Soigner avec les plantes, une essence franciscaine
« Le Seigneur a créé les plantes médicinales, l’homme avisé ne les méprise pas » (Si 38, 4). Cette phrase tirée du livre de Ben Sira le Sage, dans l’Ancien testament, éveille la curiosité des chrétiens et a dû servir de guide aux religieux. L’ingéniosité monastique a su tirer parti de cette nature, et ainsi au XIIe siècle, Hildegarde de Bingen proposait près de 300 plantes pour la cuisine et la pharmacie. Si tous les ordres ont toujours eu à cœur de soigner les gens, les Franciscains se rattachent particulièrement à l’attitude de saint François avec le lépreux. Le soin des malades, nous explique l’historien Pierre Moracchini, membre de l’École franciscaine de Paris, fait partie de la vie des Frères Mineurs. « Le franciscain n’a pas le monopole du soin des malades mais le frère mineur refait ce que saint François a fait », ajoute Pierre Moracchini. Les frères avaient une connaissance empirique des vertus médicinales des plantes. Pour guérir les différentes infirmités, les Franciscains préparaient des potions à base de plantes. C’est ainsi que pour lutter contre l’extension de l’épidémie de la peste, ils avaient créé et utilisé une recette de parfum, évoquée dans Le capucin charitable de Maurice de Toulon. Chaque plante avait une fonction bien précise, comme l’absinthe (vermifuge), l’origan (anti-infectieux des voies respiratoires), la rose (pour les ulcères), le persil (digestif et diurétique) ou encore le thym (antiseptique et digestif). Chaque plante pouvait soigner des maux et les frères y voyaient le souci de Dieu de mettre les ressources de la nature à la portée des hommes. C’est ainsi que les Capucins sont devenus médecins pour soigner, guérir et s’occuper des hommes dans leur intégralité car la prédication n’était pas suffisante pour apporter Dieu aux hommes, comme l’explique l’historien Pierre Moracchini.
La pharmacie « la plus précieuse du monde »
Gardiens officiels des lieux saints à Jérusalem depuis 1342, les Franciscains s’établissent sur le Mont Sion et créent un hospice pour pèlerins au sein de leur couvent. Selon Anna Maria Foli, auteur de La pharmacie de Dieu, « Dans la pharmacie, les frères conservent les ingrédients et les remèdes provenant des pays européens protecteurs de ces lieux sacrés pour le christianisme ». Connue dès le XIVe siècle, la pharmacie a longtemps été la seule référence pour les soins aux malades à Jérusalem, et dans tout le Moyen-Orient. Près de la pharmacie, il y avait un jardin où poussaient des herbes médicinales et non loin se trouvait la bibliothèque contenant des manuels médicaux et des manuscrits utiles pour la préparation des médicaments. Parmi les onguents les plus connus, on peut citer le « Baume de Jérusalem », disposant de mille vertus. C’est un frère et docteur, Antonio Menzani da Cuna (1650-1729) qui avait mis au point ce remède contre de nombreuses maladies, aussi bien au Moyen-Orient qu’en Europe. Au fil du temps, cette pommade, créée pour le traitement de plaies, s’est distinguée en élixir contre tous les maux : douleurs à l’estomac, problèmes dermatologiques, vers intestinaux, maux de tête ou de dents, nausées, insuffisances cardiaques. Ce baume reste mystérieux encore aujourd’hui, même pour une boutique d’artisanat monastique à Paris qui en ignorait son existence.
Cette pharmacie franciscaine a joué un rôle très important puisqu’elle fournissait en médicaments toute la population de Terre sainte : pèlerins et communautés locales, quelle que soit la religion des patients. Au XVIIIe siècle, un médecin suédois la voyait comme « la plus précieuse du monde » et le frère franciscain Horn décrivait cette pharmacie comme « l’une des meilleures de toute la chrétienté. L’apothicairerie est suffisamment fournie de médicaments de toutes sortes, acquis grâce aux dons des bienfaiteurs de la Terre sainte (…), pour pouvoir soigner et rétablir les malades ». La pharmacie a poursuivi son activité jusqu’à la Première Guerre mondiale, puis a fermé, en raison de la difficulté à trouver des matières premières en Europe.
Alliées de l’homme
Les plantes viennent en aide à l’homme. Le livre La pharmacie de Dieu précise que « tout mal-être (...), toute affection du corps et de l’esprit peuvent être soulagés grâce aux vertus médicinales des plantes et des herbes. Ceux-ci interagissent avec l’amour de Dieu pour rendre l’homme intérieurement et extérieurement sain ». Cette vérité a été vécue par nombre de religieux et par Hildegarde de Bingen. Pour elle, les herbes choisies pour les remèdes « parlent le même langage que le corps humain et lui transmettent l’énergie nécessaire au chemin de guérison ». L’unité et l’équilibre entre esprit, corps et âme est à reconquérir chaque jour, et ce bien-être passe par le respect de « quelques règles simples : alimentation saine, règles de vie strictes (régulation des rythmes sommeil-veille), cohérence morale, recours aux forces curatives présentes dans la nature ». Les plantes et herbes médicinales sont les alliées des hommes et les religieux ont tôt fait d’apprivoiser ces dons de la nature. Outre les Franciscains, les Chartreux confectionnent l’alcool de la Chartreuse, avec une recette gardée secrète, connue de deux frères uniquement. Les Bénédictines du monastère de Bouzy-la-Forêt (Loiret) fabriquent quant à elles l’eau d’émeraude depuis le XVIIe siècle. Ainsi, depuis des générations, les religieux se transmettent les secrets de fabrication de remèdes à base de plantes et la floraison actuelle d’herboristeries prouve que la pharmacopée naturelle attire toujours.