Saint Antoine à Istanbul
Rappel de la présence constante des franciscains depuis presque 800 ans à Constantinople - devenue Istanbul en 1930 -, l’église Saint-Antoine est une des plus populaires de Turquie. Cinq frères vivent aujourd’hui dans le couvent attenant. Accueillant aussi bien les latins que les chaldéens, notamment les réfugiés de la guerre d’Irak, Saint-Antoine est une des très rares églises catholiques ouvertes sur la rue.
Le mardi, comme les autres jours de la semaine, la grande rue Pera, large artère piétonne où les enseignes des grandes marques mondiales voisinent avec les commerces turcs traditionnels, grouille de monde. Mais le mardi, plus encore que les autres jours, les passants sont nombreux à franchir la grille de l’église Saint-Antoine.
Un groupe de jeunes filles musulmanes voilées y vient en visite scolaire. Livre à la main, des étudiants en architecture observent ce bâtiment dont les fondations, pour remédier à l’instabilité du terrain, sont constituées de piliers de béton. Des hommes, seuls ou par deux, des femmes, dans la fleur de l’âge, grimpent les quelques marches, entrent dans l’église et, tout de suite, tournent à droite. Ils s’arrêtent devant la guérite où une petite Sœur du père de Foucauld assure la vente des cierges. Cinq livres turques (2,50 €) pour les gros ; une livre (0,50 €) pour les petits. Dans un va-et-vient continu, une main pose une pièce, choisit un cierge et va l’allumer. Tous ne sont pas chrétiens, loin s’en faut. Même si les musulmans étaient plus nombreux par le passé, avant le raidissement idéologique de ces dernières années.
C’est que l’église Saint-Antoine est une des plus connues d’Istanbul. Une des plus populaires. Et la présence des Frères Mineurs Conventuels n’y est pas étrangère. Ils sont 5 ces temps-ci à vivre dans le couvent attenant à l’église.
Les Franciscains sont arrivés dès 1221 à Constantinople, et la première église Saint-François a été construite vraisemblablement vingt ou trente ans seulement après la mort du Poverello. Cette église était si belle que les grecs, dit-on, l’appelaient la “Sainte-Sophia” des latins.
Mais l’église Saint-François, épargnée d’abord par les Ottomans après la chute de Constantinople (voir encadré), ne le fut pas par le feu. En 1639, en 1660, et en 1697 le bâtiment fut la proie des flammes. La troisième fois, il ne fut pas permis aux Franciscains de la reconstruire, et les Frères durent chercher un autre lieu.
Ils possédaient, sur la colline de Pera, une chapelle dédiée à saint Antoine, où les Frères venaient en retraite. Ils y trouvèrent refuge. Après avoir obtenu le firman (1) nécessaire (il fallu 24 ans), une église en bois fut construite. Elle fut consacrée en 1724. Brûlée en 1762 et 1831, elle fut reconstruite, la deuxième fois en pierre. C’était une belle église, baroque, mais pas très grande. Au tournant du 20e siècle, la construction du tramway nécessitait d’élargir les rues, donc de démolir en partie le “vieux Saint-Antoine”. En 1905, il fallut à nouveau déménager.
Les Frères Mineurs Conventuels se trouvaient depuis trois siècles sous la protection de la France. Leur supérieur en Turquie, le père Giuseppe Caneve sollicita donc le soutien de l’ambassadeur de France, Ernest Constans. M Constans fit savoir que la France n’aiderait pas les Frères, et le père Caneve se tourna vers le gouvernement italien, plus généreux.
Le financement assuré grâce à ce nouveau patronage, le choix du lieu de construction de la nouvelle église se porta sur un grand terrain dit du « théâtre de concordia », situé sur la rue de Pera. La construction fut confiée aux architectes levantins Giulio Mongeri et Eduardo de Nari, et la première pierre fut bénite et posée le 23 août 1906.
De style néo-classique, l’église abrite aussi un grand orgue, prétexte à de nombreux concerts qui sont aussi des occasions de rencontres interculturelles. La messe y est dite tous les jours en italien, turc et polonais. Les communautés maronite et copte catholique se retrouvent dans une chapelle latérale. Mais il ne faudrait pas oublier d’aller voir au sous-sol : c’est là que l’on trouve la deuxième église Saint-Antoine. Aussi vaste que la première, c’est celle des Chaldéens. Ces dernières années, 3 000 réfugiés d’Irak sont venus grossir leurs rangs. Malgré les faibles moyens humains et matériels de la petite communauté catholique, ils ont été accueillis, avec le secours de la Caritas. Les plus pauvres sont toujours chez eux à Saint-Antoine.
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1)Autorisation délivrée par le Sultan
« Le chant des anges »
Quand les turcs ottomans emmenés par le Sultan Mehmet II, envahissent Constantinople, en 1453, les principales églises sont immédiatement transformées en mosquées. Mais pas Saint-François. On raconte même qu’un jour, passant dans la rue, le Sultan entendit les voix des Frères, qui chantaient l’office des vêpres. Il demanda à son chambellan d’aller voir d’où venait cette belle musique. Celui-ci revint et dit au Sultan : « Ce sont des moines chrétiens qui prient, voulez-vous aller voir ? » Refusant de mettre pied à terre – ce qui aurait de facto, selon la loi de l’empire, transformé l’église en Mosquée – le Sultan aurait répondu : « Non, laissons ces anges chanter leurs louanges à Dieu. »