Une école au nom des martyrs
Comme chaque année, à l’occasion du 13 juin, la caritas saint-Antoine propose son projet principal. cette année, nous sommes invités à aider les petits élèves de pariacoto, dans les andes péruviennes, en contribuant à la construction du centro pastoral social san antonio de padua.
« Zbigniew ! Zbigniew, donde estas ? », appelle maman Norma en cherchant du regard dans la rue, à droite et à gauche, pour comprendre où s’est caché son fils cadet. Le voilà : il déboule du virage avec ses copains, annoncé par un nuage de poussière qui se lève à leur passage. Zbigniew Lofi Rodriguez tend poliment sa petite main brune aux visiteurs européens. Mais comment expliquer qu’un prénom slave, avec toutes ces consonnes difficiles, ait été donné à cet enfant de 9 ans aux traits typiquement péruviens ? Nous sommes en effet au cœur des Andes, dans le village de Pariacoto, à 1 200 mètres d’altitude, entourés d’une couronne de montagnes arides. L’explication de ce nom étrange à cet endroit remonte à 1989. C’est à cette époque que s’y installa, à environ 60 km de l’océan Pacifique et environ 500 km de Lima, la capitale, la première mission au Pérou des Frères Mineurs Conventuels. Les trois jeunes frères de cette fraternité étaient frère Jarek Wysoczanski, frère Michal (Miguel) Tomaszek et frère Zbigniew Strzalkowski, de la Province religieuse de saint Antoine de Cracovie. Après seulement deux ans d’une intense activité, le 9 août 1991, un groupe de terroristes du Sentier lumineux enleva et tua le frère Miguel et le frère Zbigniew. Ils n’avaient que 31 et 33 ans. Le troisième frère fut sauf car il venait à peine de partir pour la Pologne afin d’y célébrer le mariage de sa sœur.
L’œuvre d’évangélisation entamée par les deux martyrs, déjà reconnus par l’Église comme « serviteurs de Dieu » et dont le procès en béatification avance, n’a pas disparu avec eux comme le souhaitaient les guérilleros maoïstes. Le témoignage des frères polonais a marqué les lieux. Le petit Zbigniew en est un exemple. Sa maman, Norma, explique ainsi : « J’ai trois garçons. L’aîné a 15 ans et s’appelle Francisco, car depuis ma rencontre avec les frères franciscains leur spiritualité est devenue la mienne. Le deuxième s’appelle Miguel, en mémoire du père qui s’occupait des jeunes. Il était toujours gai, optimiste, avec beaucoup de charisme. Il voulait communiquer avec tout le monde, j’avais donc commencé à lui apprendre des phrases en quechua, notre langue d’origine. » Et voici le cadet, Zbigniew. En le regardant avec un sourire, Norma continue : « Lui, il s’appelle comme notre frère doctorcito, le jeune docteur, qui semblait très sérieux mais qui avait un cœur très sensible à nos besoins, en particulier à ceux concernant la santé. Mes enfants ont, en partie, la personnalité du frère dont ils portent le nom. Le plus petit, par exemple, est un peu introverti et possède une forte personnalité. Alors, je lui parle du doctorcito et je l’emmène avec moi
prier son patron à l’église, ou bien à l’endroit où il a été tué. »
Le retour du troisième frère
Entre temps, d’autres franciscains ont pris la relève des confrères tués dans les Andes. C’est eux qui ont invité au Pérou la Caritas Saint-Antoine pour partager un projet d’aide envers les pauvres et les plus démunis, des enfants surtout, en poursuivant l’œuvre des martyrs. Ce que l’on souhaite réaliser – et que nous vous proposons pour célébrer le 13 juin, fête de saint Antoine - c’est le Centro pastoral social san Antonio de Padua in Pariacoto. De quoi s’agit-il ? Pour le comprendre, suivons encore Norma et ses explications en espagnol, que le père Paolo Floretta et les autres membres de la délégation de la Caritas Saint-Antoine parviennent presque entièrement à comprendre. Les passages les plus difficiles sont traduits par un guide exceptionnel : le père Jarek, compagnon des martyrs et, aujourd’hui, secrétaire général en charge de l’animation missionnaire de l’ordre des Conventuels. Ce n’est pas la première fois qu’il revient au Pérou mais, cette fois-ci, les souvenirs sont encore plus forts. En effet, la date de cette visite à Pariacoto n’a pas été choisie au hasard. Nous sommes au mois d’août, vingt ans ont passé depuis l’été fatal de 1991. « J’entends encore en moi – confie le frère polonais – les questions de l’époque, même si c’est avec une intensité différente : pourquoi Dieu m’a-t-il épargné ? Qu’attend-il de moi ? Quel chemin dois-je suivre ? » La réponse définitive n’existe peut-être pas. Mais celui qui observe le frère Jarek et son style de vie comprend qu’il ne s’agit pas de questions angoissantes mais, au contraire, qui libèrent. Elles lui ont inspiré des choix d’assistance et de proximité à l’égard des pauvres, sur un chemin ouvert à l’espoir et à la charité, avec le sourire aux lèvres. Pour en avoir confirmation, il suffit de voir comment les habitants de Pariacoto accueillent leur vieil ami qui est revenu leur rendre visite. Dans les regards se lisent l’estime, la joie et l’affinité qui renaît après tant d’années.
L’école des frères
Tout en parlant avec Norma, nous traversons le village avec ses maisonnettes en briques crues aux toits en tôle. Nous nous rendons en un endroit particulier d’où nous parviennent, avant même d’y arriver, le chahut et les rires des enfants. Ceux-ci augmentent lorsque les petits reconnaissent Norma. De fait, la maman de Francisco, de Miguel et de Zbigniew est professeur. Elle enseigne les mathématiques, non pas dans l’école du village, mais ici dans l’escuelita de nivelación des frères. Cette école dont le nom signifie littéralement « petite école de mise à niveau » a été fondée en 2001 par les frères afin d’aider les plus pauvres à ne pas perdre le rythme de leurs cours. En fait, l’enseignement public est peu efficace. Cela à cause de la pauvreté des gens mais également du niveau de préparation des enseignants : les plus qualifiés préfèrent rester dans les villes situées le long de la côte plutôt que de venir dans les Andes, jusqu’à Pariacoto ou jusqu’aux minuscules villages, sur les sommets, qui manquent de tout.
Considérer que l’initiative des frères est une simple « étude du soir » est donc plutôt réducteur : ici, les élèves sont accueillis, suivis, tirés de la rue, nourris et mis dans les conditions d’apprendre des bases d’espagnol, d’histoire, de sciences et de mathématiques. La pauvreté de ces enfants et de leurs familles est liée de façon inextricable au manque d’instruction : la charité qui passe à travers l’enseignement des notions fondamentales – lire, écrire et compter – permettra à ces adultes en devenir de construire un avenir meilleur, pour eux-mêmes et pour ces vallées menacées par la spéculation. Dans les montagnes de la région, ont en effet été repérées il y a quelques années des ressources minières dont l’exploitation risque d’être au seul bénéfice des grandes compagnies, contre l’intérêt des natifs, comme c’est déjà le cas dans d’autres régions du Pérou. Pour les habitants de Pariacoto et de tout le territoire de la mission, pouvoir compter sur une meilleure instruction signifie donc pouvoir faire valoir leurs propres intérêts et défendre la terre de leurs ancêtres.
Risque d’écroulement
À l’escuelita, il est maintenant l’heure de commencer les leçons. Une petite cour conduit à deux salles de classe. Quelque 80 enfants de 6 à 11 ans suivent sagement les maîtresses dans les classes, et cela malgré « la distraction » provoquée par les visiteurs européens. Une fois en classe, les élèves se dirigent vers leur chaise, mais restent debout pour réciter le Notre Père et le Je vous salue Marie. Puis ils demandent au frère Paolo et au frère Jarek de les bénir. C’est seulement après la bénédiction qu’ils prennent leurs crayons, leurs cahiers et leurs livres (qui appartiennent tous à l’école car personne n’a les siens). Ils s’assoient et commencent à travailler.
Sans superflu, la salle est très digne. Sur les murs, des pancartes avec les syllabes s’alternent avec des dessins et des étagères où est rangé le matériel scolaire, insuffisant. La salle de classe est couverte par un bas plafond de tôle. Dans l’autre salle, dédiée aux mathématiques, la sensation de détérioration est plus forte. Il est difficile d’arrêter son regard sur les vitres cassées, sur les murs fissurés ou sur les tables abîmées car ce sont les enfants qui capturent l’attention avec leurs visages concentrés sur leurs devoirs, distraits par les flashes du photographe ou encore par la bure noire du frère Paolo. « Mais la bure des frères n’est-elle pas grise ? », semblent se demander certains, habitués à l’habit couleur cendre des amis missionnaires.
Le vrai problème de ces classes ne réside pas dans les fenêtres, les meubles ou le manque de cahiers et de livres. « L’ennemi » est plus insidieux, il se cache dans les murs porteurs. Pariacoto fut en effet détruit par un violent tremblement de terre dans les années 1970. Le risque sismique est très élevé dans tout le Pérou. Et, lors de la reconstruction, fut faite une grave erreur : l’école des frères fut bâtie selon une technique de construction qui aurait dû être « anti-
sismique » grâce à l’élasticité de la charpente en bois dans des murs en briques. Mais, le bois utilisé n’était pas traité : il est désormais en train de s’effriter. Le risque d’écroulement est vraiment très important. Conscients de cette grave situation, les frères de la mission andine ont été sur le point de fermer l’école. Ils n’avaient pas assez de ressources financières pour pouvoir faire autrement.
Mais s’il est impossible de réussir tout seul, à plusieurs et en espérant dans la Providence c’est possible ! Un nouvel horizon s’ouvre grâce à la charité des amis de saint Antoine éparpillés à travers le monde. Grâce à votre soutien, la vieille escuelita pourra être démolie pour en construire une plus grande et, surtout, plus sûre.. Elle pourra devenir un lieu moteur, non seulement éducatif mais aussi pastoral et social, avec des cours à l’intention des jeunes et des adultes. Voilà l’idée du Centro pastoral social san Antonio de Padua in Pariacoto qui, par son nom, montrera déjà la solidarité concrète de la famille antonienne.
Les yeux du frère Jarek brillent à la seule pensée du bien qui sera fait grâce à ce nouveau centre. À travers ce projet, il voit se réaliser l’un des rêves qu’il partageait avec ses compagnons martyrs. Aujourd’hui, 20 ans plus tard, ce désir peut finalement devenir une base solide pour l’avenir. « Notre souhait, explique-t-il, a toujours été de servir les plus pauvres. Ce centre deviendra un point de repère pour tous les habitants du territoire de la mission, qui comprend 5 paroisses avec 72 petites communautés sur les hauteurs, jusqu’à plus de 4 000 m d’altitude, pour une extension de plus de 1 000 km. Permettre aux enfants dans le besoin d’être accueillis et instruits signifie leur donner une opportunité importante pour un avenir meilleur. »
Chez Leidy, Analuz et Jorge
La nuit tombe sur Pariacoto et son escuelita. Au moment de dire au revoir, on pense déjà à la fête qui, le lendemain, animera le village pour célébrer l’anniversaire du martyre. Sortis de l’école, le frère Jarek et le frère Paolo se dirigent vers le petit couvent des franciscains, derrière l’église paroissiale. On dirait une joyeuse sortie scolaire car les délégués de la Caritas Saint-Antoine sont entourés par la quasi-totalité des enfants rencontrés à l’escuelita. Norma aussi accompagne le groupe qui se disperse Via san Francisco, quand les frères entrent dans la maison de trois petits élèves de l’activité extrascolaire : Leidy, 6 ans, Analuz, 9 ans, et Jorge, 11 ans. C’est leur maman qui accueille les visiteurs, elle a dans ses bras le dernier de ses dix enfants. Le père travaille encore dans son petit champ, seule source de revenus de la famille. Derrière la porte d’entrée, un sombre couloir conduit à deux petites chambres dont on ne voit même pas le sol : il est entièrement couvert de grabats pour la nuit et de vêtements en vrac. Puis, en passant par une petite cour, on entre dans une étroite « salle de jour ». Ici, tout est en terre : les murs, le sol, et même les bancs. Il suffit d’un coup d’œil pour comprendre que, dans ces trois pièces, les trois enfants ont du mal à vivre… plus encore à étudier !
L’unique point lumineux de la maison, mis à part les vêtements des enfants, vient d’un panier de bananes et de pommes, bien rangé sur la table. La maman de Leidy, Analuz et Jorge savait que des hôtes importants allaient arriver. Ces fruits sont pour eux, elle les a achetés afin qu’ils les emportent au couvent et les partagent avec les autres missionnaires. Le frère Paolo et le frère Jarek hésitent, ils sont embarrassés : autour d’eux la misère est extrême, comment accepter un si grand présent ? Finalement, c’est le frère Jarek qui accepte le cadeau pour ne pas humilier cette main tendue pleine de confiance. Une fois sorti, il commente : « Ce cadeau est comme l’offrande de la veuve. Les pauvres sont beaucoup plus généreux que les riches. Elle ne nous a pas donné son superflu. » Le soir, au dîner, ces pommes et ces bananes auront une saveur toute particulière…
La procession de l’anniversaire
Un nouveau jour se lève sur les toits en tôle de Pariacoto. Chaque année, pour rappeler la mémoire des frères Miguel et Zbigniew, le jour anniversaire de leur martyre, il est de tradition de parcourir le voyage des deux religieux de l’endroit où ils furent enlevés – le couvent – jusqu’à celui où ils furent accusés de diffuser l’Évangile – la place du village –, et enfin jusqu’au lieu où ils furent tués par un coup de pistolet dans la nuque. Tout le village participe à ce Chemin de croix et de nombreuses personnes sont arrivées d’autres villages, des deux autres couvents des frères au Pérou, d’autres pays de l’Amérique du Sud et même certains de Pologne.
La procession est ouverte par deux croix simplement gravées des noms des martyrs et de l’inscription Paz y bien. À tour de rôle, de nombreuses personnes portent les croix. Parmi elles, le père Paolo mais aussi le père Jarek qui avance la tête appuyée sur le bois de la croix. Tout autour, de nombreux enfants de l’escuelita qui, à un moment donné, se dirigent tous vers la tête de la procession pour animer un chant dédié aux martyrs pour la dernière station, qui marque le lieu de leur exécution. Ce dernier est signalé par un simple petit monticule en pierre. Pour le reste, tout est comme il y a vingt ans : la route poussiéreuse, de rares maisons, des arbustes et des cactus au loin.
Une fois le Chemin de croix terminé, les fidèles se rendent vers la place où sera célébrée une messe finale. Devant l’édicule, l’atmosphère est maintenant plus recueillie, il y a moins de monde. Parmi ceux qui sont restés, Norma et Zbigniew. La petite main de l’enfant se tend pour toucher la photo du frère dont il porte le nom. Sa mère, à ses côtés, fait le même geste, avec lui. Ils récitent une prière, tout bas. Mais assez fort pour qu’elle soit entendue par Celui qui doit l’entendre.
Le projet de la Caritas Saint-Antoine
C’est en vue de la fête de saint Antoine, le 13 juin, que la Caritas Saint-Antoine choisit son projet principal de l’année à travers lequel montrer l’affinité du saint avec les plus faibles. À l’invitation des frères de la mission péruvienne, l’objectif 2012 est celui de réaliser le Centro pastoral social san Antonio de Padua in Pariacoto, en transformant l’escuelita actuelle qui est en train de s’écrouler en un centre de référence pour tous les enfants et les jeunes de la région. La surface, un terrain de 20 mètres par 30 environ, se trouve dans le village de Pariacoto, non loin de la mission franciscaine. Dans cet espace plutôt étroit, on prévoit de réaliser trois petits bâtiments de deux étages chacun. Une fois les salles croulantes détruites, les tôles et les briques en terre laisseront la place au ciment et aux briques cuites, plus durables que les traditionnelles.
Dans le premier édifice, dont les travaux ont déjà commencé grâce à la fondation Adveniat de la Conférence épiscopale allemande, seront aménagées les salles de classe au premier étage, tandis qu’au rez-de-chaussée un salon sera utilisé selon les besoins : rencontres, leçons ou cantine. À côté, un bâtiment plus petit accueillera les volontaires qui arriveront d’autres district ou d’autres pays : c’est eux qui enseigneront aux jeunes l’informatique, qui donneront des leçons d’hygiène et des cours de mise à jour pour les professeurs des Andes. « Nous devons donner une formation aux enseignants qui vivent dans les montagnes », explique le père Jarek pour qui « c’est ement ainsi que les enfants qui habitent loin de Pariacoto pourront avoir une éducation de meilleure qualité et sortir de la spirale de l’ignorance. »
Le troisième bâtiment, enfin, aura au rez-de-chaussée une bibliothèque et au premier étage une salle d’informatique avec 10 ordinateurs. Les salles de bain et des jeux dans la cour, pour la récréation des enfants, complèteront les structures de ce centre. Construire et aménager le Centro pastoral social san Antonio de Padua in Pariacoto coûtera eviron 100 000 euros : un nouveau défi à relever tous ensemble, au nom de saint Antoine !