Une saine laïcité
Cent ans exactement après le vote de la loi de séparation des églises et de l’Etat par le parlement en décembre 1905, la façon de percevoir la “laïcité” a bien changé. En juin dernier les évêques ont publié sur le sujet une déclaration commune « sur le cours d’une histoire qui a marqué notre pays et qui, au fil du temps, a contribué à modifier en profondeur les rapports entre l’Eglise catholique, les pouvoirs publics et la société française ». Le pape Jean-Paul II avait lui aussi célébré cet anniversaire en adressant une lettre au président de la conférence épiscopale française, le 11 février dernier (voir encadré).
Du combat à l’apaisement
Dans leur déclaration, les évêques n’occultent pas le passé. Ils rappellent le climat d’affrontement dans lequel a été promulguée cette loi, vécue comme « un véritable traumatisme par beaucoup de catholiques français. ». Ils rappellent l’interdiction des congrégations, le drame des inventaires des biens d’Eglise, et la rupture des relations avec le Vatican.
Mais la loi a été assouplie. Elle « fit l’objet, par la jurisprudence des tribunaux et la pratique administrative, d’interprétations ouvertes » et ainsi « ce qui aurait pu être une loi de combat a cédé devant un esprit d’apaisement », soulignent-ils. Et puis cette séparation, finalement, se rapproche des « notions d’indépendance, d’autonomie et de coopération utilisées plus tard par le concile Vatican II ».
Et les évêques se disent plutôt satisfaits de la situation présente, obtenue par « tout ce travail de dialogue d’ajustement et de négociation au long d’un siècle, qui a permis de calmer les passions ». Aussi, lorsque certaines voix s’élèvent pour modifier la loi de 1905, les évêques mettent en garde : ils estiment « sage de ne pas toucher à cet équilibre par lequel a été rendu possible en notre pays l’apaisement d’aujourd’hui. ». Oui, ils entendent les interrogations de la Fédération Protestante de France sur le statut des associations cultuelles. Oui, ils prennent acte de l’implantation et du développement d’autres religions, et notamment de l’Islam. Certes, « des questions nouvelles se posent », mais on peut leur trouver des réponses sans « toucher aux principes édictés dans la loi », pensent-ils.
Laïcité n’est pas laïcisme
Car qui dit débat dit risque de revenir au climat passionnel. Et risque de résurgence du “laïcisme”. Il faut en effet bien s’entendre sur ce qu’est la laïcité. Pour les évêques, il s’agit de la neutralité de l’Etat en matière religieuse. Elle permet la liberté de conscience et de culte, en garantissant aux institutions religieuses une pleine indépendance.
Mais l’Eglise catholique entend aussi défendre son droit d’expression sur les grandes questions de société. Elle « ne souhaite pas s’enfermer dans la défense de ses intérêts communautaires mais contribuer à promouvoir la dignité intégrale de chaque personne humaine dans notre vie sociale, ainsi que la paix et la justice ».
Il s’agit donc pour l’Eglise de défendre cette laïcité « saine et légitime », selon l’expression de Pie XII, qui « se distingue de certaines conceptions radicales de la laïcité qui sont une approche négative du religieux, une volonté de réduire l’influence sociale des religions et de renvoyer celles-ci au seul domaine de l’intime et des convictions personnelles ». Après un siècle d’expérimentation, les évêques se sont forgés une religion sur la question : oui à la pratique de la laïcité, non au dogme.
Jean-Paul II et la laïcité en France
« Le principe de laïcité, auquel votre pays est très attaché, s’il est bien compris, appartient aussi à la Doctrine sociale de l’Eglise. Il rappelle la nécessité d’une juste séparation des pouvoirs, qui fait écho à l’invitation du Christ à ses disciples : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». (…) C’est ainsi que s’exprime aussi le Concile : « Sur le terrain qui leur est propre, la communauté politique et l’Eglise sont indépendantes l’une de l’autre et autonomes. Mais toutes deux, quoique à des titres divers, sont au service de la vocation personnelle et sociale des mêmes hommes. » (Gaudium et Spes n°76 §3)
Jean-Paul II, Lettre au sujet de la laïcité en France, 11 février 2005