Logement : l’Église en fait-elle assez?
Cécile Duflot, ministre français du Logement, annonçait le 3 décembre dernier avoir écrit à l’archevêché de Paris en vue d’utiliser des bâtiments « quasi vides » lui appartenant pour y loger des sans-abri. Elle ajoutait : « Je ne comprendrais pas que l’Église ne partage pas nos objectifs de solidarité ». La réponse des catholiques n’a pas tardé. « L’Église n’a pas attendu la menace de réquisition brandie par le ministre Mme Duflot pour prendre des initiatives », indiquait ainsi un communiqué conjoint du Secours catholique, de l’archevêché de Paris et de la Corref, Conférence des religieux et religieuses de France (cf. p.12).
Le communiqué a rappelé l’opération « Hiver solidaire », lancée pour la cinquième année consécutive dans les paroisses de Paris. Il y a quatre ans, en effet, les paroisses de la capitale avaient commencé à offrir un hébergement à des personnes vivant dans la rue, souvent connues des paroissiens, en partenariat avec quatre associations : Aux Captifs La Libération, le Secours catholique, les Cités du Secours catholique et l’Ordre de Malte. La démarche consiste à accueillir les personnes de la rue pendant l’hiver : un lit dans un endroit chaud, un dîner et un petit-déjeuner, pendant plusieurs semaines. Les personnes hébergées sont peu nombreuses, entre trois et cinq, tout comme les bénévoles qui se relaient chaque soir pour dîner et dormir avec eux. Autour de la table, on bavarde, on partage le repas et ses histoires personnelles. Du côté des bénévoles, c’est généralement une présence « à la carte » qui est privilégiée : un ou plusieurs repas, une ou plusieurs nuits, mais aussi des intentions ou une nuit de prière.
Gagnant-gagnant
Quels sont les fruits de l’opération « Hiver solidaire » ? « Tout d’abord, elle transforme le regard », affirme le communiqué commun : « au-delà du gîte et du couvert pendant l’hiver, ce sont, pour les gens de la rue, des moments de dignité retrouvée ». En outre, « Hiver solidaire » est une opération gagnant-gagnant. Pour les paroissiens et les habitants du quartier, c’est une rencontre qui ne laisse pas indifférent, souvent une découverte qui change les relations aux plus démunis. Enfin, c’est une étape possible sur le chemin de la réinsertion. Charles Gazeau, délégué épiscopal pour la solidarité du diocèse de Paris, précise que cette année, ce sont 26 paroisses parisiennes qui se mobilisent – contre 20 l’an dernier – pour accueillir chacune 3 à 10 personnes dans leurs locaux.
La solidarité de la part des catholiques ne se résume pas à cette seule opération. Mais l’Église a rappelé que de nombreuses initiatives sont en attente, « freinées par des lourdeurs administratives peu compatibles avec le caractère d’urgence auquel nous faisons face ». Bernard Thibaud, secrétaire général du Secours catholique, a également précisé que la responsabilité de l’hébergement reposait sur l’État, non sur les associations. « Avant d’en appeler à l’Église, Mme Duflot s’est-elle penchée sur les surfaces disponibles dans les administrations, les banques, les compagnies d’assurance, l’État ? », interroge-t-il.
Enfin, les associations chrétiennes n’ont pas manqué de rappeler au ministre que c’est un homme d’Église, l’abbé Pierre, qui avait lancé l’appel de l’hiver 1954 (voir encadré) et que « chacun agit depuis des années dans l’ombre mais dans l’efficacité, sans effet d’annonce ».
Attaque médiatique
Quelques jours avant l’attaque du ministre du Logement, l’Église avait dû affronter un premier assaut, mené cette fois-ci par Le Canard enchaîné. Dans un article intitulé « L’Église prie les sans-abri de rester à la porte », le journal satirique entendait dénoncer la situation immobilière des congrégations religieuses à Paris. Selon lui, celles-ci posséderaient « plus d’une centaine d’ensemble immobiliers, le plus souvent aux trois-quarts vides ». Certains ordres « ont cédé au démon de la cupidité et ont préféré vendre une partie de leurs terrains pour construire des résidences de luxe », prétendait-il encore.
La Corref a rapidement réagi, sous la forme d’un communiqué publié quatre jours plus tard. Certes, le nom du Canard enchaîné n’était pas mentionné explicitement, on ne peut douter de l’intention de ce texte après sa lecture. Il rappelle l’action des instituts religieux à destination des plus démunis, en donnant des exemples d’instituts religieux qui interviennent dans ce domaine, répondant à leur charisme fondateur, comme les sœurs du Bon Pasteur d’Angers, les sœurs du Très Saint Sauveur dans le 20e arrondissement de Paris ou bien les dominicaines de la rue de Vaugirard, toujours à Paris, qui ont vendu leur maison afin que l’association Aux captifs la Libération puisse s’y installer et accueillir des SDF. Quelques jours plus tard, un second communiqué est venu enrichir la liste de congrégations et de monastères qui « se montrent parfois audacieux »
dans l’accueil des plus démunis.
On voit donc que les attaques dont l’Église a fait l’objet ces dernières semaines sur son action en matière d’hébergement d’urgence sont injustifiées. Au-delà de ce constat, nous sommes en droit de nous interroger sur la motivation profonde de cet acharnement politico-médiatique contre les catholiques. Difficile de ne pas penser que l’on ait cherché à attirer l’attention de l’opinion publique sur l’Église pour mieux masquer les carences d’autres institutions dans le domaine de la charité.
Mes amis, au secours...
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de 2 000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu (…)
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France.
Merci !
Chacun de nous
peut venir en aide aux sans-abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : 5 000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques (…)
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci !
L’appel de l’abbé Pierre du 1er février 1954