Sœur Emmanuelle
Espérance
Tout homme a dans son cœur une soif inextinguible de vie. Et la vie de tous les jours n’est pas toujours facile, alors l’homme espère que ça ira mieux, qu’il arrivera à s’épanouir au maximum et à être un élément d’épanouissement pour les autres. C’est cela l’espérance !
Si je ne croyais pas en Dieu, à la Résurrection de la chair et à la vie éternelle, je me serais jetée dans le Nil devant les drames que j’ai vus. Surtout face à la mort des enfants. On ne peut pas supporter cela. Déjà la mort, c’est dur à voir, à accepter. Mais quand il s’agit d’enfant, c’est pire… Le tétanos tuait 4 enfants sur 10 quand je suis arrivée au bidonville. Cette maladie qui donne toutes sortes de contractions, c’est la chose la plus terrible qu’on puisse voir…
Mais voilà, je crois en Dieu, je crois que Dieu est Amour, et je reprenais mes forces pour ne pas m’effondrer. Aujourd’hui, plus aucun bébé du dispensaire n’a le tétanos. On a vaincu !
Le goût du risque
Il faut risquer dans la vie. Mon père a risqué. Nous étions à la plage,
il était trop loin et une vague l’a emporté. Mais quand j’y pense, je préfère mourir en risquant plutôt que mourir dans mon lit. Et je crois que dans mon cœur, à partir de ce moment-là – j’avais près de 6 ans – la petite fille a compris que la vie, c’est quelque chose qu’on ne tient pas dans sa main. D’où la nécessité d’aller au-delà. Parce que ce qu’on tient disparaît à la seconde.
La joie des pauvres
Quand je suis revenue en Europe en 1993, j’ai eu un terrible choc dont je ne me suis pas remise : j’étais partie en 1931, et à mon retour, je me suis trouvée devant une Europe qui m’a remise en question : je quittais trois bidonvilles successifs où j’avais vécu et franchement, là-bas, on ne se plaignait pas. On prenait la vie comme elle tombait et surtout il y avait une relation. La vie était vraiment relationnelle.
Il y avait une telle joie chez les enfants ! Ils se levaient parfois à 3 heures du matin pour aller ramasser les poubelles des beaux quartiers du Caire et revenaient fatigués. Mais pourquoi avaient-ils cette exultation, ces enfants ? Ils n’avaient pas de jouets, ça n’existait pas. Il y avait une sorte de convivialité dans le bidonville. Tous le enfants jouaient ensemble avec un bout de ficelle et un bout de bois. Ils couraient dans les ruelles en chantant, applaudissaient.
Il y avait dans la communication quelque chose de simple, qui faisait qu’à travers les difficultés quotidiennes, on se sentait encordés. Tout le monde se connaissait, se souriait…
Je n’ai pas trouvé ça en arrivant en Europe.
Pourquoi dans le bidonville où il n’y a rien, pas un magasin, l’homme arrive à rigoler ? Je n’ai jamais autant rigolé dans ma vie que pendant ces 22 ans passés dans ces 3 bidonvilles.
En France et en Europe, je suis frappée de voir que les hommes communiquent de moins en moins. Chacun vit pour soi, se fait une sorte de cercle où il a quelques amis et puis c’est tout.
Plaisir et bonheur
Le plaisir n’est pas la joie. Le plaisir c’est tout ce qu’il y a de plus éphémère. Il laisse une espèce de soif. Tandis que la joie de la relation comble le cœur de l’homme.
Silence
La vie est un tourbillon ! Prend-on le temps de s’arrêter, de ne plus être dans le bruit, de fermer la radio, la télévision, pour être un peu en silence, seul, et descendre en soi ?
On vit trop à la surface d’un lac plein de feuilles mortes. Il y a autre chose que les feuilles mortes, il y a une vie très profonde en toi. Il y a une aspiration en toi. Pour y répondre, il faut descendre en toi, jusque là où tu es homme à 100%, là où tu es toi à 100%, dégagé de tout ce qui t’entoure, de l’argent, des plaisirs, du souci du look. Sois toi-même, mets en route tout ce que tu as en toi de richesses, d’intelligence, de cœur, de volonté. Mais tu ne peux pas les voir si tu cours tout le temps !
Alors tais-toi, regarde-toi doucement, sans complexe surtout, et cherche ce qui t’empêche de vivre, c’est-à-dire d’être toi au maximum.
Dégage-toi d’un certain esclavage, des liens qui empêchent ta personnalité d’apparaître au maximum.
C’est cela la richesse de la pauvreté : tu te dépouilles de ce qui t’empêche d’être toi et tout à coup, tu t’enrichis, c’est formidable !
Souffle de Dieu
Je crois beaucoup au Souffle, c’est-à-dire à l’esprit de Dieu. Nous avons tellement besoin de ce souffle qui fait qu’à travers nos pauvretés, on se sent porté. J’ai toujours senti que j’étais portée par quelqu’un qui me dépasse. Ce n’est pas moi. Alors quand on me dit : « Vous êtes formidable », les gens n’ont rien compris : c’est Dieu qui est formidable ! Je leur dis souvent en riant : « Toi, tu ne crois pas en Dieu, mais Dieu croit en toi ». C’est fou !
Etre et avoir
Si on court tout le temps après l’avoir, on risque de perdre l’être ; or l’être c’est ce qu’il y a de plus fort dans l’être humain, ce qui résume son identité. Il s’agit de faire sortir le meilleur de toi pour agir, partager, vivre, quoi ! Moi je veux que les hommes soient heureux ! On a une vie, on n’en a pas deux. On a un instant devant soi, maintenant, tout de suite. Bien sûr que je crois en l’autre vie, mais il ne s’agit pas d’être toujours branché sur l’autre vie. Il s’agit d’être branché sur sa vie à soi et sur la vie des autres.
Image de Dieu
Même dans l’homme le plus froid, le plus dur, il y a l’image de Dieu. Elle est parfois vraiment cachée, mais elle est là, elle existe. C’est le sens de ce vers persan que j’aime beaucoup : « Fend le cœur de l’homme, tu y trouveras un soleil. »
Compassion
Ma vocation, surtout maintenant que je suis en retraite, c’est de laisser entrer dans mon cœur le drame de la vie, de prendre en moi tous ces gens qui souffrent, qui meurent, qui ont faim et qui sont des réfugiés sur les routes. De vivre avec eux, de souffrir avec eux. De compatir. Je dis : « Seigneur, pitié. Aide l’homme à porter sa croix ». n
*Propos recueillis par KTO TV
Hommage à Sœur Emmanuelle
Cardinal André Vingt-Trois :
Sœur Emmanuelle a su mobiliser ses contemporains en faveur des plus déshérités par son franc-parler et sa sincérité.
Cardinal Philippe Barbarin :
Elle a fait preuve d’un amour sans limite.
Federico Lombardi :
Son témoignage a montré comment la charité chrétienne réussit à aller au-delà des différences de nationalités, de races, et de confessions chrétiennes.
Nicolas Sarkozy :
Elle était une femme de foi aux convictions élevées, mais aussi une femme d’action, pour qui la charité passait par des actes concrets de solidarité et de fraternité à travers le monde. Elle nous manque déjà.
Patrick Poivre d’Arvor :
Elle a su être présente aux moments difficiles de mon existence. A la disparition de mes filles, elle était là. Elle gardait toujours près d’elle une photo de Solenn. Souvent, elle se comportait comme la grand-mère que l’on rêve tous d’avoir.
Marc-Olivier Fogiel :
C’est grâce à ce genre de rencontre qu’on mesure le privilège de faire ce métier de journaliste. Et, surtout, que l’on s’interroge de temps en temps sur le sens de ce qu’on fait.