Goûtons à la joie du pardon
Le Carême chrétien est la période de quarante jours – quadragesima – destinée à la préparation de Pâques. Elle couvrait anciennement l’ultime préparation des catéchumènes qui allaient recevoir le baptême le jour de Pâques. C’est à partir du IVe siècle que l’on commence à configurer le Carême comme un temps de pénitence et de renouvellement pour toute l’Église.
En effet, s’il est compréhensible que ceux qui sont appelés à embrasser la foi chrétienne se convertissent et changent de vie, il est tout aussi nécessaire que les croyants, ayant déjà embrassé la foi, se rendent compte qu’eux aussi ont besoin de se convertir et de retrouver la pureté de leur vie de foi. Voilà donc la chance que l’Église offre chaque année aux croyants en leur proposant la conversion.
Cela comporte un changement de cap, de direction qui s’exprime par un ensemble d’actes intérieurs et extérieurs en vue de la réparation du péché commis. Le Catéchisme de l’Église catholique, au n° 1434, s’exprime ainsi : « L’Écriture et les Pères insistent surtout sur trois formes : le jeûne, la prière et l’aumône, qui expriment la conversion par rapport à soi-même, par rapport à Dieu et par rapport aux autres. À côté de la purification radicale opérée par le baptême ou par le martyre, ils citent comme moyen d’obtenir le pardon des péchés, les efforts accomplis pour se réconcilier avec son prochain, les larmes de pénitence, le souci du salut du prochain, l’intercession des saints et la pratique de la charité “qui couvre une multitude de péchés“ (1 P 4,8) ».
Sur ce chemin de Carême, l’Église nous aide à prendre conscience que le péché nous a éloignés de Dieu, mais qu’il nous est toujours possible de revenir vers Lui par le sacrement de la réconciliation. Comme une mère, elle nous y invite de façon pressante, en nous demandant de dépasser nos peurs, nos réticences et bien souvent la honte qui nous retient lorsqu’il s’agit d’aller jusqu’au bout de la démarche que demande le sacrement de la réconciliation.
Car, si jusque dans un passé relativement récent, les chrétiens continuaient de parcourir le chemin qui les conduisait au pardon par la confession de leurs péchés, aujourd’hui la confession risque de tomber en désuétude dans nos vieilles chrétientés occidentales. S’il est probable que nous ne soyons pas moins pécheurs que les chrétiens qui nous ont précédés, il est par contre tout à fait certain que l’image que nous nous faisons de notre Dieu est en train de s’évanouir et de s’estomper avec la perte du sens du péché. Et c’est bien là la vraie maladie qui ronge notre foi et qui la rend anémique.
Savons-nous encore expérimenter dans les vicissitudes de notre vie le fait que notre Dieu n’est pas lointain et coléreux, indifférent et vengeur, mais qu’il est pour nous « miséricordieux et bienveillant, lent à la colère et plein d’amour » (Psaume 103, 8) ? Il est en fait un Dieu débordant de tendresse, comme l’exprime le prophète Osée : « Et moi j’avais appris à marcher à Éphraïm, je le prenais par les bras, et ils n’ont pas compris que je prenais soin d’eux ! Je les menais avec des attaches humaines, avec des liens d’amour ; j’étais pour eux comme ceux qui soulèvent un nourrisson tout contre leur joue… Mon cœur en moi est bouleversé, toutes mes entrailles en frémissent. » (Os 11, 3-4.8b-9).
Ainsi, Dieu se réjouit de relever, de guérir, de pardonner. Au point de fêter dans la joie le pécheur qui revient finalement entre ses bras. « C’est ainsi, je vous le dis, qu’il y aura de la joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit, plus que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion » (Luc 15, 7). Ou encore, comme Jésus le dit aux pharisiens : « Allez donc apprendre ce que signifie : “C’est la miséricorde que je veux, non le sacrifice”. Car je suis venu appeler non pas les justes, mais les pécheurs. » (Mt 9, 13).
En face de nos péchés, de nos faiblesses et de nos misères, Dieu ne déploie pas du dégoût, de la colère et du dépit ; Il ne lève pas un bras vengeur porteur de châtiment, mais Il nous attend pour nous accueillir tendrement dans Ses bras amoureux en nous invitant à la fête de Son pardon. Et nous qui avons souvent transformé le sacrement du pardon en une sorte de tribunal où il nous serait renvoyé à la figure des reproches et de relents d’une prétendue colère de Dieu.
Craindrions-nous le prêtre qui nous accueille ? En fait, il est lui aussi pécheur et lui aussi a besoin de recourir au pardon. Il est celui qui est chargé de traduire en paroles et par son écoute fraternelle la joie d’un Dieu tendre et miséricordieux en nous signifiant le pardon qui libère et nous guérit. Car, comme le disait le pape François, « le cœur du prêtre doit s’émouvoir (face à la personne repentante) non par sentimentalisme ou par pure émotivité, mais parce qu’il porte en lui les entrailles de la miséricorde du Seigneur ».
Voilà alors que le chemin du Carême ne manquera pas de devenir un vrai chemin de libération qui nous « décrasse » des lourdeurs du péché et de toutes les fausses images de Dieu qui nous paralysent. Sachons cueillir les propositions précieuses de notre Église : au niveau local avec l’approfondissement de la Parole de Dieu par la Lectio Divina, les rencontres et célébrations de toute sorte ; et au niveau universel comme, par exemple, les « 24 heures pour le Seigneur » proposées les 13 et 14 mars, encouragées par le pape François, comme un temps de prière et de réconciliation pour permettre à tous ceux qui le désirent de vivre l’expérience du pardon. Finalement, qu’est-ce qui nous retient de goûter à la joie du pardon ?
L’exhortation que le Seigneur nous adresse à travers le prophète Joël est puissante et claire :
« Revenez à moi de tout votre cœur ». Pourquoi devons-nous revenir à Dieu ? Parce que quelque chose ne va pas bien en nous, ne va pas bien dans la société, dans l’Église et que nous avons besoin de changer, de prendre un tournant.
Et cela s’appelle avoir besoin de nous convertir ! Encore une fois le Carême vient nous adresser son appel prophétique, pour nous rappeler qu’il est possible de réaliser quelque chose de nouveau en nous-mêmes et autour de nous, simplement parce que Dieu est fidèle, Il continue à être riche de bonté et de miséricorde et Il est toujours prêt à pardonner et à recommencer depuis le début.
Avec cette confiance filiale, mettons-nous en chemin !
Pape François, Messe des Cendres, Rome, 5 mars 2014