Viva Verdi
Si les caprices de l’Histoire avaient pris un autre tour - autrement dit, si Napoléon n’avait pas connu la défaite en 1814 - Verdi ferait figure aujourd’hui de grand musicien… français. En effet, lorsqu’il naît, le 10 octobre 1813, au hameau des Roncole, proche de Busseto dans la province de Parme, celle-ci est sous domination française, constituant le département du Taro. Son acte de naissance est d’ailleurs rédigé en français. Mais français, il ne le restera que quatre mois, jusqu’au départ des troupes napoléoniennes.
Son père, Carlo Verdi, tient une auberge de campagne où le petit Giuseppe - Peppino -connaît ses premiers émois musicaux auprès des musiciens ambulants qui y font souvent halte. On en retrouvera l’écho dans les fameux chœurs populaires de ses opéras. Son talent précoce est très vite reconnu, au point qu’il n’a que 12 ans lorsqu’il remplace l’organiste du village et 15 quand il compose sa première symphonie.
Il s’installe ensuite à Milan, non sans y subir un terrible camouflet : on lui refuse l’entrée au conservatoire à cause de la position de ses mains au piano, jugée mauvaise et irrécupérable. Il en gardera une rancune tenace toute sa vie, ce qui ne l’empêche pas de sortir, de diriger, de composer et d’épouser Margherita Barezzi qui lui donne deux enfants.
Années de galère et premiers triomphes
Mais ce bonheur familial est de courte durée. Entre 1838 et 1840, il perd à la fois ses enfants et sa femme, ce qui le plonge dans le désespoir, songeant même à abandonner la musique malgré l’excellent accueil fait à son premier opéra, Oberto, conte di San Bonifacio.
Son premier triomphe se produit le 9 mars 1842, à la Scala, avec le succès phénoménal de Nabucco qui est perçu comme un opéra patriotique par la population milanaise – alors sous occupation autrichienne – qui se reconnaît dans le fameux chœur des Hébreux, Va, pensiero (devenu au fil du temps l’hymne italien bis). Verdi, de son côté, entame une liaison avec son interprète, la soprano Giuseppina Strepponi, qu’il finira par épouser en 1859.
Les seize années qui suivent, Verdi les décrit lui-même comme des années frénétiques « de galère », où il doit écrire un opéra par an pour vivre. Les chefs-d’œuvre ne manquent pas : Macbeth, et surtout Luisa Miller qui marque un tournant stylistique vers plus de maturité et de finesse psychologique, avec moins de chœurs et de mouvements collectifs qui commençaient un peu à le lasser.
Puis, coup sur coup, entre 1851 et 1853, il produit sa « trilogie populaire » : Rigoletto, Il Trovatore (Le Trouvère) et l’incontournable Traviata. Mal reçue à sa création, cette Traviata - « la dévoyée », qui n’est pas sans rappeler la jeunesse de sa compagne Giuseppina - va s’installer comme l’une des œuvres les plus jouées du répertoire. Et selon de nombreux connaisseurs, rien n’a encore égalé la représentation historique du 28 mai 1955, à la Scala de Milan, avec Maria Callas dans le rôle de Violetta, sous la direction de Carlo Maria Giulini, mise en scène par Luchino Visconti.
Activisme politique et chefs-d’œuvre tardifs
Après 1850, Verdi est sans rival en Italie, et en Europe, seul Wagner possède une stature comparable (les deux hommes s’ignoreront ostensiblement leur vie durant). Entre-temps, il est devenu aux yeux de ses compatriotes l’incarnation du Risorgimento, le mouvement pour l’unité et l’indépendance du pays. En 1859, après chaque représentation de Un Ballo in Maschera (Un Bal masqué), il est longuement rappelé aux cris de « Viva Verdi », ce qui est en fait une façon codée de proclamer : « Vive Victor Emmanuel Roi D’Italie ». On peut voir une telle scène au début du film de Visconti, Senso,
lors d’une représentation de Il Trovatore à la Fenice de Venise.
Après le triomphe d’Aïda, créée au Caire, et un mandat de député au Parlement de Turin, il entame la période des chefs-d’œuvre tardifs, dans lesquels, une fois de plus, il parvient à renouveler son style : le Requiem (qualifié d’« opéra en robe ecclésiastique»), les Quatre pièces sacrées et ses deux derniers opéras, considérés comme les plus achevés, Otello et Falstaff, composés avec son nouveau librettiste, le jeune poète Arrigo Boito.
Avant de mourir, il a encore le temps de fonder à Milan la Casa di riposo per musicisti, une maison de retraite pour musiciens, toujours en activité à ce jour. C’est là qu’il repose, après sa mort survenue le 27 janvier 1901. Ses funérailles – suivies par 820 chanteurs dirigés par Arturo Toscanini – sont à la hauteur de son statut de monument national, celui de plus grand compositeur d’opéras italien, et pour beaucoup, le plus grand tout court.