Rencontre avec... Pio Murat
Avec les Frères Mineurs Franciscains et les Frères Mineurs Conventuels, les Frères Mineurs Capucins forment le premier Ordre de la Famille franciscaine. Le père Pio Murat, provincial des Capucins de France, nous invite à découvrir les spécificités de sa branche.
Vous êtes provincial des Capucins de France… En quoi consiste votre mission ?
Dans la Province de France, à laquelle il faut ajouter une petite partie de la Belgique, il existe 18 fraternités de Capucins, comptant chacune de 5 à 25 frères. En tant que provincial, j’ai la responsabilité de cet ensemble. Comme le dit saint François dans ses écrits, je suis un ministre, c’est-à-dire que je suis au service des Frères et au service de l’animation de la vie franciscaine dans cette région.
Ma priorité vise à m’assurer que la vie fraternelle puisse se vivre dans toutes ces maisons. C’est un point fondamental chez les Capucins. Une autre de mes missions consiste à voir de quelle façon nous pouvons prendre part à la mission de l’Église de France. Pour cela, nous nous demandons sans cesse dans quel lieu notre présence est la plus pertinente. Cette année, par exemple, nous avons créé une fraternité dans le diocèse de Créteil, dans une ville où 80 nationalités se croisent. Il nous semblait important que des Frères soient présents, à travers différents mouvements de la paroisse, dans un lieu d’immigration aussi large.
Quel est le charisme particulier des Capucins ?
Les Capucins, nés d’une réforme au XVIe siècle, forment l’une des trois branches du Premier Ordre de la Famille franciscaine. Aujourd’hui, nous sommes environ 11 000 dans le monde entier. Quant à la question des particularités, elle est difficile… Je préfère parler de nuances. Disons que nous insistons beaucoup sur la vie en fraternité et sur la vie d’oraison.
Posons la question différemment : pour quelle raison avez-vous choisi de devenir Capucin ?
De fait, j’ai eu la possibilité de choisir puisque les trois branches étaient présentes dans la ville où je vivais… C’était à Istanbul, en Turquie. Très jeune, j’ai ressenti le désir de consacrer ma vie au Seigneur. Aussi suis-je rentré au séminaire pour devenir prêtre séculier. J’étais fasciné par cette phrase : « Soyez saint comme votre père est saint ». Pour trouver des exemples je me suis mis à lire des vies de saints. « C’est cela que je veux vivre », me suis-je dit en découvrant la vie de saint François.
Pourquoi ai-je choisi les Capucins plutôt que les Conventuels ou les Franciscains ? Leur austérité me plaisait, leur goût du silence et de l’oraison également. Et puis, petit détail qui a eu son importance : ils ne m’ont pas déroulé le tapis rouge quand je suis allé les voir. Et ça non plus, ce n’était pas pour me déplaire !
À quoi ressemble la journée d’un Capucin ?
Le premier rendez-vous de la journée a lieu autour de 6h30 le matin pour un temps d’oraison en silence. Nous avons ensuite les Laudes et le petit déjeuner tous ensemble. J’insiste sur cette dimension fraternelle, très importante. Il y a chez les Capucins une vraie joie à se retrouver le matin. Je m’émerveille toujours de voir cohabiter des gens d’horizons si variés, tant sur le plan culturel qu’en terme de niveau d’études ou même de tranches d’âges. Cette unité fraternelle vécue dans une telle diversité est un beau témoignage pour le monde…
Après le déjeuner, chacun vaque à ses occupations. Elles varient selon la mission des fraternités. Ici par exemple, nous jouons un rôle d’hôtellerie pour les Frères Franciscains de passage. Les Frères sont donc assez occupés par des tâches ménagères. À Clermont-Ferrand, où j’étais avant, notre mission était d’accueillir les gens qui venaient se confesser. Dans d’autres fraternités, les Frères sont aumôniers d’hôpital ou de prison. Comme vous le voyez, le propre des Franciscains c’est que nous ne sommes pas des spécialistes. Nous voulons juste vivre l’Évangile où que nous soyons. Et quelle que soit la mission, elle crée des liens profonds entre les Frères.
En quoi cette spiritualité vous semble-t-elle toujours d’actualité ?
Les branches en tant que telles n’ont pas reçu la promesse de la vie éternelle. Je peux donc difficilement me prononcer sur l’avenir de l’une ou l’autre. Le plus important est ailleurs : l’Évangile est d’actualité ! Il attirera toujours du monde ! À partir du moment où l’esprit de saint François, c’est « l’Évangile, rien que l’Évangile », nous avons de beaux jours devant nous…
Justement, où en êtes vous sur le plan des vocations ?
C’est un fait, cela ne se bouscule pas au portillon : trois postulants chez les Capucins sur toute la France, c’est relativement peu. Mais cessons de rêver une époque qui n’existe plus et vivons ce qui nous est donné ! Je préfère avoir quatre fraternités ferventes plutôt que vingt tièdes ! Cette conception quantitative des vocations me rappelle cette réflexion de Staline : « Le Vatican, combien de divisions ? ».
Que vous inspire le succès des communautés nouvelles par rapport au relatif déclin des Ordres anciens ?
Sur ce point, plusieurs réflexions : d’abord j’observe que les Ordres anciens ayant une longue histoire, il est plus facile de parler de déclin. Chez les communautés nouvelles, il n’y a pas encore d’élément de comparaison. D’autre part, je suis convaincu que les communautés anciennes attirent davantage qu’il y a 20-30 ans. Enfin, je me réjouis de l’intérêt pour les communautés nouvelles. Il a contribué au renouveau de l’Église, en ce sens qu’il nous a interpellé nous aussi. Les communautés nouvelles nous ont fait nous questionner sur nos manières de faire. L’accent mis sur la prière, l’adoration et la louange a bousculé nos certitudes. Tant mieux !
La Famille franciscaine, très ramifiée, ne gagnerait-elle pas à réunir ses forces ?
Je ne pense pas. Notre charisme est d’être un feu d’artifice. À trop vouloir le canaliser on risque d’atrophier notre grâce.
En dépit d’un contexte ecclésial peu réjouissant, vous semblez très optimiste ?
Je le suis ! Et je ne pense pas être naïf. Pourquoi avoir peur quand on a la certitude que le Seigneur est avec nous dans la barque ? Ce qui me donne cette confiance, c’est aussi toutes les figures de sainteté qu’il y a eu et qu’il y a encore dans l’Ordre. Je pourrai vous donner tant de noms. Donc tant qu’il y a de la sainteté, il y a de l’espoir ! D’ailleurs des vicissitudes, nous en avons traversées d’autres… Et quand je vois comment l’Ordre se développe au Brésil ou en Inde, j’ai de vraies raisons d’espérer.
En tant que prêtre et responsable de communauté, comment vivez-vous les secousses que l’Église connaît actuellement ?
Je souffre en pensant au mal que ces scandales vont faire auprès des âmes simples qui n’ont pas la possibilité de jauger la situation. Il ne s’agit pas de nier la réalité, bien sûr. Mais vouloir éclabousser tout le monde n’est pas juste non plus.
QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image en avez-vous ?
Saint Antoine de Padoue a inspiré ma vocation capucine. J’apprécie notamment sa façon d’être témoin de l’Évangile, par sa vie et sa parole. C’était un homme dynamique et généreux qui a su annoncer l’Évangile aux grands comme aux petits. Il est une figure lumineuse et toujours très actuelle.
Êtes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
J’y suis allé plusieurs fois. Ce qui m’intéresse dans cette ville c’est la présence de saint Antoine, bien sûr, mais aussi celle d’une autre figure franciscaine : saint Léopold Mandic, un capucin du XXe siècle. Dans un même lieu, la sainteté perdure générations après générations.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Dans la prière et au cœur de l’Eucharistie.
Comment priez-vous ?
Il y a d’abord tout ce qui est prévu par notre vie communautaire : la prière du matin, l’oraison et la messe. Et également toutes les occasions de la journée : une rencontre, la contemplation d’une œuvre d’art ou de la création…
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux l’année écoulée ?
J’ai vécu des moments très forts à l’oc-casion des célébrations qui ont commémoré le huitième centenaire de saint François. Je pense en particulier au colloque chez les Bernardins, à Paris.