénus
L'exposition commence avec une très belle Vierge à l'Enfant et un ange , conservée au musée Fesch d'Ajaccio. Il s'agit d'une œuvre de jeunesse datée de 1465. Elle comporte encore de nombreuses maladresses. La Vierge y est représentée en pied, un schéma que l'artiste ne reprendra que rarement par la suite. Mais on retrouve déjà cette tendresse extraordinairement maternelle qui va caractériser ses madones auxquelles il n'hésite pas à donner la beauté de Vénus tandis qu'à ses Vénus, il offre des visages de madone. Il va peindre avec la même grâce et le même élan, d'innombrables vierges à l'enfant. Il faut dire qu'à cette époque se répandent des pratiques de dévotion individuelle s'effectuant surtout dans l'intimité de l'espace domestique et au cours desquelles on préfère se recueillir devant des images de l'Incarnation plutôt que celles de la Passion. Ainsi, ces madones qui proposent un modèle absolu de l'amour maternel constituèrent des cadeaux de noces de choix que ce soit du point de vue dévotionnel ou du message explicitement augural de la famille à venir.
L'exposition en présente huit - sept peintures et un dessin - dont l'extraordinaire Vierge à l'Enfant et le petit saint Jean du Louvre. Il y a dans le regard de l'Enfant qui repose sa tête sur l'épaule de sa mère tant de confiance et d'abandon et en même temps une interrogation peut-être sur la mélancolie du beau visage grave de la Vierge. On y perçoit encore l'influence de ses maîtres Lippi et Verrocchio mais elle annonce déjà la monumentalité à la fois solide et limpide des œuvres de la maturité.
Tout au long de sa vie, Botticelli a travaillé à épurer de plus en plus son style. De même, il s'attacha à simplifier les vêtements. Il suffit de comparer la Vierge à l'Enfant et trois anges dite Madone au Pavillon peinte vers 1493 et la Vierge à l'Enfant étreignant le petit saint Jean réalisée sept ans plus tard. Dans le premier tableau, le peintre insiste encore sur les transparences du voile et sur les dorures des profils des vêtements et de l'auréole tandis que dans le second, la madone est vêtue d'habits simples. La tête et les épaules sont enveloppées dans une bande de tissu lourde et même l'auréole n'est qu'un disque compact.
Cette figure de Marie élaborée par Botticelli dans la dernière phase de sa carrière remplace la majesté des Madones des années 1480 par un air humble qui n'est pas sans rappeler les prédications de Savonarole. Ce moine dominicain venu de Ferrare pour annoncer aux Florentins l'Apocalypse dans son célèbre sermon de 1496, avait rappelé aux peintres que la Vierge était une jeune fille pauvre, habillée simplement.
Portraits
On ne saurait passer sous silence une autre dimension du maître, même si le nombre des portraits qui nous sont parvenus est restreint. Remarquables, ils nous semblent souvent énigmatiques. Le Portrait d'homme tenant une médaille de Cosme l'Ancien , par exemple représente un jeune homme vêtu de noir, portant un couvre-chef rouge et tenant dans les mains la médaille de Cosme l'Ancien. On sait que c'est une œuvre de jeunesse de Botticelli mais de l'identité du jeune homme, on continue à tout ignorer. Aucune hypothèse n'a permis à ce jour de le nommer. De même pour cette jeune femme délicate peinte de profil à mi-corps et vêtue avec simplicité et raffinement, selon le goût alors en vogue dans la classe florentine aisée. Botticelli s'inspire ici de l'antique tradition des médailles alors en usage à Florence consistant à mettre en valeur le profil très net du personnage. De même encore, cet autre portrait de femme conservé à la Galerie Palatine. La femme, à la physionomie très caractéristique, avec un nez prononcé et une bouche bien dessinée, porte une robe simple, serrée à la taille. Le fait que le personnage soit décentré vers la gauche donne à ce portrait un côté inattendu d'où l'humour n'est pas exclu.
L'exposition s'achève avec une séquence confrontation un peu gratuite mais qui nous permet de voir les Épisodes de la vie de Lucrèce et les Trois archanges et Tobie , deux très beaux tableaux de Filippino Lippi, le plus important de ses disciples ainsi que Vaschi quitte le royaume de Suse, réalisé par les deux artistes vers 1475, un bel exemple des collaborations qui s'effectuaient au sein de l'atelier du Maître. Il est probable d'ailleurs que Filippino ait peint la plus grande partie de cette composition sur des suggestions de Botticelli.
Musée du Luxembourg, 19, rue de Vaugirard, Paris 6e. Tél.: +33-(0)1-42 34 25 95.
Web: www.museeduluxembourg.fr
Catalogue, 240 p., 39 €