Rencontre avec... Pierre Hurmic
Dans ce contexte de crise, quelle parole les chrétiens, de gauche comme de droite, peuvent-ils apporter ?
Il me semble que le premier devoir d’un élu chrétien est d’être un élu exemplaire, et dans la période difficile que nous vivons, c’est l’une des exigences essentielles des citoyens et des électeurs ; ça n’est pas forcément mettre la barre très haute que d’exiger d’un élu qu’il soit exemplaire, cela paraît être sa première tâche, au sens le plus noble du terme. Savez-vous pourquoi je me suis engagé en politique ? J’ai été motivé par une phrase de Platon, très célèbre, qui est pour moi un moteur en politique : « Le châtiment de ceux qui refusent de s’occuper des affaires publiques est que ces affaires tombent dans les mains de moins vertueux qu’eux. » Cette phrase a été essentielle dans mon engagement. J’ai considéré que s’intéresser à la politique en votant aux échéances électorales habituelles n’était pas suffisant, et qu’à un moment donné il fallait s’intéresser à la mécanique et littéralement mettre les mains dans le cambouis – car il s’agit vraiment de cela. Quand on parle de crise, il y a crise de la politique et des hommes politiques ; sans polémiquer, je ne les trouve pas suffisamment exemplaires.
Cette crise est-elle une « chance » pour les chrétiens d’apporter des convictions, comme le bien commun, qui n’est ni de droite ni de gauche mais est au cœur de la doctrine sociale de l’Église?
Oui, je pense qu’une crise est toujours une opportunité, c’est un changement de monde, et je trouve que l’on n’entend pas suffisamment les chrétiens. Je me reconnais un peu dans ce que dit Étienne Pinte (voir p.12-14), notamment à travers toutes ses propositions concernant les étrangers. C’est un élu courageux, surtout par rapport à sa famille politique qui, sur le terrain de la défense des étrangers par exemple, ne paraît pas être tout à fait à la hauteur, c’est un euphémisme. Monsieur Pinte n’est pas très connu du grand public, mais ses combats sont assez exemplaires.
Est-ce que l’on manque justement de figures politiques qui mettent en avant des convictions chrétiennes qui puissent être entendues aujourd’hui dans la société? Pouvez-vous donner un exemple à l’échelle de Bordeaux, ville dans laquelle vous êtes très impliqué ?
À Bordeaux, le vicaire général avait organisé des rencontres entre élus. Pendant une dizaine d’années nous nous sommes réunis une fois par mois pour commenter ensemble l’évangile du jour, et cela débouchait aussi sur le sens que l’on donnait à notre engagement. Il n’y avait que deux élus de gauche, ce qui ne paraît pas très représentatif de ce que sont les élus par rapport à l’engagement chrétien. Il était très intéressant d’échanger : au-delà des divergences, il y avait des valeurs fondamentales qui nous réunissaient ; il est dommage que ne soit pas davantage utilisée cette complicité idéologique sur des fondamentaux entre les élus chrétiens malgré les divergences politiques. Même si il y a une évidente recherche de sens au niveau politique, le drame de la vie politique, c’est qu’on ne voit pas de personnalité forte émerger qui serait porteuse de ce sens. Dans les personnalités contemporaines, il manque un Jacques Delors, qui avait un engagement chrétien assumé.
Et par rapport aux électeurs, aux citoyens de Bordeaux, avez-vous le sentiment qu’une porte s’ouvre pour une parole différente, une parole qui soit portée par des chrétiens ?
Non, très honnêtement je ne le ressens pas sur le terrain. Les gens ont envie d’autre chose, cela paraît évident, mais je trouve que les aspirations des citoyens sont très tributaires aussi des projets qui sont aujourd’hui proposés, des voies qui leur sont offertes. La parole chrétienne, je la trouve totalement engluée et illisible. Il y a un débat que, je pense, les politiques ont totalement raté, c’est le débat européen. À un moment donné il fallait que les politiques aient le courage de dire que l’Europe était aussi un espace de valeurs, et vouloir nier, comme cela a été fait, l’héritage judéo-chrétien de l’Europe m’a paru être une absurdité, ça serait même du « négationnisme », pour employer un mot un peu fort, mais en tout cas c’est de l’amnésie. J’avais été frappé de lire les paroles que Jean Monnet a tenues à propos de l’Europe ; il a dit : « L’Europe, on s’est trompé, on a commencé par le charbon et l’acier, c’est-à-dire par l’économie, par la production, on aurait dû commencer par la culture. » Et je pense qu’il a raison. Quand on voit l’état actuel de l’Europe, on se dit que manifestement on est passé à côté de quelque chose.
Le politique n’a-t-il pas démissionné face aux pouvoirs économiques et financiers ? Les chrétiens n’ont-il pas une parole à donner pour essayer d’apporter un autre regard qui pourrait être partagé ?
Oui, avoir une vision un peu plus spirituelle, je pense qu’actuellement notre civilisation a totalement chaviré dans un hédonisme consumériste. On ne construit rien en exaltant la consommation à outrance, cela me paraît être quelque chose d’une pauvreté inouïe et je crois que parler de réarmement spirituel de notre civilisation paraîtrait quelque chose d’assez fondamental. Comme vous le dites, la crise est une opportunité de porter ce débat-là, mais manifestement il n’est pas abordé et je ne suis pas sûr que les électeurs aient très envie de l’entendre, en tout cas je ne vois pas beaucoup de politiques intéressés par le sujet.
Vous êtes membre d’Europe Écologie Les Verts, comment conciliez-vous votre foi chrétienne et votre engagement politique dans une famille qui ne favorise pas forcément la mise en avant de convictions religieuses ?
Vous avez raison, mais cette famille ne le favorise ni plus ni moins que les autres. Je ne vois pas un seul parti qui à ce niveau-là serait conforme à mes espoirs, à mes souhaits ou à mes exigences ; je pense en revanche que dans toutes les familles politiques, il y a des gens dont je partage les convictions spirituelles. Il y a une dimension chrétienne dans l’écologie, celle de considérer que la planète ne nous appartient pas et qu’on a le devoir de ne pas la céder aux générations futures dévastée comme on s’apprête à le faire. Le développement durable a certes une dimension laïque et politique très forte, mais je pense que ça répond aussi à une dimension chrétienne de l’engagement.
Il y a de la part de beaucoup de politiques chrétiens la volonté de ne pas mettre en avant leur engagement religieux, on est quand même dans une république laïque qui fait que les élus chrétiens ont le devoir de respecter cette laïcité et de ne pas faire de leur engagement chrétien un passeport vis-à-vis de certains électeurs.
Peut-on quand même concilier l’expression de convictions qui s’enracinent dans une foi et le débat public aujourd’hui ?
C’est une question difficile, chacun gère son engagement comme il veut, mais je pense qu’il n’est pas bien de « porter en bandoulière », de se servir de son engagement chrétien comme d’une dimension de son combat politique. À mon sens, c’est aux gens de découvrir que vous êtes chrétien, ce n’est pas à vous de le porter en étendard, assis au premier rang à la messe du dimanche. Pour moi c’est impudique. J’espère que ça n’est pas trop contradictoire avec tout ce que je vous ai dit sur l’engagement ! Si l’on découvre que vous êtes chrétien, c’est quand même formidable, mais de dire « je suis chrétien » ne me paraît pas être une bonne méthode.