Rencontre avec... Père Philipp Steiner La foi par les pieds
Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle est parcouru depuis mille ans par des foules toujours plus nombreuses. Avez-vous également observé une hausse de participation en Suisse ?
Le chemin de Saint-Jacques n’a pas connu une participation régulière au fil du temps. Après son apogée au Moyen Âge, ce pèlerinage s’est presqu’entièrement endormi pendant plusieurs siècles. Ce n’est que depuis les années 1990 que l’on constate une augmentation constante du nombre de pèlerins.
Ici aussi à Einsiedeln — connue comme « Notre-Dame-des-Ermites » — nous constatons ce phénomène. Il s’agit d’une importante plaque tournante pour les pèlerins de Saint-Jacques, qui font la route souabe (le Jura souabe se trouve dans le sud-ouest de l’Allemagne, ndlr).
En règle générale, plus un lieu de Santiago est éloigné, moins il est fréquenté par les pèlerins. Néanmoins, à Einsiedeln, nous accueillons toujours davantage de pèlerins. En 2013, nous avons hébergé 405 hôtes de passage. Cinq ans plus tard, ils étaient 664 à venir à nous. Dans l’intervalle, entre 626 et 709 pèlerins ont été accueillis dans notre abbaye. Je suppose que des chiffres similaires sont également observés dans d’autres villes suisses sur le Chemin de Saint-Jacques. Chaque année, entre 500 000 et un million de personnes visitent notre sanctuaire marial, qui abrite également une communauté monastique vivante et qui est une œuvre importante de l’art, de l’architecture et de la culture baroque. Il est donc difficile de faire la distinction entre pèlerins et touristes. Mais tous sont les bienvenus ici. Cet engagement repose sur notre tradition millénaire d’hospitalité.
Einsiedeln est l’un des points de passage historiques de ce chemin. Depuis quand est-ce le cas et quelle en est la raison ?
Si l’abbaye d’Einsiedeln existe depuis 934, le pèlerinage à Einsiedeln se développe surtout à partir du XIIe siècle. Dès ses débuts, le chemin de Compostelle s’est fixé sur des réseaux de sentiers déjà existants, par exemple des routes commerciales ou des chemins de pèlerinage vers des sanctuaires plus anciens.
Ainsi, au cours du Moyen Âge, notre sanctuaire était déjà visité par des pèlerins du chemin de Compostelle, venant de la région germanophone.
Qu’apportez-vous aux pèlerins de passage dans votre abbaye ?
Les pèlerins trouvent un logement simple dans la maison d’hôtes de notre monastère. Ils prennent leurs repas séparément de la communauté mais sont cordialement invités aux offices, vêpres et complies, ainsi qu’aux messes, le soir ou le matin. S’ils en expriment le désir, nous pouvons leur offrir une bénédiction et leur fournir un tampon pour leur crédencial (ou le carnet du pèlerin).
Certains d’entre eux en profitent aussi pour recevoir le sacrement de la réconciliation ou pour échanger avec un moine. Les occasions de rencontres avec les moines et nos coopérateurs sont multiples, mais elles sont utilisées très différemment.
Cependant, en règle générale, les pèlerins se déplacent, pendant que nous, les moines, restons en place. Nous créons donc ici un lieu d’hospitalité qui nous encourage à aller de l’avant. Il y a même des pèlerins qui reviennent.
Qu’est-ce qui attire les pèlerins à s’engager sur ces chemins ?
C’est probablement le désir d’une expérience spéciale que la vie quotidienne, dans la famille ou au travail, ne permet pas. La liberté rendue possible par un pèlerinage aide le pèlerin à se calmer, à poursuivre ses propres pensées. Le pèlerinage permet également des rencontres qui seraient difficilement possibles dans un autre cadre. Sur le chemin du pèlerin, tout le monde est pareil. Il n’y a pas de catégories et de classes. Le pèlerinage « démocratise ».
L’expérience de la nature, la rencontre avec l’art chrétien en route et la célébration de la liturgie permettent également une rencontre avec Dieu. C’est la tâche des institutions ecclésiales sur le chemin de soutenir cette rencontre. Ce faisant, ils apportent une contribution considérable à la nouvelle évangélisation, si importante pour le pape François.
Les personnes qui entament le chemin de Saint-Jacques ne le font pas forcément pour des raisons d’ordre spirituel. Mais il faut espérer qu’une transformation se produira en cours de route. On devient un pèlerin sur le chemin, consciemment ou non. Le chemin doit être l’expression d’un désir souvent caché.
Les pèlerins reviennent certainement transformés. Mais il est difficile de maintenir l’attitude d’un pèlerin dans la vie quotidienne. Le pèlerinage le plus important n’est pas au lieu saint, mais un retour à la vie quotidienne.
Les chemins de Saint-Jacques sont ponctués de rencontres. Celle avec le Christ n’est-elle pas in fine le but de ce pèlerinage ?
L’histoire pascale d’Emmaüs dans l’évangile de Luc est une merveilleuse parabole pour un pèlerinage. Le Christ n’est pas reconnu sur le chemin avec les humains. Mais soudain sa présence apparaît. Le cœur commence à brûler.
Comme catholiques, nous croyons en sa présence dans le sacrement de l’Eucharistie et dans la Parole de la Sainte Écriture. La spiritualité bénédictine attache une grande importance à la présence de Jésus dans le prochain. Être un pèlerin est une merveilleuse opportunité de découvrir, d’honorer et de servir le Christ dans chaque être humain.
Comment concilier la marche avec des temps de prière ou de méditations ?
Les deux vont ensemble. La contemplation et l’action sont comme les deux ailes pulmonaires. Ceci s’applique également au pèlerinage. Il existe des types de prière tout à fait compatibles avec la marche : le chapelet, la prière du cœur, la prière libre comme louange de Dieu, comme remerciement ou intercession pour les autres.
Même la contemplation de la nature peut devenir une prière. Le pèlerinage contribue à accroître l’attention et la gratitude pour les petites choses de la vie.