Rencontre avec... Michel Delpech
Alors, cette fois, c’est le grand retour ?
Me retrouver en tête des ventes, quarante ans après mes premiers succès, me fait bien évidemment très plaisir. C’est passionnant ce qui m’arrive. Mais ce n’était pas non plus mon seul objectif, loin de là. Si j’avais le choix entre le succès ou bien rester dans l’ombre et connaître la paix intérieure, alors je n’hésiterais pas une seconde ! Je choisirais de connaître la paix. Ceci dit, c’était tout de même important pour moi de sortir de ma retraite.
C’était une question de rétablissement, de juste retour des choses… une forme de revanche également ?
Non pas une revanche, un rétablissement. Dans la revanche, il y a une notion de vengeance, or je n’en ai jamais voulu à personne ! Mais j’ai le sentiment d’avoir été fauché en pleine gloire, un peu comme lors d’un accident de voiture. J’ai quitté le devant de la scène de façon aussi brutale qu’obscure. Cette mise à l’écart ne tenait qu’à moi, et n’était pas due à une désaffection du public. Il y avait donc quelque chose d’inaccompli et de frustrant, que je suis heureux de venir combler aujourd’hui.
Que vous inspire votre parcours ?
L’impression d’avoir vécu plusieurs vies. Au moins deux : celle d’avant et celle d’après la rupture avec moi-même. Mais je ne regrette rien. Bien au contraire, je remercie le Ciel de m’avoir fait découvrir ces contrées lointaines, tous ces chemins de traverse. Ce que je vois dans mon parcours, c’est l’action de Dieu, son manège. C’est passionnant d’observer d’où il m’a fait partir pour me faire arriver là où je suis aujourd’hui. J’ai la conviction qu’il fallait que tout cela arrive, que chaque étape était nécessaire, comme une lente maturation.
Parallèlement à la sortie d’un coffret de vos 100 plus belles chansons, vous publiez un album de duos. n’est-ce pas un peu frustrant tout de même de faire du neuf avec du vieux, de chanter toujours les mêmes chansons ?
L’essentiel est de faire du neuf ! Non, ce n’est pas frustrant, c’est bien comme ça, tant que je prends toujours le même plaisir à monter sur scène pour les chanter. Et puis souvent, la sortie d’une compilation permet de donner une seconde chance à des chansons qui ont moins bien marché. Non, vraiment, j’ai composé tellement de chansons que je ne me sens pas à la merci de ce genre de frustration.
Avez-vous une préférence parmi tous vos tubes ?
J’aime les chansons qui ont touché les gens, et quelques autres pas connues que je trouve réussies… Allez, s’il fallait en garder une, je choisirais : Quand j’étais chanteur. Je la trouve bien écrite, j’aime son auto-dérision.
Les paroles de cette chanson qui évoque les souvenirs d’une ancienne vedette doivent aujourd’hui prendre une résonance particulière … ?
Tout le monde me dit ça ! Mais non, je ne vois pas pourquoi !
Il y a une constante dans vos chansons, c’est la mélancolie… d’où vient cette forme de nostalgie ?
Je ne sais pas d’où elle vient, mais une chose est sûre, je fais des progrès de ce côté-là : je ressens de moins en moins d’insatisfaction et j’accepte davantage ce qui est. Je crois que ce n’est pas sérieux d’être idéaliste, c’est une cause perdue.
Après la gloire, vous avez connu sept années de profonde dépression. Quel conseil donneriez-vous aux personnes dans cette situation ?
Etre patient et attendre que cela passe. Dans l’enfer – car c’est vraiment l’enfer, il faut l’avoir vécu pour le comprendre – garder l’espoir. Pour moi, il n’était pas question de ne pas réussir à m’en sortir. J’ai bien eu des moments où je perdais confiance, mais au fond, j’ai toujours cru que j’y arriverais. C’était un défi à moi-même.
Peut-on dire que c’est Dieu qui vous a aidé à sortir de cette mauvaise passe ?
A 100% ! Seul, je n’aurais jamais pu. C’est vers Lui que je me suis tourné lorsque j’étais au plus mal, c’est Lui, aussi, qui a mis sur mon chemin celle qui allait devenir mon épouse. Geneviève a été mon rayon de soleil, elle m’a apporté sa flamme. Car elle est une flamme.
Comment s’est passée votre conversion ?
Je ne sais pas si on peut à proprement parler de conversion car j’ai fait une longue marche pour y arriver. Je n’ai jamais été athée, je dirais même que j’étais assez intéressé par la religion lorsque j’étais enfant. Quand je me suis mis à chanter, la spiritualité n’était certes pas ma première préoccupation, j’avais tout de même des sensations troublantes en studio : quand l’inspiration venait, j’avais l’impression qu’elle venait de plus loin que moi, comme si une grâce m’était donnée. Quand la chenille se transformait en papillon, je me disais que cela ne pouvait venir que de Dieu !
Alors je me suis mis à le chercher, à travers des lectures ou des rencontres. Ma route a été longue, très chaotique… Le point d’orgue de mon cheminement a très certainement été un voyage à Jérusalem. Quelques semaines après ma rencontre avec Geneviève, j’ai souhaité faire avec elle un petit pèlerinage sur les pas du Christ. En arrivant devant le Saint-Sépulcre, j’étais encore rempli de ma vie d’avant, et tout d’un coup, je m’en suis libéré. J’ai alors senti qu’une nouvelle page allait pouvoir s’écrire.
Qui est Dieu pour vous aujourd’hui ?
C’est drôle que vous me posiez cette question, je me la suis posée hier soir ! Je crois que c’est un père. Il faut bien trouver une relation, donc la plus simple, la plus directe, c’est d’envisager Dieu sous l’angle de la paternité. Mais c’est encore plus que cela… La foi, c’est une espérance, c’est ce qui permet de ne pas se fier aux apparences du moment et de voir plus loin que le bout de son nez.
Est-ce facile de croire ?
C’est plus facile de ne pas croire ! Je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui disent que la religion est l’opium du peuple. C’est un acte de volonté, qui certes rend heureux, mais qui implique aussi beaucoup d’exigences. J’envie parfois les athées qui, ne comptant que sur eux-mêmes, s’octroient tous les mérites.
Etes-vous un homme heureux aujourd’hui ?
Disons qu’aujourd’hui, je connais le chemin, mais il m’arrive encore de prendre la tangente. Je ne pense pas qu’être heureux soit un but en soi. L’essentiel est de se sentir le plus proche possible de sa propre conscience. Le bonheur, au sens de la béatitude, ce sera pour l’étape suivante ! Je me contente aujourd’hui de savoir saisir les instants de bonheur qui me sont donnés.
La parabole de l’enfant prodigue, cela vous parle ?
J’adore ! Le pécheur repenti, je m’y identifie forcément. Je me sens toujours pécheur et repenti. Repenti qui pèchera toujours… et joyeusement parfois ! Nous ne sommes que des hommes !
QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Je connais sa légende, celle du saint qui retrouve les objets perdus, mais je suppose que sa spiritualité ne s’arrête pas là. En fait, j’aime tous les saints, avec peut-être une tendresse particulière pour saint Augustin. Son parcours me touche. Je me sens proche des convertis, des personnes qui ont eu un chemin sinueux, une vie pleine de chaos et d’erreurs.
Etes-vous déjà allé à Padoue ?
Non. En revanche, Jérusalem est pour moi un lieu à part, un lieu où j’aime aller me ressourcer seul ou avec mon épouse. C’est là que j’ai pris conscience de ma vie, il y a quelques années.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Quand Il le veut bien. Quand Il me fait la grâce de pouvoir prier.
Où puisez-vous votre force ?
Dans cette espérance de la présence de Dieu.
Comment priez-vous ?
Maladroitement. Rarement avec toute mon âme. Ce n’est pas si facile d’avoir un abandon absolu. On est toujours pris par quelque chose d’autre. Quand j’y arrive, alors je sens la présence de Dieu. L’abbaye Saint-Wandrille (76) fait partie des lieux où j’aime prier, et où il fait bon se retirer du monde de temps en temps.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Mon retour à la première place des ventes d’albums. J’y vois l’action du Très-Haut. Bien sûr que j’ai travaillé pour revenir à ce niveau. Je pourrais m’octroyer les mérites, et me dire, c’est normal puisque j’ai bossé. En fait, je crois que l’on coopère avec Dieu dans nos vies.