Rencontre avec... Jean-Marie Petitclerc

16 Octobre 2007 | par

Un prêtre en politique, ce n’est quand même pas banal… Y a-t-il une contradiction ?
Savez-vous que Don Bosco, le fondateur des Salésiens, qui est aussi mon modèle, passait une partie de son temps comme conseiller auprès du Ministre de l’Intérieur du Piémont ? Don Bosco aurait même eu l’idée de fonder la congrégation en sortant d’une réunion avec le Ministre, qui lui aurait dit : « Vous n’êtes pas éternel, il est temps pour vous de préparer l’avenir ! »
Alors non, je ne vois pas de paradoxe. Bien au contraire, je pense que « bâtir la civilisation de l’amour », comme nous y encourage Jean-Paul II, comporte à
la fois une dimension individuelle et nécessite un réel engagement – ce que je fais sur le terrain – mais comprend aussi une dimension collective qui est éminemment politique. Il s’agit pour moi de participer à la construction d’une société plus juste et faire en sorte que nos institutions soient davantage au service des plus faibles.

Avez-vous toutefois hésité avant d’accepter ce poste ?
Bien sûr ! Je me suis demandé si mes Frères allaient comprendre les raisons de ce choix. Je craignais aussi qu’on me soupçonne de céder aux sirènes du pouvoir… Il m’a donc fallu consulter le Provincial, Supérieur de ma congrégation, ainsi que mes équipes du Valdocco (1). Je souhaitais par-dessus tout que les jeunes sachent qu’accepter ce poste ne signifiait pas pour autant que j’entre au gouvernement, mais qu’il s’agissait juste d’un rôle de conseiller, ce qui signifiait que je restais fidèle à mes convictions.
Une fois ces précautions prises, je pouvais difficilement refuser. Madame Boutin m’a contacté immédiatement après avoir appris sa nomination, en me disant : « Je partage votre analyse, accepteriez-vous de rejoindre mon équipe ? » Dire “non” aurait été une dérobade et m’aurait fait perdre en crédibilité. Si deux mois après avoir refusé, j’avais été amené à prendre position sur une décision du gouvernement, il aurait été facile de me rétorquer : « Il fallait venir. »
Ceci dit, je ne voulais pas non plus perdre mon engagement avec les jeunes. Je pense que la force de mon discours est intimement liée à cette articulation avec le terrain. J’ai une devise, empruntée à Bergson, qui résume assez bien cela : « Essayer de penser en homme d’action et d’agir en homme de pensée. » Je vois trop d’éducateurs englués sur le terrain et donc parfois dans l’incapacité de prendre du recul par rapport aux cas particuliers, et à l’inverse, je connais aussi les erreurs que peuvent faire les intellectuels qui ignorent tout du terrain. Seule l’articulation des deux permet de faire avancer les choses. J’ai donc réorganisé mon temps dans ce sens-là, en travaillant trois jours par semaine au ministère.

Au ministère, rangez-vous votre casquette de prêtre pour endosser celle d’expert de la ville ? Ou bien parvenez-vous à garder votre liberté de parole d’homme d’Eglise ?
Quand Christine Boutin est interrogée là-dessus, elle répond : « Ce n’est pas le prêtre que j’ai appelé, mais le connaisseur des banlieues. » C’est donc bien l’éducateur qui l’intéressait. Mais cela ne m’empêche pas de rester fondamentalement prêtre ! Une fois qu’on est ordonné, on l’est pour toute sa vie. Le prêtre, c’est celui qui voit dans le plus faible – l’enfant, la personne handicapée, l’exclu – la personne du Christ. A ce niveau-là, je partage pleinement les convictions de madame Boutin et me sens en totale harmonie avec elle dans son combat contre l’exclusion. J’ai de la chance : j’exerce mon ministère dans un ministère ! Mais cela ne veut pas dire que je vais célébrer la messe dans la chapelle du ministère, ni que je vais faire changer certaines règles de courtoisie : ici, par respect pour mes collaborateurs et pour les invités du Ministre, je préfère qu’on m’appelle “monsieur”.

En quoi consiste votre mission de “coordinateur des acteurs locaux” ?
Le combat contre l’exclusion est l’affaire de tout le monde. Et c’est ensemble que nous devons mener une politique de la ville conséquente. Mon travail consiste donc à faire le lien et à coordonner les acteurs locaux que sont les élus, les associations de terrain, les parents et les enseignants.

Quel est le sens de cette politique de la ville que vous souhaitez mener ?
L’idée forte de la Ministre, à laquelle j’adhère complètement, est de sortir d’une politique des quartiers et de resituer le quartier dans la ville. On a trop longtemps commis l’erreur de maintenir les jeunes dans leurs cités, en les assignant à résidence. Cela a eu pour effet la ghettoïsation de ces quartiers. Ce que je souhaite, c’est développer une plus forte éducation à la mobilité et un apprentissage de la mixité sociale. Ainsi, au lieu de donner des moyens supplémentaires aux collèges des quartiers pour accueillir les jeunes des quartiers, je suis plutôt favorable à donner les moyens aux collèges du centre-ville pour accueillir ces jeunes des cités. Comment construire une société juste sans passer par là ? Sans que ceux qui la composent n’aient pas appris à vivre ensemble ? D’où ces deux axes prioritaires sur lesquels nous travaillons activement : désenclaver le quartier en développant les transports, et assouplir la carte scolaire pour que les jeunes ne soient pas obligés d’étudier dans les quartiers.

Vous êtes devenu prêtre, puis éducateur après avoir fait Polytechnique. Vous avez aujourd’hui un rôle politique. Finalement, quelle est la colonne vertébrale de votre vie ?
Aimer Dieu en aimant les jeunes, et aimer les jeunes en aimant Dieu !
Jean-Paul II disait de Don Bosco qu’il comptait parmi ceux qui avaient le mieux compris le verset évangélique « Celui qui accueille un enfant en mon nom, c’est moi qu’il accueille ». J’en ai eu l’intime conviction le jour où, étudiant à Polytechnique, je suis tombé sur une vie de Don Bosco. Je venais d’avoir un grave accident de sport et n’ai pu marcher pendant 18 mois. Cela m’a donc laissé le temps de relire les Evangiles, et de faire un peu le point sur ma vie. Mes études marchaient bien, je m’intéressais beaucoup à la politique depuis les événements de 68, mais je me rendais compte aussi que j’avais eu beaucoup plus de plaisir à encadrer des camps scouts qu’à faire des exposés pour mes profs. J’en étais là quand j’ai lu la vie de Don Bosco. Ce fut pour moi une révélation qui venait réveiller mon désir d’enfant de devenir prêtre. En m’engageant à sa suite, j’avais enfin trouvé le moyen de faire la synthèse entre ces trois aspirations profondes : devenir prêtre, encadrer les jeunes et faire évoluer la société. Tout un programme ! n

 

1)  Nom de l’association venant en aide aux jeunes des quartiers


QUESTIONNAIRE DE SAINT-ANTOINE


Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Pour moi saint Antoine de Padoue, c’est quelqu’un qui a su allier la réflexion théologique à la proximité fraternelle. Je le vois aussi comme un compagnon de saint François d’Assise. 

Etes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Non, je ne connais pas Padoue, mais j’aime beaucoup l’Italie et la culture méditerranéenne. Je vais d’ailleurs souvent dans le Piémont où se trouvent les attaches de ma congrégation.

Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
En célébrant l’Eucharistie. C’est toujours pour moi un mystère merveilleux de faire mémoire de la mort et de la Résurrection du Christ et de goûter sa présence sous le signe du pain partagé.

Comment priez-vous ?
J’aime la prière du matin où toute la communauté se rassemble pour les Laudes. Dans la journée, je prends également le temps de m’échapper pour quelques minutes d’oraison. Cela me permet de prendre du recul et de ne pas avoir le nez dans le guidon. Le soir, lors de ma prière personnelle, je relis ma journée et demande à Dieu de me faire participer à son regard de bienveillance et de pardon.

Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Je suis toujours très heureux lorsque je pars en bateau avec des jeunes comme je le fais chaque été. Contempler un coucher de soleil avec des jeunes que je connais par ailleurs si agités, et que je découvre là si calmes, est un bonheur indicible.

Updated on 06 Octobre 2016