Un monde d’après, mais lequel ?
« Quand nous sortirons de cette pandémie, (…) tout sera différent. » C’est ce que le pape François affirmait dans un message-vidéo diffusé à la fin du mois de mai, à la veille de la Pentecôte. « Des grandes épreuves de l’humanité, poursuivait-il, dont la pandémie, on ressort meilleur ou pire. On ne ressort pas comme avant. »
Tout l’enjeu est donc de ressortir « meilleur » de cette pandémie, afin de briser le cycle de négativité qu’elle risque d’entraîner : maladie et crise du lien social, mais désormais crise économique, explosion probable du chômage, et même crise alimentaire dans les pays dépendant des importations. Comme le Pape l’a souvent dit, ce sont les pauvres qui payeront le plus lourd tribut de cette épidémie. « Comment voulez-vous sortir ? Meilleurs ou pires ? Et c’est pourquoi aujourd’hui nous nous ouvrons au Saint-Esprit pour que ce soit lui qui change nos cœurs et nous aide à ressortir meilleurs. »
Dans un entretien consacré à l’épidémie, le pontife argentin a lui-même tracé une piste de sortie vers le haut. La pandémie est pour lui un appel et une occasion pour « franchir le pas décisif » et « passer de l’utilisation et de l’abus de la nature à sa contemplation ». Pour l’auteur de l’encyclique Laudato si’ sur la sauvegarde de la Maison commune, la sortie de crise passe par la réconciliation avec la « Mère Terre ». C’est ainsi que le Pape a décidé de lancer une « année Laudato si’ », du 24 mai 2020 au 24 mai 2021 pour laquelle il a composé une prière spéciale (voir encadré).
« Vivre mieux avec moins »
Sur ce chemin, appelant à une nouvelle culture plus respectueuse des autres et de l’environnement, le pape François n’est pas seul à cheminer aujourd’hui. S’il prend soin de ne pas négliger les situations de souffrances engendrées par le confinement du printemps dernier, Mgr Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, estime que pour beaucoup — dont lui — cette période a été l’occasion de découvrir que l’on pouvait « vivre mieux avec moins ». « Le confinement, explique-t-il, a été l’occasion d’expérimenter une vie plus simple, de goûter les joies que l’on peut avoir lorsque l’on a moins. Maintenant, il faut en tirer les leçons pour vivre mieux. » Pour lui aussi, Laudato si’ est « une des voies majeures pour l’après-pandémie ».
Dans sa lettre au président de la République Emmanuel Macron publiée début juin sous le titre Le matin, sème ton grain, le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, se situe dans la même lignée. « L’épidémie, écrit l’archevêque de Reims, s’ajoute à la contrainte écologique pour encourager l’humanité entière, tout homme, tout État, toute structure politique à ne pas limiter le bien commun aux seuls intérêts des humains mais à inclure dans sa visée tous les êtres de notre cosmos. »
Être jugés selon ce que Jésus nous dit
Il ne faut toutefois pas croire que cette « conversion Laudato si’ » soit seulement une affaire d’évêque ou de pape ! De nombreuses personnes, plus ou moins proches de l’Église, ont profité du confinement pour (re)découvrir ce texte emblématique du pape François. En France, mais aussi dans d’autres pays, des chrétiens se sont constitués en groupes de réflexion pour avoir des comportements plus soucieux de la « maison commune ». Ainsi, le service de volontariat à l’international Dom&Go lié aux Dominicains veut revoir les pays d’envoi en mission, en choisissant peut-être des destinations plus proches, afin de limiter l’empreinte carbone.
Mais Laudato si’ n’est pas qu’une encyclique « verte » ou « écolo ». Comme le pape François l’affirme souvent, « tout est lié » : on ne peut véritablement prendre soin de la « Mère Terre » sans aussi prendre soin du prochain — et choisir la première au détriment du second serait criminel. Il poursuivait donc ainsi son message pour la veille de la Pentecôte : « Si nous ne vivons pas pour être jugés selon ce que Jésus nous dit : “Car j’avais faim et qu’ils m’ont donné de la nourriture, j’étais en prison et ils m’ont rendu visite, j’étais étranger et ils m’ont reçu”, nous ne ressortirons pas meilleurs [de la pandémie]. »
Aller à la rencontre de l’autre
Ce n’est donc pas à une écologie désincarnée et lointaine que le pape François appelle pour sortir de l’épidémie, mais bien à une attitude de soin et de tendresse proche pour la Création, qui est aussi valable pour le prochain. À commencer par ceux qui souffrent de l’épidémie : les malades bien sûr, mais aussi les personnes isolées, les familles endeuillées, les chômeurs, ceux qui ne trouvent pas de travail… Malheureusement, la liste est longue et chaque chrétien est appelé à se soucier de ses prochains. « Il est urgent maintenant de prendre soin de celui qui a faim de nourriture et de dignité, de celui qui ne travaille pas et peine à aller de l’avant », exhortait ainsi le pape François dans son homélie pour la Fête-Dieu mi-juin. « Il faut une proximité réelle, il faut de vraies chaînes de solidarité (…) : ne laissons pas seul celui qui nous est proche ! »
Ces « chaînes de solidarité » sont nombreuses. Donner de son temps, de son argent, un sourire, une prière… Chacun à sa mesure, selon ses capacités et son souhait, peut participer. Et pour cela, l’évêque de Rome donnait la voie dès 2013, lors d’une rencontre à Assise pour la fête de saint François. « Nous sommes tous appelés à être pauvres, à nous dépouiller de nous-mêmes ; et pour cela, nous devons apprendre à être avec les pauvres, partager avec ceux qui sont privés du nécessaire, toucher la chair du Christ ! (…) Je voudrais prier afin que chaque chrétien, l’Église, chaque homme et femme de bonne volonté, sache se dépouiller de ce qui n’est pas essentiel pour aller à la rencontre de celui qui est pauvre et demande à être aimé. »
Aller à la rencontre de l’autre, voilà la clef pour sortir « meilleur » de la pandémie et construire le monde qui vient.