Rencontre avec... Père Denis Sonet
Né en 1926, le père Denis Sonet a été ordonne prêtre en 1951. Il est d’abord cure de campagne pendant une quinzaine d’années dans le diocèse de Troyes. En 1969, il entre au « Cler amour et famille » pour y être aumônier, puis formateur. À travers ses conseils et ses ouvrages, le père Sonet est devenu une référence pour des milliers de couples en difficulté ou se préparant au mariage. à 87 ans, il continue de sillonner la France pour donner des conférences sur le couple.
Qu’est-ce qui fait la richesse du sacrement du mariage selon vous ?
D’un point de vue psychologique d’abord, il faut revenir sur la dimension de l’engagement. Ce qui fait la solidité d’un couple, c’est évidemment la volonté de durer, de faire durer cet amour, choisi avec sincérité devant Dieu. Pour les chrétiens, il y a en plus la richesse et la profondeur de l’apport sacramentel : Dieu s’engage dans le sacrement du mariage comme dans tous les sacrements. Quand on dit « oui » à l’autre époux, c’est Dieu aussi qui lui dit « oui ». Le Christ, à qui nous appartenons depuis notre baptême, nous donne « un autre ». Et quand le Christ s’engage avec nous dans le sacrement, il ne vient pas les mains vides. Il ne change certes pas l’eau en vin comme lors des noces de Cana, il ne signe pas non plus un chèque qui vient contribuer à la liste de mariage, mais il va beaucoup plus loin : il transforme l’amour humain en don véritable, un don qui va jusqu’à la mort, comme fut le sien envers nous.
L’engagement est parfois très exigeant : comment le mariage concilie-t-il engagement et liberté ?
Il faut d’abord savoir se demander pourquoi il y a un refus d’engagement. On peut d’abord évoquer les faits objectifs comme les nombreuses séparations et divorces qui touchent nos sociétés contemporaines, mais aussi la longévité de la vie conjugale qui ne durait que 15 à 20 ans il y a un siècle alors qu’aujourd’hui on est à 50 ans. Tout cela pose inévitablement la question de la difficulté de durer. Un élément fondamental est que l’on aime la vie de couple, mais que l’on n’accepte pas qu’elle soit quelconque. C’est un paradoxe : la fragilité du couple vient du fait que l’on aime le couple, mais que l’on ne saurait tolérer l’insatisfaction qui est pourtant au cœur de tout amour. Comme disait Dona Prouhèze, l’héroïne du Soulier de satin de Paul Claudel : « Je suis celle qui ne peut tenir sa promesse et cela est ma grâce ». Cela veut dire que je n’occulterai pas le seul qui peut nous rendre véritablement heureux, à savoir Dieu lui-même. Concilier engagement et liberté n’est donc pas si difficile, car l’un ne va pas sans l’autre, l’engagement rend fondamentalement libre. Il faut juste le faire comprendre. Si l’on prend l’image de la cordée en montagne, les choses sont plus claires. Quand on s’attache, on est libre d’aller là où ne peut aller l’alpiniste qui est seul et isolé, qui est peu assuré. Ainsi, le mariage n’est pas est une corde, mais une cordée ! L’engagement permet de creuser un sillon, de laisser une trace.
Que dites-vous à un jeune couple qui veut s’engager dans le mariage aujourd’hui, mais qui est bien différent d’un couple d’il y a 40 ans ?
Ce n’est pas le même environnement certes, les sociétés ont changé, mais le désir, lui, n’a pas changé. Dans le fond, les gens désirent le mariage. Cela peut paraître une idée très simple mais quand on aime quelqu’un, on a envie que cela dure, d’où les serments solennels que les amoureux se font : « Tu me jures que tu m’aimeras toujours ? etc. » L’intérêt du mariage est de fournir le cadre où l’amour pourra s’épanouir et durer. On le voit bien avec les cohabitations qui ne sont pas suivies de mariage et qui ne tiennent pas dans 80% des cas. Il est important aussi d’expliquer que s’engager ne signifie pas s’engager à réussir, mais s’engager à « tout faire » pour réussir, car on sait qu’une vie de couple est parsemée de difficultés. Le mariage est au fond le désir de l’amour. Imaginons que l’on vous offre un tableau. Vous allez acheter un cadre pour le protéger et le mettre en valeur. Le mariage, c’est la même chose, il ne donne pas l’amour mais va le protéger. L’amour sans mariage comme le tableau sans cadre existent bien entendu, mais l’inverse est-il vrai ?
Existe-t-il une vocation chrétienne spécifique des mariés ?
Je ne crois pas que l’on puisse évoquer une « vocation » de l’époux ou de l’épouse. C’est une fécondité de chacun qui se déploie à travers le mariage. Mais je crois que Dieu laisse fondamentalement libre et qu’il met les grâces sur la route. Il est très important de faire comprendre aux gens que la route qu’ils ont choisie librement, malgré les difficultés que réserve la vie, est aussi un chemin jalonné de ces grâces. On ne peut imaginer être entre les mains d’un Dieu qui dirigerait systématiquement nos vies comme si nous étions des marionnettes. Le mariage est donc un engagement à la liberté et ne peut fleurir que dans cette liberté, c’est ce qu’il est important de rappeler aux jeunes. Beaucoup de ces jeunes, quand ils sont amoureux de quelqu’un, le mettent « en surchauffe » si j’ose dire, et s’empêchent d’aimer. Ce que Dieu désire, ce sont bien des êtres qui se choisissent librement. Et ce choix, cette liberté, qui s’exprime à travers le mariage, sont vraiment au cœur de l’existence humaine. n
Connaissez-vous saint-Antoine, quelle image avez-vous de ce saint ?
Je suis passé quelques fois à Padoue lors de mes voyages en Italie, mais je connais assez peu Antoine. Au-delà de la figure intellectuelle et spirituelle, il représente pour moi la figure d’un saint plein de douceur.
Comment priez-vous ?
Je prie beaucoup le chapelet, mais je change la formulation. La première partie « Je vous salue Marie… » est bien sûr la même puisque elle tirée de l’Évangile, mais je rajoute mes intentions lorsque je demande « priez pour… ». Je l’adapte en fonction des mystères du rosaire. Par exemple, lors de la Présentation, je prie pour tous les prêtres malades, en difficulté. Il y a aussi la prière avec l’Écriture, mais j’avoue que je ne trouve pas toujours dans les Psaumes ce que je voudrais. Il y a les Psaumes de louange que j’adore, et d’autres qui appellent à détruire l’ennemi et avec lesquels j’ai du mal !
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
C’est certainement au moment de la messe, lors de la consécration et de l’élévation. On peut dire que je suis « en sidération », en quelque sorte. C’est le moment où je demande à Dieu d’augmenter ma foi et d’augmenter mon amour.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Je m’occupe beaucoup des couples en difficulté, et j’ai beaucoup de joie à voir des couples se remettre des épreuves dans lesquelles je les ai accompagnés. Quand on a la chance d’éviter qu’un couple se sépare, je crois qu’on protège des générations. Les enfants sont plus heureux eux-mêmes et vivront sans doute plus heureux leur vie de couple plus tard, cela n’a pas de prix. Je dis souvent que rien ne vaut la joie de rendre un cœur moins triste. Je rajouterais aussi le fait de voir un couple qui retrouve la joie, qui reprend confiance et ouvre une nouvelle page.