Télévision et violence
Est-ce la violence quotidienne qui alimente la violence à la télévision, ou l’inverse ? Chacun aujourd’hui – petit ou grand – en prend plein les yeux et les oreilles. Une nouvelle signalétique peut-elle assainir cette situation ? Ce qui est évident, c’est qu’un enfant a besoin d’un adulte face aux images qui dérangent. |
Quel impact réel peuvent avoir les scènes de violence du petit écran sur le comportement des enfants ? A cette question qui préoccupe parents et éducateurs depuis que la télévision existe, des milliers de travaux de chercheurs ont tenté de répondre – notamment aux Etats-Unis – arrivant à des conclusions parfois contradictoires, rarement catégoriques.
« Quand on parle de mimétisme, on a tendance à tout confondre, souligne le psychanalyste Serge Tisseron, auteur de Y a-t-il un pilote dans l’image ? (Ed. Aubier). Un enfant, après avoir vu une scène de bagarre dans un film, peut faire semblant de tirer des coups de pistolet sur ses copains. Il s’agit d’une simple reproduction ludique, une manière pour l’enfant de s’approprier des images. En revanche, le vrai mimétisme – ouvrir le feu sur ses camarades – est extrêmement rare. Pour que des images déclenchent un passage à l’acte, il faut d’abord qu’elles réveillent des traumatismes effectivement vécus. Les images à elles seules ne suffisent pas. Il faut aussi et surtout que ces enfants appartiennent à un groupe social ou familial qui valorise l’expression de la violence. »
Face à cette violence des jeunes qui inquiète les adultes, la télévision sert souvent de bouc émissaire. « Beaucoup d’autres facteurs sociaux sont responsables de la violence, remarque la sociologue Judith Lazar, auteur de La télévision mode d’emploi pour l’école (E.S.F. Editeur). Au lieu de taper hypocritement sur la télévision, on ferait mieux de résoudre les vrais problèmes. La télévision n’invente pas la violence, mais elle la met en scène et la fait entrer dans chaque foyer. Ainsi ceux qui regardent beaucoup la télévision ne voient qu’un monde à travers les lunettes du petit écran et s’imaginent qu’ils vivent dans un monde extrêmement dangereux. »
« Le sentiment d’insécurité, d’anxiété, de vulnérabilité des individus à l’égard du monde réel, que la télévision cultive, déclenche des réflexes sécuritaires, souligne le sociologue américain George Gebner, qui a mené une enquête pendant plus de vingt ans. Certes, la situation en Europe n’est pas comparable à celle des Etats-Unis où les enfants restent face à des programmes beaucoup plus violents, cinq à sept heures par jour, en moyenne. En France, ils passent la majorité de leur temps à l’école et la communication entre les individus est plus forte. »
L’enfant a besoin d’un adulte. Les enfants, comme le constate Serge Tisseron, sont plus sensibles que les adultes à la violence subie ; ils ont tendance à se projeter davantage du côté des victimes que des bourreaux. Et ils ont besoin que les adultes les rassurent. « Plutôt que de diaboliser la télévision, il vaudrait mieux mobiliser tous les adultes, face à leurs responsabilités », remarque Elisabeth Auclaire, présidente du groupe de Recherche sur la relation enfants-médias.
Les parents ont à expliquer, argumenter, sans oublier de donner eux-mêmes le bon exemple, comme gage de crédibilité. Va pour les émissions regardées ensemble, mais trop souvent la télévision remplace la baby-sitter. Avec un effet pervers. « Il faut éviter de laisser les enfants regarder seuls la télévision, remarque la psychothérapeute Marceline Gabel. Leur perception de la violence est en relation directe avec leur phase de développement. Si cette violence rencontre leur peur, leur fantasme, elle réactive quelque chose. Mais on ne peut pas le savoir. Cela dit, la parole, comme la présence de l’adulte, est rassurante et les parents peuvent tenir leur rôle, en différé, en faisant raconter aux enfants ce qu’ils ont vu. Il leur est alors possible de rectifier ou de compléter les impressions laissées par les émissions. Utiliser les mots pour panser les maux. Cela permet de recadrer, de rappeler les repères, de prendre du recul sur les images qu’ils ont reçues passivement, de relativiser enfin les excès montrés. »
« La violence des jeunes vient de l’instabilité sociale et de la détérioration de la qualité de vie familiale, pas de la télévision », soutient Maryvonne Masselot, professeur à l’Université de Franche-Comté et responsable d’un groupe de réflexion sur la lecture de l’image télévisuelle.
Les enseignants qui travaillent dans leur classe sur la télévision en viennent tous à la même conclusion. Françoise Maingre, enseignante dans une zone d’éducation prioritaire (ZEP), aux Mureaux (Yvelines), souligne ainsi que l’an dernier, à la suite du meurtre d’un adolescent de 14 ans à la sortie du collège, elle avait demandé aux élèves d’une classe de CM1 d’écrire le mot qui évoquait, pour eux, la violence. Les mots les plus souvent cités ont été : racket, viol, arme. Cette réaction venait, non de la télévision, mais de ce qu’ils connaissent dans leur vie quotidienne, dans la cité, dans les caves, dans la famille. Dans leurs jeux, les enfants reprennent des gestes et des mots des héros de la télévision, mais ce ne sont pas ces jeux-là qui dégénèrent. Les bagarres viennent des histoires de la cité.
Lieu d’apprentissage, l’école d’aujourd’hui doit aussi apporter aux élèves les moyens d’analyser ce qu’ils voient et d’exprimer ce qu’ils ressentent : apprendre à lire la télé. Cela requiert les mêmes compétences que la lecture d’un texte, reconnaissent beaucoup d’enseignants. Et les images que les élèves décrivent avant tout comme insoutenables sont celles du journal télévisé, car elles font résonner une réalité qui les touche. « Les enfants sont de grands consommateurs d’information, insiste Evelyne Bevort, directrice déléguée du Centre de l’Enseignement et des moyens d’information. Ils sont choqués par des images de guerre, de massacres. Les affaires de pédophilie les ont bouleversés. Ils ont besoin de se décharger auprès d’un adulte, de ces images qui les dérangent et ils ne trouvent pas toujours, dans leur famille, d’interlocuteur capable de les aider. Il est important qu’ils comprennent pourquoi ces images sont montrées et qu’ils apprennent à en parler. »
Faut-il supprimer toute violence a la télé ? Et la signalétique ne peut pas toujours jouer son rôle. Quand une chaîne passe à 18 heures, l’annonce de la série américaine qui sera projetée à 23 heures, à l’aide d’un passage particulièrement violent, cette annonce, entre un dessin animé et une émission scientifique, agresse le jeune téléspectateur. Là, on crée une aliénation, une sidération, une fascination dont les programmateurs jouent et qui est dangereuse. C’est là qu’il y a manipulation de la télévision à des fins d’audimat et que la conscience civique des responsables des programmes peut être mise en cause.
Alors, faut-il supprimer la violence à la télévision ? A cette question, laissons répondre Sylviane Giampino, psychanalyste, fondatrice de l’Association nationale des psychologues de la petite enfance, auteur d’une vaste enquête sur « les effets des images violentes, sur le discours et le comportement d’enfants de 11 à 15 ans. » La question, dit-elle, n’est pas d’éradiquer toute forme de violence, car elle est constitutive de l’être humain. L’important est d’éviter que ces pulsions agressives ne se transforment en actes destructeurs, contre les autres ou contre soi-même.
Les enfants non plus ne sont pas en sucre d’orge et il n’est pas question de leur proposer une télévision à l’eau de rose. C’est même l’erreur d’une certaine éducation que de faire peser l’interdit de violence, non seulement sur l’action et les paroles, mais aussi sur la pensée, sur l’imaginaire, autrement dit sur le monde intérieur des enfants. Si on met le couvercle sur le droit de penser violent, d’imaginer violent, ce qui est refoulé risque de rejaillir avec davantage de force.
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La violence dans les journaux télévisés
Huit pour cent des fictions programmées en un an ont fait l’objet d’une signalétique (accord parental souhaitable, indispensable ou public adulte). La proportion atteint 25% après 20 h 30 et 60% après 22 heures (Source C.S.A. déc. 97).
75% des 8-14 ans (et 81% des 8-10 ans) déclarent tenir compte de la signalétique dans le choix des programmes qu’ils regardent. (Sondage BVA, mars 1997).
35% de ces enfants déclarent être impressionnés par les images brutales des informations télévisées. 40,5% se disent choqués ou effrayés par les scènes de guerre. (Sondage BVA mars 1997).
75% des adultes (plus de 15 ans) se déclarent choqués « souvent ou de temps en temps » par certains reportages des journaux télévisés, 68% par les films de seconde partie de soirée. Ils sont néanmoins plus nombreux a être choqués par la violence dans la vie quotidienne (85%) ou dans la presse (71%) (Sondage Ifop, nov. 1997).
Les enfants regardent moins la télévision que les adultes : 102 minutes par jour en moyenne pour les 4-10 ans, 121 minutes pour les 11-14 ans, 128 minutes pour les 15-24 ans, contre 180 minutes en moyenne, pour l’ensemble de la population (Source Médiamétrie).
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Violence et sondages
80% des Français trouvent qu’il y a trop de violence à la télévision, 45% trop de sexe. Par ailleurs, 48% trouvent que les chaînes les informent insuffisamment sur les images violentes ou érotiques des émissions.
Sur la signalétique anti-violence, 78% des Français estiment que sa mise en place a été une bonne chose, 85% estiment qu’elle devrait être la même sur toutes les chaînes (Sondage Ipsos-Télé 7 jours).
Dans un sondage Sofrès-Pèlerin Magazine, réalisé les 10 et 11 octobre 1997, auprès de mille personnes âgées de 18 ans et plus, 31% des familles ayant des enfants de moins de 12 ans ont estimé que la signalétique, après un an de présence, était très utile et 30% pour l’ensemble des Français. A la question : tenez-vous compte de cette signalétique sur la violence avant d’autoriser vos enfants à regarder un programme, 66% des familles ayant des enfants de moins de 12 ans répondent par l’affirmative et 61% pour l’ensemble des Français. 47% des Français ayant des enfants de moins de 12 ans estiment que la signalétique choisie par les chaînes est plutôt bonne, contre 49% pour l’ensemble des Français.
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L’opération « boule de neige »
Des élèves de CM2 de l’école Nazareth de Bonchamp, près de Laval (Mayenne), avaient découvert, dans l’hebdomadaire Le Journal des Enfants un titre qui les avait touchés : « Des enfants tuent des enfants ». Il était question dans l’article d’un fait divers aux Etats-Unis, qui s’est reproduit en France. Et les enfants se sont mis à parler de la violence à la télévision, à dénoncer ces dessins animés où les héros sont toujours ceux qui tapent le plus fort ou ceux qui tuent et à refuser que l’Amérique nous importe sa civilisation de violence.
Les petits citoyens de Bonchamp ont alors écrit une lettre au quotidien régional Ouest France et au Journal des Enfants. Ils ont reçu à l’époque des milliers de lettres de toute la France. Ils ont recueilli 20 000 signatures enfantines, écrit aux directeurs des chaînes de télévision et composé une chanson : « Jamais plus de violence ». Le chanteur Eric Vincent, originaire lui aussi de la Mayenne, leur a proposé d’en faire un disque. C’était en décembre 1995. Depuis, Eric Vincent, en tournée à l’étranger, s’est fait leur ambassadeur, se rendant compte que « tous les enfants avaient partout la même préoccupation ».
Depuis, l’opération « Boule de neige » (Place de l’Eglise 53960 Bonchamp) a tissé une grande chaîne des enfants du monde contre la violence. De Tahiti, aux Etats-Unis, de l’Argentine au Vietnam, des concours sont organisés dans les écoles primaires, pour écrire, chacun dans sa langue, d’autres couplets à la chanson.