Rencontre avec... le Cardinal Philippe Barbarin
Comment est né ce livre avec Gilles Bernheim, grand Rabbin de la Synagogue de la Victoire, à Paris ?
C’est une idée de Gilles Bernheim. Il souhaitait amorcer un dialogue avec une autorité catholique et il s’est d’abord tourné vers le cardinal Lustiger. Ce dernier l’a renvoyé vers moi, jugeant qu’il était préférable que le débat ait lieu entre deux personnes de la même génération. Nous avions d’ailleurs eu l’occasion de nous rencontrer lors d’un colloque judéo-catholique à New York en 2004. Assis à côté de lui pendant trois jours, j’avais pu apprécier son audace et la finesse de ses jugements. C’est un homme qui, à l’instar du cardinal Lustiger, a toujours envie d’aller de l’avant.
Pourquoi le dialogue avec les juifs est-il si important pour vous ?
Parce que Jésus est juif ! Celui qui néglige ses origines juives n’arrivera jamais à être un vrai disciple de Jésus. Comment comprendre le christianisme si on le coupe de ses racines ? Notre prière quotidienne, comme
celle de Jésus, est nourrie par les psaumes. N’en déplaise à tous ceux qui ont du mal à admettre cette notion d’élection, Dieu a choisi le peuple juif. Pourquoi ? C’est un mystère que nous n’avons pas à résoudre et qui nous échappera toujours.
Où en est ce dialogue aujourd’hui ?
Nous sommes arrivés à ce point dificile où le clivage, comme le disait le cardinal Lustiger, n’est plus entre les juifs et les chrétiens, mais entre les juifs qui croient que Jésus est le Messie et ceux qui ne le croient pas, et les chrétiens qui savent qu’ils doivent approfondir leurs racines juives pour progresser et ceux qui ne s’y intéressent pas.
Arrivé à Lyon il y a 5 ans, vous avez de nombreuses responsabilités. Comment parvenez-vous à rester en lien avec le terrain ?
Il y a certes beaucoup d’obligations, mais je veille à consacrer un grand temps aux contacts directs, avec les jeunes, notamment. C’est très important pour moi de ne pas être un “préfet catholique”, cantonné à un rôle administratif. Tous les vendredis, ceux qui le désirent peuvent venir me trouver à la cathédrale avant la Messe. Il s’agit de vivre cette parole : « Je suis le Bon Pasteur. Je connais mes brebis et mes brebis me connaissent. »
Quelle est la spécificité de votre diocèse ?
C’est un diocèse qui a la particularité de rassembler des populations aussi différentes que celle de la ville, celle des banlieues, et enfin celle de la campagne. J’avais connu la pastorale de la ville et des banlieues lorsque j’étais à Créteil, puis celle des campagnes à Moulins… Là, j’ai les trois réunies !
Face à cette diversité, quelle a été votre priorité ?
Que ce soit à Lyon ou ailleurs, je n’ai qu’une seule priorité : faire couler la source qu’est l’Evangile. Je souhaite que tout le monde ait chez soi une petite table où ne se trouverait que la Bible, comme un appel permanent pour la lire, l’étudier, la prier…
La deuxième chose qui me semble essentielle, c’est d’inviter les gens à « fortifier l’homme intérieur », comme dit saint Paul. Nous vivons dans une société où nous sommes très forts pour l’extérieur, le paraître des vêtements ou du téléphone portable. Parfois, ces facilités extérieures nous ont volé la joie d’être en contact avec Dieu, et nous avons peur de la solitude et du silence. Je souhaite que les gens retrouvent l’envie de se mettre à l’écoute de ce que Dieu a à leur dire.
Concrètement, cela passe par quoi ?
Eh bien, par exemple : je demande aux chrétiens de ne pas venir à la Messe du dimanche sans avoir pris le temps de lire et de prier l’Evangile qui sera proclamé et commenté, de sorte que, lorsque le prêtre parle, chacun soit en dialogue intérieur avec lui.
On entend souvent que l’Eglise de France va mal, que les vocations diminuent… Partagez-vous ce pessimisme ?
Dans l’Eglise de France, des aspects s’effondrent, mais des germes de renouveau jaillissent partout : de nouveaux mouvements, des jeunes qui prennent des initiatives inédites… A Lyon par exemple, lors de la fête des Lumières, cette année, des “missionnaires du 8” ont souhaité que les églises soient ouvertes toute la nuit, les 6, 7 et 8 décembre. Et ils ont donné leurs soirées pour accueillir les foules de touristes qui passaient. Avant il n’y avait que les bistrots d’ouverts…
Vous voyez donc quand même des raisons d’espérer ?
Je suis toujours en colère contre l’expression “quand même” et je la remplace systématiquement par “tout à fait” ! Oui, il y a mille raisons d’espérer ! L’Eglise n’est pas une entreprise. On ne peut pas faire de calcul ni de plan quinquennal, on ne sait pas ce qui va arriver. La seule certitude que nous ayons, c’est que nous devons nous donner pour servir nos frères et annoncer l’Evangile. Et je constate que de nombreux chrétiens vivent cette offrande intérieure. L’Esprit travaille !
Que pensez-vous de la première année de présidence de Nicolas Sarkozy, et de son idée de « laïcité positive » ?
Concernant son idée de “laïcité positive”, qui est aussi une “laïcité de gratitude”, je ne peux que m’en féliciter.
Je trouve beau qu’un président dise merci aux catholiques de France pour tout ce qu’ils apportent. Cela me rappelle ce qu’a dit maintes fois Gérard Collomb, le maire de Lyon : « Quand les juifs, les chrétiens et les musulmans sont profondément croyants, toute la société y gagne car ils servent la paix. » Ces paroles sont plus toniques que de nous entendre dire : « Ne soyez pas trop croyants ; cela risque d’être gênant. » C’est plus exaltant d’être exhortés à la ferveur qu’à la médiocrité !
Y a-t-il des points sur lesquels vous restez vigilant ?
Bien sûr. Nous sommes dans une société qui ne sait plus où elle en est avec l’argent, la répartition des richesses, la différence entre l’homme et la femme, les flux migratoires, la famille... J’attends des politiques qu’ils veillent à ces points essentiels.
Souvent décrit comme “Mgr 100 000 volts”, vous avez dû vous reposer pour des raisons médicales… Comment l’avez-vous vécu ?
Comme une bénédiction ! Jusqu’à présent, les malades, c’étaient les autres : ceux à qui j’allais rendre
visite à l’hôpital. Cela fait du bien
d’être parmi les malades et de voir la compétence et la délicatesse du personnel soignant. Cela me permet de lâcher la bride… et d’apprendre la patience. C’est une expérience humaine, ecclésiale et spirituelle. Je
suis très reconnaissant envers une
paroissienne qui m’a suggéré de recevoir le sacrement des malades. Je n’y avais même pas pensé ! Je l’ai vécu dans la foi, comme un réconfort intérieur que le Christ offre à ses disciples, au jour de l’épreuve.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Quelle image avez-vous de saint Antoine de Padoue ?
Il est à mes yeux ce grand saint inondé de la lumière de saint François d’Assise, qui a terminé sa route à Padoue mais qui mériterait tout aussi bien d’être appelé saint Antoine de Lisbonne.
Etes-vous déjà allé à Padoue ?
J’y suis passé, mais pas dans le cadre d’un pèlerinage comme j’en ai eu l’occasion à plusieurs reprises pour Turin ou Bologne. Je connais bien Lisbonne. La dévotion pour saint Antoine y est très forte. Je pense même que les Portugais ont un peu l’impression qu’on leur a volé leur saint…
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Quand Il me parle, comme un père parle à son fils. L’oraison, ce temps où on fait silence pour se mettre à l’écoute, me permet tout particulièrement d’entendre ce qu’Il a à me dire. A condition que j’y sois réceptif.
Comment priez-vous ?
Je lis l’Evangile. Je reste sur le même verset jusqu’à ce que Dieu m’en donne le fruit. Alors cette parole devient active. Cela peut prendre un jour ou un mois. C’est une véritable Opus Dei, c’est-à-dire le travail de Dieu en nous.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Je pense à trois événements. Mon voyage sur la tombe des moines de Tibhirine : c’était très émouvant de voir des musulmans reconnaître l’œuvre admirable de ces moines et demander à Dieu miséricorde pour leurs assassins. Le dialogue et les dix séances de travail avec le grand Rabbin Bernheim pour écrire notre livre fut un autre moment fort. Enfin, je garde un très bon souvenir de mon premier 15 août à Fourvière.