Rencontre avec... Monique Baujard

15 Novembre 2012 | par

Avocat au barreau de Paris et mère de quatre enfants, Monique Baujard dirige, depuis 2009, le service « famille et

société » de la Conférence des évêques de France (CEF). Elle a coordonné la rédaction du livre Grandir dans la crise, publié en mars 2011 par la CEF.





En quoi la crise actuelle peut-elle être une chance pour dessiner des perspectives d’avenir ? (Bien commun, vivre ensemble…)


Il faut toujours faire attention quand on dit que la crise peut être une « chance », car pour nombre de gens qui en souffrent, cette crise n’en est pas une ! Il faut se placer sur le long terme, là où les symptômes de ce qui ne va pas vont apparaître plus clairement. Nous vivons ainsi un moment qui permet un discernement, un tri dans ce qui fonctionne ou pas dans la société. On voit que la crise sensibilise plus les gens à des questions d’injustice sociale donc il y a un terrain où avancer. Aujourd’hui, on voit que l’économie n’a pas joué la fonction qu’elle devrait jouer, et parce qu’il y a eu des abus, on peut désormais tracer des perspectives, prendre des mesures pour construire un avenir plus solide.

 

Quelles sont ces mesures que l’Église préconise ?

L’Église n’a pas à dire quelles mesures doivent être prises par les décideurs politiques ou économiques, mais elle peut attirer l’attention justement sur les points où cela ne fonctionne pas. Après la chute du mur de Berlin, un optimisme général s’est répandu dans le monde, selon lequel le libre-marché allait faire le bonheur et assurer la prospérité de tous. On se rend compte aujourd’hui que les mécanismes du marché ne permettent pas du tout de prévoir les besoins, et qu’ils peuvent même être pervers si on les laisse fonctionner sans contrôle, qu’ils aggravent les écarts de richesse. Il y a une espèce d’idéologie qui fait croire qu’en consommant toujours plus, on fait tourner une économie qui va automatiquement générer un bien-être pour tous. Mais ce n’est pas en donnant libre cours à ses envies de consommation que l’on construit une société. Le bien individuel de chacun n’assure pas automatiquement la cohésion sociale ou le bien commun pour parler en termes chrétiens. Il est donc nécessaire de redécouvrir ce bien commun.

 

Les évêques de France plaident justement pour une instance supranationale capable de mieux redistribuer les richesses et d’empêcher certains pays de privilégier leurs intérêts propres…

Cela n’a échappé à personne que l’on vit aujourd’hui dans une économie mondialisée. Or, on se rend compte que les mesures prises au niveau d’un pays ou d’une région peuvent ne pas suffire. C’est très clair lorsqu’il s’agit des biens publics comme la qualité de l’air, les changements climatiques ou encore la gestion de l’eau. Toutes ces questions exigent une concertation au niveau mondial. Mais l’on sait en même temps qu’il est très difficile de mettre en place une instance supranationale qui ait un véritable pouvoir contraignant, car cela impliquerait pour de nombreux pays de renoncer à une part de leur souveraineté. On ne peut laisser aujourd’hui l’économie gérer seule ces problèmes s’il n’y a pas en face une volonté politique garante de l’intérêt des plus faibles et des plus pauvres.

 

L’Église n’a pas de programme politique mais appelle à « réhabiliter la politique » face à la sphère économique, pouvez-vous développer ? 

On a souvent pensé que l’économie pouvait régler beaucoup de choses, mais on constate aujourd’hui que le jeu du marché ne répond pas au problème de la pauvreté dans les pays en voie de développement. Il ne règle pas non plus d’autres besoins, qui sont spirituels ceux-là, car il ne faudrait pas oublier que l’homme n’est pas qu’un consommateur. Puisque l’économie joue souvent sur des intérêts individuels, il est essentiel qu’il y ait en face un pouvoir politique suffisamment fort pour garantir l’intérêt général, sinon cela ne peut fonctionner. Qu’il s’agisse de prendre en charge la réforme des retraites dans des sociétés vieillissantes, d’affronter les défis des questions énergétiques ou de la malnutrition dans le monde, tout part d’une question de volonté politique. L’Église est donc là comme une force de proposition, elle dessine des pistes afin de remettre le politique au centre des décisions.

 

Cette « éthique sociale » chrétienne est-elle vraiment entendue aujourd’hui ?

Il est certain que le discours de l’Église est bien reçu sur certaines questions sociales comme quand il s’agit par exemple de l’accueil des étrangers, mais dans le domaine économique, il est plus difficile de se faire entendre. Pourtant, la doctrine sociale de l’Église n’est pas nouvelle, les encycliques datent de 1891 avec Rerum Novarum où le pape Léon XIII s’était aligné sur les conditions de travail des ouvriers pour développer sa réflexion. Aujourd’hui, on a tendance à attendre d’abord l’Église sur un domaine qui concerne la morale personnelle ou sexuelle ; or ce message-là est mal reçu et en ce qui concerne le domaine économique, elle a du mal à faire entendre sa spécificité. Il faut donc savoir adapter les discours, rappeler par exemple que le travail participe aussi du bien commun, que la solidarité n’est pas qu’une redistribution des richesses mais aussi le moyen d’impliquer les exclus dans un projet commun. Tous ces discours-là sont devenus assez inhabituels pour beaucoup de nos contemporains. Derrière cette crise, il y a évidemment les signes d’une crise plus profonde, celle du sens, qui montre qu’une société ne peut fonctionner correctement si chacun n’a à rendre de compte qu’à soi-même. L’Église veut faire entendre sa vision de l’homme comme un être relationnel, en portant cette idée que l’on est tous responsables les uns des autres. Il faut reconnaître que c’est un discours à contre-courant ! 

 

Questionnaire de saint Antoine

Connaissez-vous saint Antoine, et si oui, quelle image avez-vous de ce saint ?

C’est le saint dont me parlait ma grand-mère et qu’elle priait quand elle avait perdu quelque chose. Elle lui faisait une grande confiance.

 

Comment priez-vous ?

J’aime beaucoup la liturgie des heures, et j’aime me retrouver dans des endroits qui portent ma prière, souvent par leur beauté et leur dépouillement. Je ne suis pas très adepte du style des églises romaines, mais plutôt de la petite chapelle en pleine nature. Un endroit qui m’est particulièrement cher est le monastère de Bose en Italie.

 

Quand est-ce que vous vous sentez le plus proche de Dieu ?

Il y a des moments qui ne sont pas toujours des plus faciles mais où l’on peut sentir cette proximité de Dieu. Il y a eu la maladie de l’un de mes enfants où, à travers l’épreuve, j’ai ressenti cette présence auprès de moi.

 

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureuse cette année ?

Un moment à la fois triste mais beau puisque j’ai perdu ma mère il y a quelques semaines. Et j’ai réalisé qu’elle avait réussi à transmettre sa confiance en Dieu à ses petits-enfants qui ne vont jamais à l’Église, simplement parce qu’elle avait ce geste très simple d’allumer une petite bougie et d’invoquer la Vierge, à chaque événement important dans la famille. Cette confiance transmise a été une grande consolation pour moi.

 

 


Updated on 06 Octobre 2016