Sri Lanka : Une communauté portée par saint Antoine
Le 21 avril 2019, à Pâques, la paroisse Saint-Antoine à Colombo s’est retrouvée il y a plus d’un an au milieu d’un massacre humain. L’explosion a plongé dans un deuil douloureux de nombreuses familles sri-lankaises. Dans l’église, la statue de saint Antoine protecteur de l’édifice se brise. Une profanation cruelle, pouvant alimenter des sentiments haineux alors que les tensions ethniques et religieuses ne cessent d’augmenter sur l’île.
Face à cet évènement tragique, nous, les frères de la basilique Saint-Antoine, avons décidé de faire quelque chose pour aider ces gens aux incomparables souffrances. Ce lien étroit qui unit la Basilique et les Sri Lankais ayant une forte dévotion à saint Antoine, nous ont fait ressentir un appel à les aider. En effet, depuis de nombreuses années, chaque 1er mai a lieu à Padoue un pèlerinage sous le patronage de saint Antoine animé par la communauté sri-lankaise. Une célébration qui renforce l’amitié entre les frères et le cardinal Mgr Ranjith, archevêque métropolite de Colombo. Cette année, à cause de la pandémie, celui-ci n’a pas eu lieu.
Le voyage
À la suite de cet engagement, je me suis retrouvé, quelques mois après l’attentat, avec un groupe de confrères dont le frère Oliviero Svanera, recteur de la basilique Saint-Antoine, dans un avion pour Colombo. L’attentat a concerné trois églises et des hôtels, causant 253 morts et 500 blessés. Il a été revendiqué par l’État islamique. Les retombées sur la population sont désastreuses : des personnes sans domicile, des enfants se retrouvant orphelins, d’autres devenues handicapées physiques. Cette société a été traumatisée par ces provocations fondamentalistes et a besoin de signes concrets d’espérance.
Le cardinal Ranjith a voulu connaître les histoires, enterrer les morts, bénir les corps mutilés de la population sri-lankaise. Il a construit autour des victimes un réseau de relations, en rappelant aux fidèles que la Passion conduit à la Résurrection et que les chrétiens possèdent les anticorps contre la haine. Il faut désormais penser à l’avenir.
Nous atterrissons. Le référent du cardinal, Mgr Neville Joe Perera, est venu nous chercher. L’air est moite, une odeur d’essence me prend à la gorge. Les tuk tuk, des pittoresques taxis à trois roues, circulent rapidement dans un trafic dense. « Il y en a au moins 200 000 en ville et ils sont le principal moyen de gagner leur vie pour les habitants », nous explique Mgr Neville. Au Sri Lanka, on ne meurt pas de faim mais un important fossé se creuse entre les populations aisées et nécessiteuses.
Comme un chemin de Croix
Le lendemain, Mgr Neville nous accompagne à l’église Saint-Sébastien, ou le bilan humain est le plus lourd : 116 victimes au total. Rapidement, des signes de l’attentat apparaissent sous nos yeux : la statue d’un Christ ressuscité montre des traces de sang. Sur les murs, demeurent des trous causés par le métal des bombes. À l’extérieur, une dalle sur laquelle sont inscrits les noms des victimes — souvent des familles — est posée. Près de l’église, le cardinal a acheté un terrain pour enterrer les victimes. Je marche parmi les croix en ciment. Susantha m’attend auprès de la tombe de sa femme, 34 ans, et de leurs trois enfants âgés de 14, 10 et 7 ans. Les victimes correspondant auparavant à des statistiques deviennent maintenant des visages. « Je suis chauffeur de taxi, raconte-t-il. Le jour du drame, j’avais travaillé toute la nuit. Ma femme était allée à la messe avec les enfants. Quand j’ai arrêté de travailler, je voulais les rejoindre à l’église. J’ai entendu le bruit d’une explosion. J’ai couru vers l’église. J’y suis entré. Il y avait beaucoup de corps. Je cherchais ma femme et mes enfants. Parmi les débris, j’ai reconnu la jupe de ma femme, que je lui avais offerte pour Pâques. J’ai pris dans mes bras mes enfants mais ils étaient morts. Ma femme, elle, respirait encore. Je l’ai amenée à l’hôpital le plus proche. Je n’avais pas vu qu’une balle lui avait traversé la tête... » Susantha vit maintenant dans son taxi, en face du cimetière.
Quant à Thilina Harshani, à l’église ce matin-là, elle est la seule de sa famille à avoir survécu. « Je n’ai pas compris tout de suite ce qu’il s’était passé. Je pensais simplement à un éclair. J’ai perdu mon mari et mes deux filles de 16 et 14 ans. » Thilina, auparavant bouddhiste, s’est convertie : « L’Eucharistie me donne la force de vivre et de continuer à aimer. » Sa maison, dépouillée, n’abrite que quelques chaises. Il lui reste seulement deux photos de son mari et ses filles. « L’Église s’est montrée très proche de moi. Dieu m’a pris et Dieu m’a donné. » Rempli d’admiration pour cette femme, le curé m’explique que les bouddhistes convertis réagissent mieux face à la douleur que nous.
À l’hôpital, une autre femme rencontrée m’interpelle. La bombe lui ayant cassé la colonne vertébrale, celle-ci est soignée grâce à l’Église. Nous accueillant en souriant, la Sri Lankaise souhaite coûte que coûte retrouver son mari et ses enfants, malgré la nécessité d’une assistance d’auxiliaires orthopédiques. Un an après l’attentat, les blessures sont encore présentes.
Saint Antoine des Sri Lankais
Durant notre voyage, il y eut aussi de belles surprises. Nous sommes allés visiter l’église Saint-Antoine où 55 personnes ont perdu leur vie. J’avais déjà entendu parler de la grande dévotion des Sri Lankais pour saint Antoine mais ce que j’ai vu dépassait de loin toutes mes attentes !
Le recteur du sanctuaire nous conduit à l’endroit précis de l’explosion de la bombe. Il nous explique que le 21 avril, le nombre des victimes aurait pu être encore plus élevé. « Le terroriste a été écrasé entre la foule et les colonnes de l’entrée latérale, ce qu’il n’avait pas pris en compte. Ainsi, quand il s’est fait explosé, les colonnes ont protégé la plupart des fidèles. » Je fais ici une halte pour prier et déposer une fleur.
Peu après, je rencontre quelques survivants de l’attentat. Ils me parlent de leur vie, de leurs espoirs, de leur dévotion pour saint Antoine. Ils ont confiance en la communauté chrétienne pour leur offrir une nouvelle chance.
La demande d’aide
En discutant avec le cardinal Ranjith, celui-ci m’explique que la profonde spiritualité de son peuple a été forgée par le bouddhisme, cette religion étant la plus professée dans le pays (70 %). Malgré le fait que les chrétiens sont ici minoritaires (7,4 %), le cardinal est une présence forte sur la scène sociale et politique du pays. Une autorité qui lui vient du respect pour la tradition locale, de l’Évangile vécu à la première personne et de l’engagement en faveur des plus pauvres, de n’importe quelle religion. Il est le point d’équilibre face à une situation potentiellement explosive. Ces bombes dans les églises, en sont la manifestation cruelle.
L’interrogeant sur la façon dont nous pouvons l’aider, le cardinal Ranjith m’explique avoir déjà prêté main forte à la communauté. Il nous invite à contribuer à la reconstruction de petites maisons, de la cantine pour les pauvres du sanctuaire Saint-Antoine, à l’achat de prothèses orthopédiques et enfin à l’éducation des orphelins et des enfants les plus nécessiteux.
J’imagine la statue de saint Antoine détruite dans l’attentat et reconstruite par votre solidarité, par la nôtre et celle de nombreux autres bienfaiteurs. Et me prends le rêve d’une Pâques revenue à son sens originel : la vie vainc la mort. La paix vainc la guerre. Un miracle de saint Antoine qui peut se réaliser grâce à vous.
Le projet en bref
Habitations pour 24 familles 345 700 €
Prothèses et moyens auxiliaires
orthopédiques pour handicapés 50 000 €
Bourses d’études pour 27 étudiants 22 100 €
Outils de cuisine pour la cantine 12 220 €
Total 430 020 €