Rencontre avec... le cardinal Leonardo Sandri
À Rome, le cardinal Leonardo Sandri est à la tête de la Congrégation pour les Églises orientales. Nul n’est mieux placé que lui pour évoquer les persécutions endurées par de plus en plus de chrétiens à travers le monde. Le Messager de Saint Antoine l’a rencontré.
Les chrétiens n’ont jamais été persécutés comme aujourd’hui. En quoi les chrétiens dérangent-ils ?
En eux-mêmes, les chrétiens représentent un message de dialogue et de coopération entre les différentes composantes de la société civile dans laquelle, tout en étant minoritaires, ils ont toujours apporté une touche d’équilibre, de coexistence pacifique et de respect.
Cette persécution est-elle nouvelle ? Pourquoi tant de chrétiens meurent-ils ?
La persécution des chrétiens est un élément qui parcourt toute l’histoire de l’Église, depuis les premiers temps. La véritable force de l’Église primitive, l’Église des premiers siècles, réside d’ailleurs dans le martyre. Au début du 21e siècle, cette persécution n’a parfois pas pris la forme spécifique d’une action à l’encontre des chrétiens, mais nombre d’entre eux ont été les témoins de l’Évangile de Jésus – comme on le voit par exemple en Amérique latine avec la persécution de religieux, de prêtres ou même d’évêques – et ont été tués dans un contexte particulier parce qu’ils étaient engagés dans la lutte pour la dignité de l’homme, pour la liberté, etc. Ce n’est pas tant un contexte de persécution formelle des chrétiens auquel on fait face que la volonté de faire taire des témoins de l’Évangile pour les valeurs humaines et chrétiennes qu’ils défendent.
Tant d’autres tombent aujourd’hui directement en raison de leur religion, victimes des fondamentalistes musulmans...
Il y a en effet un contexte de violence qui n’existait pas auparavant, y compris entre factions de la même communauté ou de la même religion. Des chrétiens se sont retrouvés victimes au milieu de cette guerre violente et terroriste, fruit d’une lutte sur l’interprétation de la foi musulmane, qui n’a pas épargné non plus nombre de nos frères des autres religions. Des chrétiens sont morts, mais aussi des musulmans, dans ce contexte où la personne humaine n’est pas respectée, où sa dignité est violée, où les hommes ne parviennent pas à coexister et se comportent au contraire comme des animaux.
Le Moyen-Orient voit fuir les chrétiens. En quoi sont-ils nécessaires dans cette région ?
La violence entraîne la fuite des chrétiens qui ne peuvent vivre dans ces pays en sécurité et fuient à la recherche d’un travail, d’une meilleure qualité de vie, le plus souvent en Occident. C’est grave parce que, là où ils n’étaient qu’une minorité, ils portaient cependant un équilibre de vie sociale. En Égypte, par exemple, les quelque 10 millions de coptes orthodoxes sont une composante très importante de la société, et les coptes catholiques sont très minoritaires, pas plus de 250 000. Et qu’apportent ces catholiques au pays ? Avec leurs écoles, leurs œuvres sociales, ils offrent une opportunité extraordinaire d’ouverture à de nombreux Égyptiens, sans renoncer à leur propre foi. Ils y ont appris que le dialogue et la coexistence sont possibles, et nombre d’entre eux nous remercient. Avoir un Moyen-Orient sans cette composante, c’est vider la richesse de ces pays, comme lorsque que l’on cuisine un très bon plat, avec de nombreux ingrédients, mais qu’il manque le sel !
À Rome, que faites-vous pour ces chrétiens ?
Nous cherchons à soutenir les Églises orientales, nées il y a de nombreux siècles et revigorées avec le Concile Vatican II, en suivant leur vie autonome avec leurs Synodes et leur droit canonique particulier. Celles-ci existent pour l’unité de l’Église et pour le dialogue, y compris avec les musulmans. N’oublions pas que le dialogue au quotidien, du matin au soir, est l’œuvre de ceux qui vivent sur place. Il en va de même avec nos frères orthodoxes en Europe de l’Est. Nous aidons ces Églises. Nous avons une petite activité d’aide financière pour soutenir leurs séminaires, la formation des prêtres, etc. La Congrégation pour les Églises orientales fait le maximum pour qu’elles soient authentiquement orientales, en union avec l’évêque de Rome, et ouvertes au dialogue et à l’œcuménisme. Nous les aidons à travailler au quotidien. En effet, le dialogue et l’œcuménisme ne se font pas autour d’une table de réunion. Ils le vivent au quotidien, par exemple en croisant au marché un vendeur d’une autre religion ou d’une autre Église ! Par ailleurs, dans la très grave crise humanitaire actuelle en Syrie comme en Irak, nous cherchons à offrir toute le soutien nécessaire afin que les organisations internationales, la Caritas en premier lieu, puissent parvenir à donner un minimum d’aide pour le plus grand nombre. C’est aussi ce que fait le pape François, dans sa dimension plus importante encore et prophétique.
Beaucoup d’entre nous se sentent impuissants face à ce drame... Que pouvons-nous faire ? Comment venir concrètement en aide aux chrétiens ?
Nous, chrétiens, devons mettre à mal la mondialisation de l’indifférence. Nous devons vaincre la froideur de ne rien avoir à faire de nos frères qui souffrent. Cela est possible à travers la prière, à travers la participation à la vie de l’Église et à toutes les initiatives qui existent. Dans le monde francophone, on peut se fier aux associations comme L’Œuvre d’Orient qui est l’un des principaux acteurs dans ce domaine. Non seulement elle fournit de l’aide – par exemple une assistance pour un séminaire en Égypte, une autre pour un religieux en Inde, ou encore un orphelinat – mais elle a une très bonne connaissance des situations particulières, de l’Église locale comme du contexte politique, car elle se rend sur place. Et nous ne pouvons que la remercier pour cela.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
C’était un grand prédicateur dans lequel la simplicité évangélique de saint François d’Assise a trouvé une nouvelle vigueur. Sans oublier que c’est un saint qui semble très puissant pour tout ce que chacun lui demande. Je le sollicite pour certaines causes.
Comment priez-vous ?
L’Église, comme prêtres, nous donne un chemin de prière – la messe, le bréviaire – et puis je fais en sorte de me mettre en contact avec Jésus-Christ dans une prière personnelle devant son tabernacle, gardant avec lui un contact qui n’est pas seulement celui d’un moment mais de toute ma vie.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Probablement lorsqu’il y a des difficultés. Mais je le sens proche presque comme une seconde nature de ma vie, depuis mon entrée au séminaire, mon ordination, etc. Il n’y a pas d’autre paramètre de référence que Dieu lorsque l’on se pose des questions sur soi-même.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
C’est le fait que l’action de Dieu à travers l’Esprit-Saint, en chacun de nous, nous a comblés d’espérance, et cela malgré les choses moches que l’on entend, que l’on voit ou que l’on doit vivre chaque jour.