On a tiré sur le pape !
En ce 13 mai 1981, comme à son habitude, le Saint-Père fait le tour de la place Saint-Pierre en voiture découverte (la fameuse “papamobile”) pour se rendre à son audience générale hebdomadaire du mercredi. Alors qu’il se fraie un chemin à travers la foule des 20 000 fidèles, retentissent plusieurs coups de feu. Comme en témoigne Mgr Stanislas Dziwisz, le secrétaire particulier du pape, présent à ses côtés dans la voiture : « Le bruit avait été assourdissant. Tous les pigeons se sont envolés. […] J’ai vu que le Saint-Père était touché. Il vacillait mais on ne voyait sur lui ni sang ni blessure. Alors j’ai demandé : “Où ?” Il m’a répondu : “Au ventre”. J’ai encore demandé: “Est-ce douloureux ?” Il a répondu : “Oui”. […] Les yeux fermés, il souffrait beaucoup et répétait de courtes prières. Si je me souviens bien, c’était surtout : “Marie, ma mère! Marie, ma mère !” »
Le trajet vers l’hôpital Gemelli, qui prend d’ordinaire trente minutes dans la circulation romaine, fut bouclé par l’ambulance en huit minutes. Jean-Paul II avait été touché trois fois, au bras gauche, à la main droite, et surtout à l’abdomen, qu’il fallut opérer pendant plus de cinq heures.
Le mystère demeure
L’auteur des coups de feu fut immédiatement maîtrisé. Il s’agissait d’un jeune Turc, Mehmet Ali Agça, membre d’une organisation secrète d’extrême-droite, les Loups gris. Agça se décrit lui-même comme un mercenaire sans orientation politique, prêt à faire n’importe quoi pour de l’argent. Emprisonné à vie en 1979 pour avoir tué Abdi Ipekçi, rédacteur en chef du journal de centre-gauche Milliyet, il réussit à s’évader avec la complicité des Loups gris. C’est alors qu’il commence à voyager dans la région méditerranéenne, changeant de passeports et d’identités pour brouiller les pistes.
Le plan initial prévoyait qu’un complice, Oral Celik, fasse exploser une bombe juste après les coups de feu pour provoquer la panique et permettre aux deux acolytes de retourner à l’ambassade de Bulgarie. Mais le moment venu, Celik paniqua à son tour, et ne put se résoudre à la faire exploser.
Si le déroulement de l’attentat nous est bien connu, le mystère demeure sur l’origine du commanditaire et ses motivations. La piste la plus souvent évoquée serait celle d’une origine bulgare commanditée par le GRU, le service de renseignement militaire soviétique. D’autres hypothèses circulent. Certains y voient la main de la mafia turque commanditée par la mafia italienne, d’autres estiment qu’Ali Agça a agi de son propre chef. On évoque aussi une piste islamique. Quoiqu’il en soit, il faut se rendre à l’évidence : on ne dispose toujours pas d’une preuve tangible.
La piste soviétique semble la plus probable, le pouvoir communiste voyant en lui une menace sérieuse d’un genre inédit, celle d’une révolution par la foi et la force de l’esprit telle qu’elle s’incarne dans l’émergence du syndicat polonais Solidarnosc mené par Lech Walesa.
Un pardon sous le signe de l’amour
Pour Jean-Paul II, une chose est certaine : c’est à un miracle de Notre Dame de Fatima qu’il doit la vie. Il ne manque pas de faire remarquer que la date de l’attentat – le 13 mai – est aussi celle de la première apparition de la Vierge Marie aux jeunes enfants de Fatima (13 mai 1917). Et selon lui, cet attentat est bien celui dont il est fait mention dans le troisième et dernier secret de Fatima.
À Noël 1983, le saint-père se rendra dans la cellule d’Ali Agça pour lui accorder son pardon. La photo fera le tour du monde. En révélant toute l’étendue et la force concrète de l’amour, Jean-Paul II nous montre comment la foi et le pardon peuvent se vivre en une vie humaine, ici et maintenant.