Rencontre avec... le père Henry Fautrad
Curé de paroisse au Mans (Sarthe) et membre de la Communauté de l’Emmanuel, Henry Fautrad est également en charge des rapports avec l’islam pour son diocèse. Le père Fautrad a fait connaissance avec le désert il y a plus de 20 ans lors d’un long séjour en Tunisie.
Le temps du Carême est associé au désert, en particulier en raison des 40 jours qu’y passe le Christ. Mais cette référence au désert ne va-t-elle pas chercher plus loin dans les Écritures ?
Le Temps du Carême s’enracine dans la Tradition d’Israël qui pérégrine vers sa libération durant deux générations depuis la terre d’Esclavage jusqu’à la Terre Promise. C’est un parcours dynamique qui s’offre à une famille humaine élue, renouvelée sans cesse, par la souveraine liberté de Dieu. La purification d’Israël ne peut s’accomplir sans pérégrination. Mais on ne peut comprendre la dynamique de l’exode permanent que si l’on fait mention de Babel : « Construisons-nous une ville... et nous ne serons jamais dispersés sur toute la terre ». La cité des hommes est toujours bâtie dans l’objectif d’un confortable repli sur soi. Au contraire, le départ en voyage avec l’insécurité qu’il comporte conduit à la confiance. C’est le cas de la mise en route d’Abraham : « Va, quitte ton pays… va vers le pays que je te montrerai ». La condition de l’homme est ainsi définie par une aventure permanente sur proposition divine. Le Carême s’organise en 40 jours dès le IVe siècle en référence aux 40 jours de Jésus dans le désert reprenant la période libératrice d’Israël. L’Église a choisi cet exercice liturgique comme préparation à la célébration de Pâques. Elle l’inscrit dans la liturgie comme un temps conséquent et renouvelable de pérégrination nécessaire à toute conversion.
Quelle est votre expérience du désert ?
J’ai découvert le Grand Erg Oriental au Sahara en 1992 lors d’un séjour de deux années en Tunisie comme coopérant avec la Fidesco. Saisi par cette immensité, je partis quelques jours en retraite avec des amis et des guides chameliers. À mesure que nous quittions l’activité du monde, le silence se faisait progressivement et chacun retenait ses paroles. L’air était frais et je le sentais comme jamais, à chaque respiration et sur mon visage, j’expérimentais simplement le fait de vivre à la manière d’un arrêt sur image. Une prise de conscience s’opérait tout simplement. Le silence, la confiance en nos guides, le ciel d’azur, le panorama ouvert à perte de vue, tout conduisait à la réflexion. Le soir venu, lors du bivouac, je contemplais un ciel immense, l’univers semblait à portée de main. Je ne parvenais pas à fermer les yeux devant un firmament que je n’avais jamais contemplé en 22 années de vie ! Pourtant la marche au Sahara fut une rude épreuve pour tous dès le lendemain matin. L’exotisme des premiers instants avait disparu. Chacun faisait l’expérience de sa dépendance au groupe et de sa vulnérabilité dans l’environnement hostile. Chacun apparaissait de plus en plus à découvert, sans artifice. Nous étions mis face à nos propres fragilités. La monotonie des paysages occasionnait une contemplation plus intérieure, une quête plus personnelle.
Que découvre-t-on alors au désert ?
C’est la question du sens qui s’impose progressivement. Les prières quotidiennes permettent une rencontre avec Dieu comme on en a rarement dans le tourbillon des activités. La nudité de ces espaces rend plus tangible la transcendance de Dieu. En réalité, la première fois on ne sait pas pourquoi on va au désert. Par contre on y retourne comme par nécessité de répondre à un appel.
Aujourd’hui, curé en paroisse, que diriez-vous à vos fidèles de cette expérience du désert et comment les y envoyer durant ce Carême, sans aller trop loin ?
Nous parlons du désert en paroisse pour illustrer le dépouillement du Christ dans son offrande, pour inviter au silence qui fait surgir la Parole de Dieu et redonner à chacun sa dimension de pèlerin de l’existence dans son Carême annuel. La vie paroissiale du XXIe siècle en milieu urbain s’organise dans un cadre de vie où le temps est compté, le bruit omniprésent et la vie communautaire épisodique. Il faut inventer chaque année un itinéraire adapté, invitant à la conversion et à l’apaisement. Dans nos quartiers populaires sévit une grande misère sociale liée à la détresse économique, la précarisation de l’humain et les blessures relationnelles multiples. La vie paroissiale est devenue un creuset de la Rencontre.
Dès lors, comment est-il possible, aujourd’hui, de vivre l’expérience du désert ?
Voici trois exemples d’itinéraires de Carême : « Prière-Pain-Pomme », chaque vendredi midi de Carême propose une itinérance œcuménique dans des lieux de culte chrétiens de toute la ville. Permettant de se réapproprier le jeûne par la frugalité offerte du pain, de l’eau et d’une pomme. Le temps de prière fixe ensemble le regard de tous vers l’essentiel qui est le Christ, en qui nulle division ne tient. Il y a ensuite le Chemin de Croix, préparé par des migrants qui nous emportent dans leur formidable élan au-delà des frontières du confort et du consumérisme, pour nous enseigner à sortir de nos sédentarités pour devenir nomade à la rencontre des autres. Enfin, un pèlerinage urbain de quelques kilomètres à pied permet de rejoindre le cœur de la cité d’où jaillit autrefois la proclamation de l’Évangile, au premier temps de notre diocèse au tombeau de saint Julien du Maine. Cette marche permet de faire mémoire de la naissance de la foi depuis Jérusalem jusque dans nos contrées.
C’est bien joli, mais le désert est tout sauf hospitalier… et puis notre monde super connecté est-il loin d’être un désert ?
Le désert, avec ce qu’il comporte d’inconfort, d’hostilité, de monotonie et de sécheresse, se retrouve comme composante interne, habituelle de la vie des êtres dans les quartiers. C’est pour cette raison que la perspective pastorale ne consiste pas tant à ajouter du jeûne aux privations alimentaires, de l’aridité à la sécheresse relationnelle ou du silence à l’angoissante solitude des gens déplacés ou abandonnés ; que de donner du sens à chaque élément de l’existence. Expérimenter sa désolation, c’est aspirer déjà à la consolation. Si nous partageons l’expérience du désert pour transmettre que l’Espérance d’une oasis habite tous les déserts. Je conclurai avec cette phrase : « Je la conduirai au désert et je parlerai à son cœur » (Osée 2, 16).
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine ? Quelle image avez-vous de lui ?
J’ai spontanément deux images de saint Antoine qui me viennent à l’esprit. Tout d’abord une chansonnette enfantine que nous chantions à la maison lorsque nous avions perdu quelque chose : « Saint Antoine de Padoue, vieux brigand vieux grigou, ce qui n’est pas à toi rends-le nous ! »… Ensuite je pense à la peinture de La tentation de saint Antoine le Grand, de Jérôme Bosch.
Comment priez-vous ?
Je prie en silence devant le Saint Sacrement dans l’oratoire du presbytère au petit matin.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Lorsque je visite les malades où lorsque je suis en navigation en mer.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Retrouver un camarade de classe et partager nos souvenirs.