Vers un « projet crédible » d’une théologie de la Méditerranée
Une mer, trois continents, 21 riverains. La Méditerranée, par sa position et ses frontières, est naturellement confrontée à une pluralité de défis, et demeure « depuis toujours un lieu de transitions, d’échanges et parfois aussi de conflits ». « Ce lieu nous présente une série de questions, souvent dramatiques », expose le pape François en 2019 à Naples. Le Pape a souvent dénoncé le fait que cette mer soit devenue un « grand cimetière », en raison des tentatives de migrants de la traverser pour arriver sur les côtes européennes. L’attention toute particulière du Pape pour la Méditerranée se concrétise dans ses nombreux voyages méditerranéens, en commençant par Lampedusa en 2013. En venant à Marseille, au cours de sa 10e année de pontificat, le Pape souhaite montrer la mission particulière de cette ville pour la France et la Méditerranée. Cette ville, qui fut longtemps la porte de l’Orient, est devenue aujourd’hui une porte de l’Occident. Après Bari (2020) et Florence (2022), toutes deux en Italie, Marseille va réunir des évêques, des représentants d’autres Églises et des jeunes de toutes religions pour ce travail commun de création d’un espace de paix et de dialogue.
Partage du même espace
Pour que la Méditerranée devienne un espace de dialogue, dans la paix, Mgr Christian Delarbre, archevêque d’Aix-en-Provence et Arles, voit la « responsabilité spéciale de l’Église catholique qui est présente dans tout le pourtour méditerranéen ». Pour lui, l’Église doit collaborer « pour en faire un espace de paix et de dialogue, un espace de rencontre des cultures, des identités et des altérités ». L’Église, qui y connaît une grande variété de situations, doit parler et évangéliser à travers son engagement social, dialogue qui soit capable de convaincre chaque pays méditerranéen de ne pas rester chacun sur son rivage mais d’affronter cette mer commune. La Méditerranée est la « terre-mer » des rencontres entre les cultures, langues, religions et identités de l’Europe, d’Afrique et d’Asie.
Pour Mgr Delarbre, « ce “grand lac” opère une unité de fait : les rives sont inter-
dépendantes et constamment en relation et en confrontation. Nous partageons le même espace… Mais cela est autant un enjeu de construire l’unité qu’un espace de confrontations à réguler ». Si les différences entre le nord et le sud de la mer sont marquées de tensions, elles ne sont « pas un obstacle mais une chance pour dialoguer et chercher la paix », confie Mgr François Bustillo, évêque d’Ajaccio que le Pape vient de nommer cardinal.
Le rêve d’une mer de la Paix
Une grande figure dans l’histoire méditerranéenne du XXe siècle est Giorgio La Pira (1904-1977), qui fut maire de Florence pendant 10 ans. Ce tertiaire dominicain, dont le procès de canonisation est en cours, voulait voir la Méditerranée comme le « grand lac de Tibériade » et conduire ses habitants, juifs, chrétiens et musulmans, divers enfants du père commun Abraham, à vivre ensemble sous la grande « tente de paix ». « La Méditerranée n’est pas un fossé de séparation, c’est un principe d’union », répétait ce maire italien. Pour le franciscain Mgr Bustillo, « il faut passer de l’intuition à la réalisation. » Il est important pour lui de « créer une mentalité de dialogue et de rencontre pour vivre l’unité. Pour le moment, juste quelques responsables religieux, culturels et politiques se mobilisent. Il faudra arriver à rendre ce projet visible et crédible », confie-t-il.
Migrations, interreligieux et Islam
Aux yeux de Mgr Delarbre, la Méditer-
ranée est « un condensé des enjeux globaux actuels : questions écologiques, migrations, relations interreligieuses, tensions géopolitiques, mondialisation économique ». Par conséquent, les relations interreligieuses et les migrations sont deux des enjeux de ces rencontres méditerranéennes : « Côté sud on ne peut pas négliger l’Islam comme religion majoritaire », affirme l’évêque de l’île de Beauté. « Sans dialoguer avec l’Islam, notre culture européenne ne peut pas avancer. Puisque la religion a la possibilité de « relier » et d’apporter la sérénité et la bienveillance nécessaires pour croire à une vie meilleure, ces instances de rencontre sont nécessaires pour se connaître, se respecter et s’entraider », témoigne Mgr Bustillo.
Une « créativité humaine et spirituelle »
Interrogé sur l’avenir de cette mer-terre, Mgr Delarbre assure que « la destinée de tous les pays riverains est grandement concernée par ce qui se passe en Méditerranée. Leur interconnexion est totale. Qu’ils le veuillent ou non, qu’ils l’assument ou non ». Ce point de vue est partagé par Mgr Bustillo qui affirme que « du Maroc à la Turquie, de l’Espagne à l’Égypte, nous avons la responsabilité de partager nos propres regards sur la mer commune en essayant de nommer les difficultés et d’envisager des solutions pour une vie heureuse ». Si ce lieu a vu naître tant de civilisations, l’évêque corse déplore qu’aujourd’hui elles soient « fragiles » et invite à s’interroger : « Que faisons-nous ? Nous limiter à constater ? ». Il poursuit en assurant que « les crises font appel à une créativité humaine et spirituelle pour créer des ponts et des liens entre des peuples différents mais appelés à un destin commun en humanisant davantage nos relations ». Les peuples de la Méditerranée, aujourd’hui secoués et fracturés par les crises, ont de nombreuses ressources pour œuvrer à la réconciliation et vivre dans la paix ; pour cela, ils doivent refuser l’indifférence et chercher des solutions communes.