Rencontre avec... Sœur Hélène Préjean
Venue à Paris à l’invitation de l’“ACAT” et d’“Amnesty International” au début de l’été pour un rassemblement contre la peine de mort, sœur Hélène Préjean, figure du combat abolitionniste, présentait aussi son nouveau livre "La mort des innocents" (éd. buchet-chastel).
Où en est votre combat pour l’abolition de la peine de mort ?
Ces dernières années, la lutte contre la peine de mort progresse. 130 pays ont signé un moratoire international qui, à défaut d’abolir la peine de mort, suspend les exécutions. D’une certaine manière, quand une seule vie est supprimée, tout est perdu. J’ai accompagné personnellement six personnes con-
damnées, jusqu’au jour de leur exécution. A chaque exécution, c’est un univers qui disparaît.
Comment faites-vous pour créer le débat et faire réfléchir les gens ?
Depuis que j’ai assisté à ma première exécution, après laquelle j’ai vomi, j’ai compris qu’il fallait que le public soit témoin de la réalité de la chose. Les gens ne réfléchissent pas vraiment sur la peine de mort. Il faut la rendre visible pour qu’ils comprennent que ce n’est pas une abstraction, mais une personne qu’on tue. C’est les faire passer de la réaction : « la justice est passée » à « un être humain a été tué ».
C’est pour cela que vous avez déclaré être en faveur des exécutions publiques ?
Albert Camus a bien montré dans La Peste, comment le fait de voir les yeux du condamné à mort change tout…
Aux Etats-Unis, nous masquons tellement la mort que dans l’injection létale il y a trois produits, dont un qui paralyse. Ainsi il n’y a pas de soubresaut, pas de convulsion ; le condamné semble seulement s’endormir.
Y a-t-il des éléments précis de l’actualité qui ont contribué à faire évoluer l’opinion américaine ?
En 30 ans nous avons tué plus de 1 000 personnes aux Etats-Unis. Or aujourd’hui, on s’aperçoit qu’une part d’entre elles était très certainement composée d’innocents. Cela estomaque les Américains. 124 prisonniers ont été libérés des couloirs de la mort ces dernières années : on a prouvé par des tests ADN qu’ils étaient innocents. Or, si ceux-là étaient innocents, combien l’étaient parmi ceux qui ont été exécutés ?
Donc la tendance est clairement à la baisse aux Etats-Unis ?
Il y a eu 98 exécutions en 1999, 53 en 2006… il y a bien eu tendance à la baisse, à la fois du nombre de condamnations à mort et du nombre d’exécutions de ces condamnations. Parmi les facteurs qui ont permis cette évolution, il y a le fait qu’avant le juge ne disait pas aux jurés à quelle peine le coupable serait condamné, si ce n’était pas la peine de mort. Les jurés devaient seulement répondre “oui” ou “non” à la proposition de peine de mort, sans autre information. Depuis que le juge peut leur dire que l’alternative, c’est l’emprisonnement à perpétuité, les jurés ont compris que le coupable ne va pas être relâché dans la nature, et ils se sentent beaucoup moins obligés de répondre “oui” à la question de la peine de mort.
Quelles sont la pensée et l’attitude de l’Eglise sur ce sujet ?
La spiritualité joue un rôle dans cette lutte en nous rappelant que nous sommes tous frères et sœurs. Et le Christ, en particulier, nous enseigne à aimer nos ennemis. Pour les chrétiens l’amour est plus fort. Evidemment, c’est très dur à mettre en pratique. Mais j’ai toujours fait tout mon possible pour
que la hiérarchie de l’Eglise catholique reste très ferme dans son refus de la peine de mort. Aujourd’hui moins de 50% des catholiques américains sont favorables à la peine de mort, et les évêques prennent publiquement position contre les exécutions.
Ça n’a pas toujours été le cas ?
L’ancien évêque de la Nouvelle-Orléans était un ancien militaire. Il ne comprenait pas qu’on puisse militer contre la peine de mort. Il me disait toujours qu’elle était nécessaire. Mais à chaque fois qu’une exécution était programmée, je lui téléphonais en lui demandant de solliciter une grâce, et il l’a toujours fait ! Il ne voulait pas que des gens meurent pour de vrai, il était juste favorable à un principe…
La position de Rome est-elle claire maintenant ?
Quand Jean-Paul II est venu à Saint-Louis (Missouri) en 1999, pour la première fois, il a clairement mis la peine de mort dans la liste des combats en faveur de la vie, aux côtés du combat contre l’avortement. Même avec l’exécution de Saddam Hussein, le Vatican a été très clair : la vie, la dignité de l’être humain, sont inaliénables.
Et quelle est la position des autres confessions chrétiennes ?
Elles ont des attitudes assez variées sur la question. A nos côtés, il y a de nombreux militants pentecôtistes, méthodistes, et d’autres dénominations protestantes. Les juifs sont aussi très actifs dans ce combat.
Revenons à votre action, avez-vous été victime d’intimidations, de pressions ?
Au début, nous faisions beaucoup de marches publiques, à l’exemple de la marche pour les droits civiques de Martin Luther King. A l’époque on m’a traitée de “communiste”, ce qui représentait ce qu’on pouvait faire de pire. Je suppose qu’aujourd’hui on me traiterait de “terroriste”… J’ai aussi eu des appels téléphoniques me proposant de contribuer à notre campagne en faisant fondre des pièces de monnaie pour en faire des balles pour nous tuer… Mais, on ne vit pas en fonction de ces menaces, on se bat... Et d’ailleurs, il y a de moins en moins d’attaques personnelles. Je crois vraiment à l’action publique. C’est comme les prophètes de la Tradition : Isaïe, Jérémie, il faut avoir le courage de se lever et de proclamer ce à quoi on croit.
Au-delà des Etats-Unis, pensez-vous avoir une influence sur tous les pays, de la Chine au Moyen Orient par exemple, qui pratiquent la peine de mort ?
Nos manifestations paraissent tout à fait dérisoires. Mais il faut penser à long terme. Si vous aviez été sur un marché aux esclaves au XIXe siècle, auriez-vous cru que, cent ans après, l’esclavage serait aboli ? C’est la même chose. Ghandi disait : « Faites ce que vous avez à faire. C’est insignifiant, mais il est essentiel que vous le fassiez. » Nous devons croire qu’un jour tout cela changera.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Que vous évoque saint Antoine ?
Une compassion qui s’étend dans le monde entier. Saint Antoine avait un sens si profond de la compassion ! Et là, de vous voir, comme envoyés du Messager de saint Antoine, cela me rappelle cet esprit. Beaucoup de compassion et la mise en valeur de l’amour, jusqu’à l’amour des ennemis…
Quel souvenir gardez-vous de Padoue ?
J’y suis venue pour la remise du Prix Saint-Antoine, en 2000. Je me souviens de la remise de cette statue tellement lourde ! Mais je me souviens surtout des sentiments que nous éprouvions tous. Il y avait de la musique, de la danse... C’était comme une éclosion du meil-
leur de l’homme…
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Quand je suis avec des gens que l’on dit être des criminels que l’on conduit à leur exécution… je sens la présence de Dieu. Je l’avais écrit dans ma lettre au pape Jean-Paul II : quand vous marchez avec quelqu’un qui dans quelques minutes va être tué… les mots de Jésus reviennent : « Les derniers seront les premiers. » Le premier homme que j’ai accompagné jusqu’à la chambre d’exécution, je l’ai embrassé et je lui ai dit : « Prie pour moi là-haut. »
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureuse cette année ?
Je me souviens en particulier d’un meeting à Denver, au Colorado… Après ma conférence, j’ai remarqué deux hommes qui parlaient ensemble. Je leur ai dit : « Etes-vous amis ? Vous ne vous êtes pas rencontrés ici… ». Ils ont échangé un regard et l’un m’a répondu : « Oui, nous nous connaissons, mon fils a tué son fils. » Ces deux pères avaient trouvé le chemin d’une rencontre entre eux et s’aidaient mutuellement. Quand je vois ainsi l’Evangile incarné dans des êtres humains, cela me bouleverse.