Sortir de la rue et se reconstruire
Alors que l’hiver a bien démarré en ce mois de janvier, nos regards et nos cœurs sont plus attentifs à ceux qui n’ont pas de toit et vivent dans la rue. À cette question vertigineuse de savoir comment on peut sortir de la rue, s’ajoute le défi de la réinsertion puis de la stabilité sociale. Descendons dans la rue auprès de ces personnes en situation de grande fragilité.
Solitude. Souffrances. Marginalisation. Ces termes reviennent si souvent dans la bouche des personnes sans abri. Elles sont en effet habitées par de nombreuses douleurs, psychiques et corporelles. L’alcool peut alors devenir un « anesthésiant » leur permettant d’effacer pour un temps la réalité douloureuse qui est la leur. Ces souffrances, difficiles à canaliser, se traduisent parfois par des violences envers les autres et envers eux-mêmes. Leurs corps deviennent le théâtre de cicatrices et d’automutilations qu’il faut apprendre à décoder. Les personnes qui accompagnent ces SDF (sans domicile fixe) apprennent à nommer avec eux les maux qui les taraudent et restent à leur écoute. C’est un travail de patience et d’espérance.
Une vraie rencontre
Unanimement, les SDF estiment que la rencontre avec l’autre est l’issue pour s’en sortir. Vivre dans la rue, c’est tourner en rond, ressasser son passé tout autant que chercher à le fuir. C’est aussi se reconstruire un autre monde qui a des règles à part : ce sont celles de la rue, de la jungle. L’engrenage infernal a démarré. Alors, pour briser cette spirale, il faut apprendre à connaître la personne qui vit dans la rue pour comprendre ses déboires et trouver avec elle des solutions. Un SDF peut ainsi renaître grâce à une vraie rencontre, au contact d’un homme ou d’une femme qui est allé dans la rue, dans son monde. Cela demande, de part et d’autre, du temps, de la confiance en soi et croire en une possible reconstruction. Vers le chemin d’un logement.
Un toit
Avoir un toit est une chose, mais il faut être capable de s’approprier ce lieu, d’y rester et d’oser croire au bienfait d’une vie « insérée » et autonome. Aussi paradoxal que cela puisse être, l’isolement et le vide créés par un logement sont difficiles à gérer. Habiter sous un toit signifie renouer avec les gestes du quotidien : faire les courses, cuisiner, faire le ménage et la lessive, payer le loyer. Tous ces « problèmes » pratiques refont alors surface ; pour ne pas tomber dans la dépression, il faut reprendre les habitudes d’un logement sans repenser aux douleurs du passé qui ont conduit à la rue. L’accompagnement est essentiel dans cette étape de la réinsertion car les personnes sorties de la rue pourraient croire que le logement est un nouveau lieu d’exclusion.
Colocations
En France, plusieurs associations proposent une vie en colocation avec des personnes de la rue, comme l’APA (Association pour l’Amitié) fêtant, ce mois-ci, ses 10 ans d’existence. Vivre en colocation permet de se réhabituer à la nécessité de cohabiter ensemble, en paix, de nouer des relations amicales, faire confiance à l’autre, respecter un règlement. Ainsi, les personnes qui n’avaient pas de logement et des volontaires partagent un habitat. Les places sont proposées à certains qui ont envie et besoin non seulement d’un toit mais aussi d’une vie semi-collective. L’APA répond donc en priorité à ceux qui n’ont pas de logement et restent, malgré tout, en capacité de vivre avec d’autres dans un climat relativement paisible. Ils peuvent arriver soit de la rue, de foyers d’urgence, soit d’hôtels. À l’APA, on se rassemble pour vivre et animer ensemble un projet. La première joie vécue dans ces colocations réside dans les relations qu’elle suscite. L’association regroupe des hommes et des femmes d’âge, d’origine, de culture, de religion, de situation sociale et professionnelle bien différents, avec une légère majorité d’hommes, d’une moyenne d’âge de 45 ans.
Lien social
Retisser le lien social puis en éviter sa rupture est fondamental pour se réinsérer. L’APA offre la reconstitution d’un rapport fraternel. Ce lien naît de la gratuité et de l’égalité entre les colocataires ; il permet d’échapper au risque de l’assistanat ou de la déresponsabilisation de la personne accueillie. Chaque appartement a un parrain ou une marraine ; cette personne extérieure est invitée à créer un lien avec chacun des résidents. Quant à l’association Aux captifs la libération, elle souhaite que ses bénévoles, principalement par leur présence et le simple partage des gestes de la vie quotidienne, participent à la démarche de revalorisation de soi qui est le préalable de toute resocialisation.
Vers la réinsertion
Ces associations travaillent avec des acteurs du social comme les Services intégrés d’accueil et d’orientation (SIAO). En effet, la très grande majorité des personnes hébergées par ces associations n’a pas de travail alors qu’elles sont toutes en âge de travailler. Chaque résident assure un service pour la bonne gestion quotidienne et chacun participe financièrement, sauf s’il n’a aucune ressource. C’est une manière de responsabiliser et de remettre sur pied les anciens de la rue. Ces lieux de vie partagée semblent clairement être un tremplin pour rebondir et repartir dans une vie « intégrée ». Une autre étape vers la réinsertion est assurée par la fondation Insertion par le logement. Elle propose des logements passerelles qui donnent le temps de construire un nouveau projet de vie et qui permettent, à terme, de s’orienter vers un logement pérenne. À l’origine de ces fondations, on y voit de manière limpide une inspiration pour répondre à la demande du Christ : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »
« De même que le commandement de “ne pas tuer” pose une limite claire pour assurer la valeur de la vie humaine, aujourd’hui, nous devons dire “non à une économie de l’exclusion et de la disparité sociale”. (…)
Comme conséquence de cette situation, de grandes masses de population se voient exclues et marginalisées : sans travail, sans perspectives, sans voies de sortie. (…)
Il ne s’agit plus simplement du phénomène de l’exploitation et de l’oppression, mais de quelque chose de nouveau : avec l’exclusion reste touchée, dans sa racine même, l’appartenance à la société dans laquelle on vit, du moment qu’en elle on ne se situe plus dans les bas-fonds, dans la périphérie, ou sans pouvoir, mais on est dehors.
Les exclus ne sont pas des “exploités”, mais des déchets, “des restes”. »
Pape François, Evangelii Gaudium, n° 53.