Printemps arabe : les chrétiens dans l’incertitude
En voyant s’enliser depuis des mois les affrontements en Syrie entre partisans du président Bachar al-Assad et rebelles, le souvenir de la liesse populaire de la place Tahrir, au cœur du Caire, début 2011, semble d’une autre époque. Fini l’enthousiasme des débuts. Les chrétiens, en particulier, sont beaucoup plus circonspects devant le phénomène complexe du Printemps arabe, qui rend leur avenir des plus incertains.
Parmi les multiples questions soulevées par le Printemps arabe, qui secoue la région où est né et s’est développé le christianisme, figure celle de l’avenir de l’Église. Difficile de ne pas imaginer le pire pour les communautés chrétiennes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient, dont la présence est déjà menacée depuis longtemps. Le risque d’une disparition des chrétiens des terres où les apôtres du Christ ont débuté l’évangélisation n’est désormais plus une question taboue, que l’on n’évoquait jusqu’à présent que du bout des lèvres. Il suffit de faire le compte des nombreuses interventions du pape sur ce sujet, également traité dans le cadre du synode des évêques pour le Moyen-Orient il y a deux ans.
Émigration
Le Printemps arabe aura eu le mérite de soulever de façon explicite la question de l’émigration des chrétiens depuis les régions qui composent le monde arabe. Les données chiffrées fournies par les ONG présentes sur place montrent le vrai visage de cette réalité. Une réalité qui n’est certes pas nouvelle, mais dont les proportions actuelles interpellent.
Le pape est bien conscient de ce défi qui appelle les chrétiens à rester fidèles à la terre du Christ. « Il est interdit d’émigrer », renchérit pour sa part le tempétueux patriarche grec melkite Grégoire III Laham, qui exige de ses compatriotes syriens qu’ils ne quittent pas la terre où reposent leurs ancêtres.
Au Vatican, c’est le cardinal Leonardo Sandri qui s’occupe des relations avec les Églises catholiques d’Orient. Peu après le déplacement du pape au Liban, le prélat a reconnu explicitement que la disparition de l’Église constituait « un risque réel ». Ce risque, a-t-il ajouté, ne concerne pas seulement les catholiques, mais également les orthodoxes.
Plus délicate est la question des rapports entre les chrétiens et le pouvoir politique en place dans chacun des États concernés par la révolution. Au fil des discours et entretiens avec de nombreux responsables ecclésiaux, on a l’impression que les chrétiens préfèrent le statu quo à un avenir incertain. Mais toutes les voix de l’Église ne concordent pas. Il suffit de penser aux propos du père Dall’Oglio, Italien installé en Syrie depuis de nombreuses années et qui dresse un tableau de ce pays beaucoup moins édulcoré que ceux de certains hauts responsables de la région.
Rapprochement
Un autre mérite de ce Printemps arabe aura été de rapprocher Rome de l’Église d’Orient. Peut-être que Benoît XVI, en convoquant un synode consacré à cette région du monde bien avant que ne se déclenchent les premières révoltes populaires en Afrique du Nord, avait déjà eu l’intuition que le Vatican devait porter une attention toute particulière envers la constellation des Églises du monde arabe, réduites numériquement mais dont les identités variées constituent une véritable richesse pour le catholicisme.
Durant ce synode, en octobre 2010, les responsables religieux de l’Orient se sont fait l’écho, trois semaines durant, des doléances du peuple des chrétiens et plus largement de tous les peuples de la région. Attentif à leur sort, le pape a montré l’exemple tout au long de son pontificat en se rendant à trois reprises au Proche-Orient, en moins de trois ans : tout d’abord en Terre Sainte, en 2009, puis à Chypre l’an passé et enfin au Liban il y a deux mois.
Tout récemment, Benoît XVI a accompli un autre geste fort pour montrer à quel point il est soucieux du sort des chrétiens du Moyen-Orient, en rencontrant un membre de l’opposition syrienne, le chrétien Georges Sabra, au cours d’une audience accordée à quelque 120 représentants de l’Internationale démocrate-chrétienne
Dans le contexte du Printemps arabe, la traditionnelle réunion des œuvres d’assistance aux Églises orientales (Roaco), qui se déroule à intervalles réguliers à Rome, est une autre occasion pour les chrétiens du bassin méditerranéen de faire entendre leur voix dans les bureaux feutrés du Vatican. La Syrie fut, bien entendu, le thème majeur de la session de juin dernier. L’archevêque chaldéen d’Alep, Mgr Antoine Audo, avait pu exposer la « situation d’urgence » que vit concrètement la population locale.
Preuve de liens forts entre Rome et les Églises d’Orient, le prélat s’était également félicité de la lecture de la situation que vit son pays par les autorités du Saint-Siège. Les nonces apostoliques en poste dans les pays arabes sont pour beaucoup dans cet excellent travail d’information. Au Vatican, Mgr Audo en a profité pour tacler la couverture médiatique trop simpliste des événements qui ont secoué de si nombreux pays, depuis la Tunisie à la Syrie en passant par l’Égypte ou la Libye. Selon lui, « jamais le Vatican ne s’est comporté d’une façon comparable à celle des médias de l’Occident, qui marchent dans une direction – le Printemps arabe – alors que la situation est complexe ». Bref, la prudence doit être le maître-mot, aussi bien pour les acteurs que pour les spectateurs de ces bouleversements inattendus. n
« Je dirais qu’en lui-même, le Printemps arabe est une chose positive : il est un désir de plus de démocratie, de plus de liberté, de plus de coopération, d’une rénovation de l’identité arabe. Et ce cri de liberté qui vient d’une jeunesse plus formée sur le plan culturel et professionnel, qui désire une plus grande participation à la vie politique et sociale, est un progrès, une chose très positive et saluée aussi par nous les chrétiens. (...)
La rénovation de l’identité arabe implique aussi – je pense – un renouvellement de la convivialité séculaire et millénaire des chrétiens et des arabes, qui, dans la tolérance entre la majorité et la minorité, ont construit ces terres et ne peuvent pas ne pas y vivre ensemble”.
Dans l’avion qui le conduisait au Liban, Benoît XVI a improvisé un discours sur le Printemps arabe.