Rubens, Poussin, Watteau
Avec quelques 160 tableaux, esquisses, dessins et tapisseries, la rétrospective de Rubens, la première réalisée en France, est un évènement. En cinq sections chronologiques, elle retrace la brillante carrière du maître d'Anvers. On le dit baroque mais en fait, il est à part, comme d'autres grandes figures de la peinture du XVIIe siècle, Le Caravage ou Velázquez. Et parce que son œuvre est une synthèse du Sud et du Nord, de l'Italie et des Flandres, parce que, grand voyageur, il a exporté son art en Espagne, en France et en Angleterre, et aussi parce qu'il était un homme de son temps, avec juste ce qu'il faut d'avance pour être un précurseur sans être un incompris, Rubens a réellement influencé tout son siècle.
Après un apprentissage chez Adam Van Noort puis chez Otto Van Veen dit Vaenius, l'un des peintres les plus renommés d'Anvers, le jeune Pierre-Paul fait le voyage en Italie, alors indispensable complément de formation de tout artiste. En 1598, il est reçu dans la célèbre guilde de Saint-Luc et en 1600, on le retrouve à Venise où il découvre Titien. Il est très vite remarqué par le duc de Mantoue, Vincenzo Gonzague, qui le prend à son service pour reproduire les chefs-d'œuvre des autres, pratique courante à cette époque où on accordait moins d'importance à l'individu qu'à l'œuvre. Cela permit à Rubens de voyager dans toute l'Italie et surtout d'apprendre son métier. Car il fut un grand travailleur.
En 1601, il reçoit sa première grande commande : un triptyque pour la chapelle Sainte-Hélène de l'église Sainte-Croix-de-Jérusalem à Rome. En 1603, le duc l'envoie en mission à Madrid. Il doit livrer des toiles au roi. A son retour, il découvre Gêne où il reviendra souvent, fou d'admiration pour les palais. Longtemps plus tard, il les fera connaître au monde en publiant un ouvrage qui leur est consacré. Il y exécuta une peinture, la Circoncision pour le maître-autel de l'église des Jésuites. Notons que cette année, la ville, deuxième capitale de la culture en 2004, propose elle aussi une exposition Rubens. En 1605, le jeune peintre est de retour à Rome où il restera jusqu'en 1608. Il quitte en effet l'Italie à l'annonce de la maladie de sa mère, avec la ferme intention d'y revenir, mais son destin sera autre puisqu'il ne remit jamais les pieds dans la péninsule.
Le retour aux sources
Anvers lui avait réservé pour son retour rien de moins que l'amour. Il épousa la belle Isabelle Brant, fille d'un érudit humaniste dès l'année suivante. Pour commémorer l'événement, il peignit un magnifique autoportrait avec son épouse. La toile marque un vrai retour aux Flandres. L'éclat scintillant du coloris et le traitement méticuleux des moindres plis des vêtements, rappellent les grands prédécesseurs, Hans Memling et Jan Van Eyck. Cette même année 1609, l'archiduc Albert et l'archiduchesse Isabelle le nomme peintre de l'hôtel de Leurs Altesses Sérénissimes. Dès lors sa réputation se fait vite dans Anvers où il choisit de demeurer alors que la Cour est à Bruxelles.
Très vite, une ligne ondulante, lourde de chair, de terre, d'air, fulgurante de décision, parcourt ses tableaux dans tous les sens, créant le mouvement et déterminant les surfaces. C'est le style Rubens. La peinture est une force en transformation incessante comme la vie qui l'entoure, qu'il aime dans ses moindres manifestations. L'exposition Rubens contre Poussin présentée au musée des Beaux-Arts d'Arras montre que cette personnalité artistique, aussi forte puisse-t-elle être, fut remise en cause par une autre manière. Disons que deux grands courants s'affrontèrent. A la couleur reine et la fulgurance du Flamand s'opposa le dessin et la réflexion de Nicolas Poussin. C'est en d'autre terme, le conflit entre le baroque et le classicisme.
Couleur ou dessin
Cette querelle du coloris naît en France dans les années 1670. Les artistes de l'Académie royale de peinture et de sculpture débattent avec passion des mérites respectifs de Nicolas Poussin, maître du dessin, et de Pierre-Paul Rubens, maître de la couleur. L'aura de Nicolas Poussin qui vécut pratiquement toute sa vie à Rome persista bien au-delà de sa mort en 1665. Au fur et à mesure que passèrent les années, la tendance classiciste semblait devoir inévitablement remporter la victoire dans la France de Louis XIV. Ce roi qui fit venir à Paris des grands maîtres du baroque comme Le Bernin ou Puget avait compris que le pouvoir passe aussi par l'image. Ayant choisi comme emblème le soleil, il se devait de créer un art qui rayonnerait dans toute l'Europe, un art pensé qui allait s'épanouir dans le siècle des lumières.
Roger de Piles, peintre à ses heures et diplomate, conseille utilement les collectionneurs et porte la querelle sur le devant de la scène ; il invente la critique artistique, publiant jusqu'au début du XVIIIe siècle un certain nombre d'essais retentissants. L'exposition d'Arras confronte pour la première fois des œuvres des années 1680-1715 venues des plus prestigieuses collections françaises et étrangères.
Outre des chefs-d'œuvre de Nicolas Poussin et de Pierre-Paul Rubens, d'autres artistes sont présents comme Antoine Coypel, fervent admirateur de Rubens, mais qui pourtant ne plongea pas complètement dans les débordements baroques. Il en combina certains éléments avec le goût et l'approche psychologique des classicisants, ce qui donne de vastes compositions bibliques et mythologiques d'une exubérance contenue.
On y découvre aussi des tableaux de Charles Le Brun qui fut à la tête de l'Académie de peinture entièrement remaniée en 1663 par Colbert. Ce ministre pensait en effet que les arts, comme les autres activités, devaient servir la gloire de la France et de son roi. Pour mieux contrôler, il recourut au système des académies qui devenait ainsi des rouages de la machine étatique. Le Brun en établit la doctrine. Selon lui, la peinture s'adresse avant tout à la raison ou à l'esprit, non à l'œil. En d'autres termes, l'artiste doit réduire la nature aux lois rationnelles régissant les proportions, la perspective et la composition. Il doit de plus concentrer son attention sur les aspects permanents de la nature : la forme et le contour, sans trop s'attacher aux éléments qui, comme le coloris, sont éphémères et s'adressent à l'œil plutôt qu'à l'esprit. On l'aura compris, cet art intellectuel dont le but est avant tout éducatif est aux antipodes de l'art sensuel de Rubens.
Les œuvres d'autres artistes comme Jean Jouvenet, Charles de la Fosse ou Nicolas de Largillière mettent en lumière les valeurs picturales de la fin du règne de Louis XIV, annonciatrices de la manière suave du XVIIIe siècle où nous conduit la troisième exposition, celle de Valenciennes, consacrées aux Fêtes galantes de Watteau.
Les fêtes galantes
Le thème évoque l'exquise peinture de personnages élégants, futilement placé dans des paysages baignés de soleil, marivaudant au son de la flûte et de la mandoline quand ils ne muguettent pas au pied d'une escarpolette. Selon le dictionnaire de Furetière (1690), une fête galante est une réjouissance d'honnêtes gens. Le mot galant a pris par la suite un sens plus négatif qu'il a gardé aujourd'hui. Pour Watteau, ces fêtes galantes étaient l'occasion de peindre les différentes étapes de l'amour, la tendresse et le désir, la passion et la jalousie, l'amour heureux comme malheureux. Ses tableaux d'ailleurs ne laissent pas indifférents. Ils intriguent, fascinent. On a abordé cette œuvre sous les angles les plus variés, tantôt en réduisant ses tableaux à de simples divertissements pastoraux, tantôt, au contraire en surinterprétant sa manière de montrer les différents âges de la vie.
Le peintre est né à Valenciennes, ce qui explique en partie le choix du musée des Beaux-Arts. Mais, en fait, il est aussi en parenté avec Rubens. Déjà La Roque, dès août 1721, remarquait que son coloris approche fort de celui de Rubens dont il copiait et étudiait avec avidité les plus beaux ouvrages. Rubens et Van Dyck dont le ton l'avait enchanté étaient ses véritables modèles, ajoute Dezallier d'Argenville, un autre critique. Il aimait aussi Titien qui fut l'un des maîtres de Rubens. Cette admiration pour l'art des Flandres et de Venise est sous-jacente dans une œuvre qui reste cependant singulière et délibérément nouvelle. D'ailleurs sa réputation en France, en Angleterre où il se rend en 1720 et en Allemagne où il sera collectionné avec ferveur, la diffusion de son œuvre par la gravure, son influence sur l'art décoratif de son siècle, prouvent qu'il a été ressenti comme un authentique novateur.
De fait sur les quelque quatre-vingt-cinq œuvres présentées, une vingtaine seulement sont de Watteau, les autres tableaux sont signés Pater, Lancret, Quillard. C'est que le thème a connu un prodigieux succès au XVIIIe siècle. Images d'un âge d'or, d'une éternelle jeunesse, d'une sérénité retrouvée, échos de la vie raffinée à la fin du règne de Louis XIV et au début de la Régence, les fêtes galantes relèvent aussi du désir récurrent de l'homme d'être en harmonie avec la nature.
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Rubens, Palais des Beaux-Arts, place de la République, 59000 Lille. Tél.: +33 (0)3-20 06 78 00, jusqu'au 14 juin.
Rubens contre Poussin. Musée des Beaux-Arts, 22, rue Paul Doumer, 62000 Arras, tél.: +33 (0)3-21 71 26 43, jusqu'au 14 juin.
Watteau et la fête galante, Musée des Beaux-Arts, Boulevard Watteau, 59300 Valenciennes Tél. +33 (0)3-27 22 57 20, jusqu'au 14 juin.