Un ferment africain au Malawi
Une paroisse grande d’environ 5 000 km2, une masse de 80 000 baptisés et un système scolaire en effondrement. Un défi presque impossible, relevé par quatre frères zambiens. Une opportunité pour nous tous d’appuyer la première mission entièrement africaine des frères mineurs conventuels. Au centre, les jeunes et une école qui changera leur vie.
Dans la grande salle en terre crue et au toit de tôle, il y a au moins 90 enfants. Une maîtresse fait la navette entre cette classe et une autre, avec des enfants plus âgés. Deux classes, deux programmes, et le même horaire. « Aucun enseignant ne veut venir jusqu’ici. Mais cela va changer, les choses vont changer », répète le frère Linus Mulenga, contre toute évidence, avec l’optimisme que seul un franciscain peut avoir.
Le projet que la Caritas Saint-Antoine propose aux lecteurs à l’occasion du 13 juin, fête de saint Antoine, commence par son biais et celui d’une petite communauté de frères mineurs conventuels, originaires de la Zambie, transférés à Mzimba, un district rural du nord du Malawi, en Afrique sud-orientale. Il s’agit d’une école supérieure qui sera dédiée à saint François : huit classes, les toilettes, trois puits et une habitation pour les professeurs. Un projet en apparence similaire aux autres, mais qui, dans cette contrée pauvre et reculée, est une révolution. Le frère Linus le sait bien, et il sait également que cela représente un grand défi pour les gens, pour lui qui en est responsable, et pour les frères qui, avec lui, ont entamé cette aventure en 2008. C’est un défi pour la Province franciscaine protomartyrs de Zambie également, car leur mission est la première des Mineurs Conventuels qui soit totalement africaine, en terre africaine.
Pionniers et franciscains
« Nous sommes venus ici car le nonce apostolique, le même pour la Zambie et le Malawi, pensait que le charisme franciscain était le plus adapté à ces lieux. Nous sommes arrivés le 16 juin 2008, sans la moindre idée de ce qui nous attendait. La paroisse St. Paul à laquelle nous sommes assignés possède un territoire de plus de 5 000 km2 répartis en villages de 20 à 30 maisons chacun, mal reliés, avec des routes impraticables durant la saison des pluies. « Il n’y avait pas eu de recensement en bonne et due forme, mais les estimations parlaient de 80 000 baptisés. Comment pouvions-nous aller jusqu’à chacun d’entre eux ? »
Ce n’est pas la seule surprise : peu de temps après, ils apprennent que la gestion de 38 écoles leur incombait, le gouvernement les ayant confiées aux catholiques, en leur donnant seulement une contribution pour le salaire des enseignants : « Du jour au lendemain – poursuit le frère Linus – nous nous sommes retrouvés responsables d’environ 40 000 élèves, sans même savoir où étaient leurs écoles. »
Les frères ont mis des mois à toutes les retracer : « Les écoles débordaient d’enfants, chacune contenant de 400 à plus de 1 000 élèves. Presque toutes étaient gravement abîmées, impraticables à cause de la pluie, sans bancs et sans matériel. Dans certains cas, les classes ne suffisaient pas et on devait faire cours en plein air. » Mais l’aspect le plus grave concerne les enseignants, il y en a deux, trois, maximum quatre par école : un pour 125 à 150 élèves, contre une moyenne nationale déjà très élevée, d’un enseignant pour 60 élèves. « Malgré tout les leçons ont lieu – commente le frère Linus – et les enfants se réjouissent d’aller à l’école et d’apprendre le plus possible. »
Une mission toute africaine
Toutefois, la plus grande difficulté ne dépend pas tant de la vastité de la mission que des différences culturelles. Dans l’arrière-pays de Mzimba, des coutumes millénaires survivent encore. Il y a par exemple un sens du respect qui se base sur des rituels rigides qui, dans de nombreux cas, bloquent les relations entre les personnes. Par exemple, personne ne peut s’adresser à une personne considérée supérieure sans un intermédiaire.
Ce n’est pas tout, rapidement les frères s’aperçoivent que ce black out de relations est dangereux surtout pour les plus jeunes qui, privés de guides et de possibilités d’expression, sont exposés à des abus et à mille dangers. « Nous respections les rituels de salut mais après nous commencions à parler avec tout le monde directement et en public – poursuit le frère Linus –, même avec les femmes. Nous allions de maison en maison pour encourager les parents à dialoguer avec leurs enfants et à leur expliquer à quel point ce silence représente un danger pour les plus petits. Les gens nous regardaient de façon suspicieuse, ils disaient que nous étions noirs mais sans scrupules comme les Occidentaux, presque immoraux : cela a été une grande souffrance. Nous étions réconfortés par la conscience que dans cette situation précise, porter François signifiait transmettre aux gens la joie, la paix et la liberté des fils de Dieu. C’était vraiment un grand défi. »
En quête d’un tournant
La mission des frères devient un inlassable pèlerinage, de village en village. La présence et le rapport direct deviennent ses maîtres mots. Un parcours spirituel et humain à la fois, qui pousse les frères à comprendre avec toujours plus de certitude que « l’école, seule l’école peut changer les choses ». Le frère Linus poursuit : « Nous avons préparé un plan d’intervention et fixé un objectif minimum : nous devions répartir le territoire et chercher dans chaque zone un référent pour améliorer ensemble la condition des écoles. »
C’est ainsi qu’est née la Spacta (St Paul’s Parish Catholic Teachers Association), une association d’enseignants et de parents de la paroisse. Au début rien n’est simple : « Les gens nous disaient : “Que pouvez-vous faire, vous qui êtes aussi pauvres que nous ?” C’est vrai, nous n’avions pas d’argent, mais, j’étais convaincu que c’était justement la pauvreté qui pouvait nous unir, avec le fait d’être tous enfants de la même terre. Je comprenais toujours plus pourquoi l’évêque nous avait voulus nous, franciscains, ici. »
La méfiance se dissout peu à peu, et devient même une collaboration : dans les villages, les gens commencent à mettre à disposition des briques et de la main-d’œuvre pour construire les maisons des enseignants, condition essentielle pour aider les maîtres d’école à s’établir dans les communautés. Le tournant s’est produit en 2010 lorsque les frères organisent un atelier pour promouvoir le travail d’équipe et fournir les rudiments du leadership : « Les représentants de toutes les zones et écoles sont venus : pour la première fois, ils s’écoutaient les uns les autres, ils partageaient les difficultés et les solutions. »
Une école supérieure, pourquoi ?
À ce jour, tout n’est pas résolu, il faudra beaucoup de temps, mais la reconstruction des écoles et l’amélioration de l’enseignement est à la portée de la communauté qui continue à y travailler avec passion. Le problème pour l’heure se déplace vers les adolescents qui sortent de l’école obligatoire et qui n’ont aucune possibilité de travailler ou de poursuivre des études, une situation qui concerne plus de 6 000 jeunes chaque année : « Ici il n’y a pas d’industries, on vit d’agriculture de subsistance, explique le frère Linus. Le manque de perspectives rend ces jeunes très fragiles, les exposant au risque de mariages précoces, de sombrer dans la prostitution ou dans l’alcoolisme, de contracter le virus du sida, très diffusé dans cette région. Ce sont ces raisons qui nous ont conduits à vous demander de l’aide pour construire une école supérieure, qui ferait avancer l’aiguille du développement de plusieurs années. »
Une école secondaire d’État existe, mais elle se trouve au centre de la ville, à Mzimba, peut accueillir quelques centaines d’étudiants et est hors de portée pour les jeunes de l’extérieur. « Notre école ne résoudra pas non plus le problème – admet le frère Linus –, mais nous avons l’ambition de la faire devenir la meilleure du secteur, en allant à la recherche d’enseignants plus qualifiés. Certains de nos frères en formation en Zambie étaient enseignants avant d’entrer dans l’ordre, et pourront être une ressource précieuse. Cet endroit oublié de tous deviendra le centre d’une nouvelle phase. »
La St. Francis School accueillera 300 étudiants, voire le double si les frères réussissent à trouver suffisamment d’enseignants pour organiser les cours de l’après-midi. « C’est une goutte dans l’océan, je ne me fais pas d’illusions, conclut le frère Linus, mais Mère Teresa disait que même une goutte peut faire la différence, parce qu’elle produit un effet multiplicateur. Si nous réussissons dans notre entreprise pour l’école St. Francis, les administrateurs, les professionnels, les nouveaux leaders de demain pourraient s’y former. Ce seront eux qui amélioreront la condition de tous les autres. C’est un espoir que nous franciscains d’Afrique voudrions donner à ces frères, avec votre aide. »
Le projet en bref
Deux blocs de 4 classes : environ 518 m2 chacun
Deux blocs séparés de sanitaires : environ 28 m2 chacun
Trois puits
Un prototype de maison par enseignant
Total : 450 000€