Un patrimoine sur lequel construire
Si leur conscience a été secouée, les Européens n’ont pas attendu l’incendie de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris en avril dernier pour prendre conscience de l’importance de leur patrimoine. Chaque année, ils sont ainsi des millions à profiter des Journées européennes du patrimoine pour aller à la découverte des lieux connus ou méconnus qui les entourent.
En France, pays où ces Journées ont été créées en 1984, ils n’étaient pas moins de 12 millions de visiteurs l’an dernier. En Suisse et en Belgique, ils étaient plusieurs dizaines de milliers. L’évènement est tellement apprécié que désormais l’ensemble des pays européens — soit pas moins d’une cinquantaine d’États ! — s’est joint à cette proposition culturelle. Musées et bâtiments officiels bien sûr, mais aussi chapelles habituellement fermées ou encore propriétés somptueuses de particuliers ouvrent leurs portes pour l’occasion. Le choix de propositions est donc vaste, allant du palais de la Nation à Bruxelles aux jardins remarquables amoureusement entretenus, chacun peut trouver un lieu à visiter à son goût. Au total, pas moins de 70 000 manifestations étaient organisées à travers l’Europe pour l’édition 2018.
Si les Journées européennes du patrimoine proposent de visiter des lieux historiques emblématiques, elles permettent aussi de voir qu’il s’agit bien souvent de lieux vivants. Ainsi, des palais qui abritent les institutions officielles, mais aussi de ces nombreux lieux sur lesquels le regard oublie habituellement de s’attarder. Là une famille qui entretient depuis plus de deux siècles un jardin préservant ainsi des espèces uniques, ici un couple qui consacre son énergie à reconstruire une commanderie du XIIe siècle. Plus que des lieux du passé, il s’agit donc d’endroits de transmission d’un héritage commun des siècles.
S’inscrire dans les siècles de prière
« La tradition c’est comme les racines qui donnent la sève pour grandir, […] c’est la garantie de l’avenir, et pas le gardien des cendres ». Avec son sens habituel de la formule, le pape François expliquait récemment par ces mots l’importance de la préservation du patrimoine. Certainement pas pour s’enorgueillir d’un glorieux passé le plus souvent fantasmé — les « cendres » dont parle le Pape — mais bien pour construire sur ce qui a progressivement été bâti par la succession des générations. Comme le dit le Christ dans la parabole évangélique, qui veut construire doit le faire sur des bases solides (Mt 7,
24-27 et Lc 6, 46-49).
En Europe, le patrimoine est indissociable de la foi catholique. Bien souvent, les villages se sont construits autour des églises paroissiales, tandis que les paysages ont été façonnés par le pieux travail des moines des abbayes. Dans ces lieux, expliquait Benoît XVI en 2008 au cours de sa visite à Paris, « survécurent les trésors de l’antique culture et où, en puisant à ces derniers, se forma petit à petit une culture nouvelle », la culture commune à l’Europe. Et le Souverain pontife théologien de poursuivre : les moines du Moyen Âge n’avaient ni la volonté de « créer une culture nouvelle ni de conserver une culture du passé, […] leur objectif était de chercher Dieu ». Comme le démontre le pape émérite, la culture européenne s’est ainsi forgée sur la recherche de Dieu. C’est en particulier vrai lorsque les Journées du patrimoine sont l’occasion de visiter des lieux chrétiens habituellement fermés au public, pour poursuivre par sa prière celle des fidèles du passé.
La via pulchritudinis
Célébrer le patrimoine européen, c’est donc s’inscrire dans cette lignée de la quête de Dieu à travers les siècles, même lorsque les lieux sont profanes. En effet, la recherche de Dieu ne passe pas seulement par l’étude des Écritures ou par les temps de recueillement. Il existe un autre chemin : la via pulchritudinis, la voie de la beauté. En effet, aux côtés du Vrai et du Bien, le Beau peut aussi mener à Dieu, pour qui sait ouvrir son cœur à la transcendance de la beauté contemplée. L’émoi provoqué dans le monde entier par l’incendie de Notre-Dame prouve bien qu’il y a là plus qu’un simple assemblement de pierre et de bois, aussi esthétique soit-il.
Le poète et dramaturge français Paul Claudel (1868-1955) est probablement un des meilleurs exemples de la force de la beauté pour mener à Dieu. Le soir de Noël 1886, il rentre par hasard dans la cathédrale Notre-Dame à Paris — encore elle ! — « n’ayant rien de mieux à faire », explique-t-il. Alors que les vêpres sont chantées, le jeune homme de 18 ans se retrouve à contempler la célèbre statue de la Vierge du Pilier. « Et c’est alors que se produisit l’évènement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d’une telle force d’adhésion, d’un tel soulèvement de tout mon être, d’une conviction si puissante, d’une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d’une vie agitée, n’ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. »
L’expérience de Claudel est bien sûr exceptionnelle et rares sont ceux qui sont convertis en une illumination. Cependant, aller à la découverte du patrimoine peut devenir l’occasion de faire naître une interrogation, surtout chez les plus jeunes, qui vivent immergés dans une société chaque jour un peu plus sécularisée.
Alors pendant les Journées européennes du patrimoine, pas d’hésitation, allons à la découverte de ces richesses sur lesquelles construire ! Et toute l’année, ouvrons l’œil pour mieux admirer ce patrimoine qui nous entoure et qui nous façonne.