Saint Augustin : Père de l’Église, penseur de l’Occident

Il est rare d’entendre un ministre de la République française citer un Père de l’Église, et pourtant c’est bien ce qu’a fait Arnaud Montebourg, le

25 août dernier, lors de sa démission (en se trompant un peu dans sa citation). De même, il est tout aussi rare qu’un comédien comme Gérard Depardieu prenne la peine d’aller donner dans les églises des lectures des Confessions, l’ouvrage majeur d’un écrivain vieux de seize siècles.

Cet auteur n’est autre que saint Augustin, né le 13 novembre 354, à Thagaste (l’actuelle Souk Ahras, en Algérie, plus précisément en Kabylie) et mort non loin de là, le 28 août 430 à Hippone (l’actuelle Annaba), la ville dont il est alors l’évêque (depuis 395), au moment même où elle est assiégée par les Vandales de Genséric.

Saint Augustin est l’un des personnages les plus attachants et les plus influents de l’histoire de la pensée occidentale, en raison de ses talents littéraires exceptionnels, mais surtout parce que l’on sent qu’il parle d’expérience, illuminé par la foi. Son influence a été et demeure immense sur toute l’histoire de l’Église en Occident. De plus, il est l’un des architectes de la pensée occidentale du moi, nous livrant avec les Confessions une des premières œuvres d’introspection connues, où il retrace son cheminement vers Dieu en insistant sur l’importance de la rédemption pour tout chrétien.

En effet, le saint homme a commencé par être un chenapan qui s’ennuie à l’école et préfère s’amuser. Dans un passage célèbre, il s’accuse d’avoir volé des poires à l’âge de seize ans, juste pour le plaisir de voler : « Et ce n’est pas de l’objet convoité par mon larcin, mais du larcin même et du péché que je voulais jouir. »

Jeune homme, il s’intéresse plus aux filles qu’à la théologie. À 17 ans, étudiant à Carthage, il se met en ménage avec la femme de sa vie qui lui donne un fils, Adéodat, et à qui il restera fidèle longtemps, ne la répudiant qu’un an avant sa conversion définitive. Il se cherche longuement sur le plan spirituel, et commence par adhérer au manichéisme, en partie à cause des mauvaises traductions de la Bible dont il dispose et qui le rebutent, ce qui l’amènera plus tard à distinguer deux niveaux de lecture des Écritures : le mode simple et le mode figuré.

 

Une conversion en trois étapes

Ambitieux, pour ne pas dire arriviste, il se rend à Milan, où en tant qu’enseignant, il fréquente une société de poètes et d’intellectuels regroupés autour d’Ambroise, un ancien haut-fonctionnaire impérial devenu évêque, futur Père de l’Église, lui aussi.

Augustin n’est pas baptisé et va être amené à la conversion en trois étapes. Première étape, la lecture de Cicéron l’amène à se « convertir à la sagesse ». Deuxième étape, il découvre auprès d’Ambroise une lecture néo-platonicienne des Évangiles qui incite l’âme à prendre son essor et à s’envoler vers un autre monde. C’est ce qu’on appellera sa conversion intellectuelle. La troisième étape, il nous la raconte dans l’un des passages les plus connus de la littérature mondiale. Alors qu’accablé de doutes, il se tenait dans le jardin de sa maison à Milan, il entend un enfant du jardin voisin chanter : « Tolle, lege, tolle, lege ! » (« Prends et lis, prends et lis »). Il jette alors les yeux sur un livre ouvert que tenait son ami Alypius et se met à lire une épître de saint Paul aux Romains : « Vivons honnêtement, comme en plein jour, sans goinfreries ni beuveries… Comme on s’habille d’un nouvel habit, revêtons-nous du Christ et ne nous soucions pas ainsi de notre corps. » Cette fois-ci, sa conversion est définitive et il se fait baptiser par Ambroise, à l’âge de 32 ans.

 

Cité terrestre et cité de Dieu

Peu après, l’empereur Théodose proclame le christianisme religion officielle de l’Empire en 392, liant le destin de l’Église à celui de l’Empire. En 410, la ville de Rome est pillée et ravagée par les Wisigoths d’Alaric, suite au refus de l’empereur Honorius de lui payer le tribut demandé. Cette tragédie, d’une portée symbolique inouïe va le conduire à rédiger son maître livre, La Cité de Dieu, parce qu’« il fallait donner du sens à l’histoire pour la rendre supportable et répondre au choc collectif qu’avait provoqué cet événement ». Il y distingue la cité terrestre, avec ses institutions familières et ses faiblesses (l’amour de soi), de la cité de Dieu qui se rapporte à la sagesse, à la paix, au culte unique de Dieu, aux saints du ciel, à la providence divine, à la fois distinctes et entremêlées, et cela au plus intime de chacun de nous, en un combat « pour la primauté de l’amour de Dieu ou de l’amour de soi ». La Cité de Dieu fut le livre le plus reproduit par les copistes du Moyen Âge.

La liste des notions dont nous devons la compréhension à Augustin est impressionnante, qu’il s’agisse du péché originel, de la grâce, de la prédestination, de la théodicée, de la « guerre juste » ou encore de la trinité intérieure. Son influence a connu quelques pics, comme au XVII^e siècle, par exemple chez Pascal, mais elle ne s’est jamais affaiblie. Et s’il ne fallait retenir de lui qu’une seule phrase ce pourrait être : « Non intratur in veritatem, nisi per caritatem » (On ne peut entrer dans la vérité, si ce n’est par la charité), toute aussi fraîche et précieuse aujourd’hui qu’il y a seize siècles.