Hiroshima, le 6 août 1945 à 8 heures, 16 minutes et 2 secondes
À l’aube du 6 août 1945, un bombardier B-29 s’envole de la base aérienne américaine de Tinian, dans les îles Mariannes, pour se rendre au Japon, vers un objectif encore indéterminé. Baptisé Enola Gay, du prénom de la mère du colonel Paul Tibbets qui est aux commandes, l’avion emporte avec lui une dizaine d’hommes qui veillent sur Little Boy (petit garçon), la seconde bombe atomique à l’uranium 235 jamais construite, la première ayant réussi son essai, un mois auparavant, à Alamogordo (Nouveau-Mexique).
Recouverte d’insultes contre les Japonais, cette bombe qui a la puissance de 12 500 tonnes de TNT, s’apprête à ouvrir un nouveau chapitre de l’Histoire de l’humanité où, pour la première fois, l’homme aura entre les mains un engin de destruction qui va frapper les imaginations en laissant entrevoir la possibilité de la fin de toute vie sur terre.
Parmi plusieurs cibles potentielles, le choix se porte en cours de vol sur Hiroshima, du fait d’excellentes conditions météorologiques. La bombe est larguée peu après 8h15 et à 8h 16min 2s, après une chute de 9 000 mètres qui n’a duré que 43 secondes, elle explose à 587 mètres du sol. En quelques fractions de secondes se forme une énorme bulle de gaz, un champignon de 400 mètres de diamètre, avec des pointes de température jusqu’à 4 000°, visible à plus de 500 km. La ville est instantanément rasée, et sous l’effet combiné du rayonnement thermique, de l’onde de choc, de l’effet de souffle et des radiations gamma, 75 000 personnes sont tuées sur le coup. Dans les jours qui suivent, mourront encore 50 000 personnes et l’on estime le nombre final de victimes aux environs de 250 000.
La surprenante absence de réaction japonaise
Mais le Japon ne donne aucun signe de capitulation. Une seconde bombe – la dernière disponible – est alors larguée le 9 août, sur Nagasaki, qui fera au total 80 000 morts, dont plusieurs milliers de catholiques, la ville étant le principal centre du christianisme au Japon.
Pourtant, le Japon ne semble toujours pas s’alarmer. Ainsi, le 13 août, le général Anami remarque que les bombardements atomiques ne sont pas plus dangereux que les bombardements conventionnels que le pays a subi depuis le début de 1945, comme l’attaque de Tokyo, du 9 au 10 mars, qui a fait 120 000 morts. Il faut dire qu’au cours de l’été 1945, 68 villes japonaises ont déjà été rayées de la carte sans que cela n’entame le moral de l’armée, décidée à se défendre, en cas d’une invasion, faisant redouter aux Américains des pertes intolérables.
Néanmoins, les dirigeants japonais sont conscients que la guerre ne peut pas continuer, mais toute leur stratégie consistera à faire en sorte qu’elle se termine dans les meilleures conditions possibles. De fait, ce ne sont pas les deux bombes américaines qui les ont fait changer d’avis, mais l’irruption d’un nouvel acteur, l’Union Soviétique, qui dès le 9 août, envahit les positions japonaises en Chine du Nord occupée, rompant le pacte de neutralité de cinq ans que les deux pays avaient signé en 1941.
Or les Japonais, par habitude, craignent infiniment plus les Russes que les Américains et savent qu’ils ne pourront pas se battre contre deux super-puissances à la fois. Donc, le 15 août à midi, après une tentative de coup d’État avortée, l’empereur annonce la capitulation du Japon à la radio, qui sera signée le 2 septembre sur le cuirassé Missouri, sous l’égide du général Douglas MacArthur.
Une arme plus politique que militaire
C’est alors que la bombe atomique va se transformer en arme politique, au profit tout autant des Japonais que des Américains qui vont avoir un intérêt commun à laisser croire qu’elle est à l’origine de la reddition japonaise, donnant naissance, selon de nombreux historiens actuels, à une sorte de mythe sur lequel vont reposer les relations internationales du monde d’après-guerre, celui de la Guerre froide.
Pour le Japon, la bombe atomique constitue une excuse parfaite pour expliquer sa défaite. Elle permet à l’empereur de conserver sa légitimité, et au pays de s’attirer une certaine sympathie sur le plan international, lui permettant d’apparaître comme une victime, et de faire oublier les actes répugnants commis par les soldats japonais dans l’Asie occupée. Enfin, prétendre que c’est la bombe qui a permis de gagner la guerre ne pouvait que plaire aux Américains, renforçant la perception de leur puissance face à des Soviétiques qui avaient pourtant fait plier le Japon en quelques jours.
Avant Hiroshima déjà, on a commencé à discuter de la légitimité morale de l’usage de l’arme atomique qui ne se justifiait pas dans le contexte militaire de l’été 1945. Mais de manière paradoxale, elle s’est avérée être une puissante arme de paix, par l’instauration d’un équilibre de la terreur entre deux blocs capables de se détruire mutuellement.
Tout danger de l’arme atomique n’est pourtant pas écarté dans le monde actuel. Mais il est plus diffus, et peut-être plus dangereux que jamais, par la prolifération du nucléaire civil et militaire, avec la crainte d’une « bombe sale » aux mains d’états « voyous » ou d’organisations terroristes. Et c’est peut-être aujourd’hui, encore plus qu’hier, que nous avons besoin de continuer à méditer la tragique leçon des martyrs d’Hiroshima.