Rencontre avec Henri Tisot, De Marcel Pagnol à Jésus Christ
Henri Tisot nous reçoit avec l’extrême gentillesse qu’on lui connaît, et jamais il n’est avare de son temps. Né à La Seyne-sur-mer, il fréquente l’école laïque bien qu’élevé, par sa grand-mère très croyante, dans la religion catholique. Il reste d’ailleurs très reconnaissant envers cette école laïque. Le papa, trop tôt disparu, était boulanger et peintre plus qu’à ses heures. Des affiches chez son fiston témoignent de nombreuses expositions. La maman est toujours là, prévenante : « M’man, tu nous fais un café ? » crie Panisse, pardon, Henri.
Celui qu’on a connu imitant (si parfaitement) le Général De Gaulle, vient en effet d’interpréter le rôle de Panisse dans la trilogie de Marcel Pagnol récemment passée à la télévision : Marius, Fanny et César. Un César interprété par Navarro. J’ai nommé Roger Hanin. Et Henri Tisot de s’interroger : « Quand j’ai laissé tomber l’imitation du Général, c’était comme un appel du Christ à étudier les textes. Maintenant, avec ce film… et si ça marche... qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que ce n’est pas là le signe qu’il faut que j’arrête et que je refasse le comédien ? C’est peut-être le Christ qui me fait signe que ça suffit?»
Après La Rencontre (aux Presses de la Renaissance) où déjà il étudiait la Bible « à la lettre », il publie aujourd’hui aux Editions du Cerf, Le rendez-vous d’amour (préfacé par le philosophe protestant Paul Ricoeur), où il va cheminant à travers les Ecritures, sur les traces des lettres hébraïques, judaïques, pour y puiser le sens profond, caché. Un étrange Père Albert lui sert de guide. Ce rendez-vous sera, comme vous le ressentirez à la lecture de ce livre, tantôt celui entre le «Premier Testament» comme dit Henri Tisot (qui se refuse de parler d’Ancien Testament) et le Nouveau, tantôt le rendez-vous entre juifs et chrétiens. En tout cas, un rendez-vous à ne pas manquer au propre comme au figuré.
Evelyne Sellés-Fischer. Vous dites qu’il faut se battre contre l’antisémitisme, que l’antisémitisme n’est pas mort.
Henri Tisot. Oui, l’Eglise catholique se leurre. Jean-Paul II est à la tête de l’Eglise. Mais je ne suis pas sûr que les orteils suivent les traces de la tête… Il faut suivre les traces du Christ qui est juif. Il est venu dans la chair juive, parce qu’il avait vu que les juifs avaient déjà fait la moitié du chemin : ils étaient monothéistes. Il faut donc se poser les vraies questions sur la judéité du Seigneur. Jean-Paul II, le Très Saint Père, a tout résumé en disant qu’ «on ne peut pas être chrétien et antisémite». Un juif est quelqu’un de la race de notre Dieu. «Le salut vient des juifs», disent les Ecritures. Le salut, en hébreu, se dit Jeshua, Jeshua: Jésus. Jésus vient des juifs.
Vous parlez beaucoup de «traces» dans ce livre. Quelle est l’importance des traces?
Depuis trente ans, j’étudie l’hébreu. De Gaulle et Panisse, c’est mon paravent. Derrière, il y a Henri Tisot. Quand je raconte qu’après le Théâtre de Dix Heures (où il imitait le Général), j’allais au Louvre voir le Père Albert, gardien du musée, ce Père Albert est un conglomérat de tous ceux qui m’ont appris toutes sortes de choses. Notre tête est une tirelire où l’on entasse des trésors dont plus tard on fait des livres. Un jour, à la télévision, j’ai vu Paul Ricoeur. Il parlait de traces: «Nous n’avons aucune autre espèce d’accès au passé que des traces. Il faut que quelqu’un les lise, c’est-à-dire retrouve derrière ces traces la mémoire de ceux qui ont laissé des inscriptions. Ils ont essayé de lutter contre l’érosion du temps en préservant ces traces. C’est ça la fidélité fondamentale d’une mémoire qui est l’exactitude». (Paul Ricoeur). D’analogie en analogie, on suit des traces que l’Eglise n’a pas suivies! Comment les bergers ont-ils su que Jésus naîtrait à Bethléem alors qu’il venait de Nazareth? Parce qu’ils ont suivi des traces: ils étudiaient la Torah, les textes.
Donc les chrétiens ne cherchent pas assez? La connaissance est nécessaire à la foi?
Absolument. Les musulmans ne lisent pas non plus leur Coran, ni les juifs leur Torah (souvent, lorsque je vais dans une synagogue, les juifs s’étonnent: «Il sait plus de choses que nous!»)… et les chrétiens ne connaissent pas leurs Evangiles. Dans mon livre, lorsque je parle de foi, le Père Albert demande: «La foi en quoi?» et quand je lui répond : «En Christ», il me dit: «Mais vous ne le connaissez pas!» Jean le Baptiste aussi disait : «Quelqu’un que vous ne connaissez pas…» Les chrétiens, l’Eglise, ne connaissent pas Jésus «lumière du monde», qui est là pour nous faire étudier. Car, comme dit Le Zohar, «chaque mot de la Bible cache un mystère». Regardez la multiplication des pains, je l’explique dans le livre et je ne le fais pas à partir de la symbolique des chiffres et des lettres hébraïques (la guematria). Je m’interroge simplement sur le pourquoi des cinq pains et deux poissons. C’est deux poissons, pas trois poissons. De même pour les 153 poissons de la pêche miraculeuse. De même pour le baptême. L’eau, symboliquement, c’est la spiritualité. Le baptême plonge dans l’eau, donc dans la spiritualité. «Il n’y a d’eau que de Torah», disent les textes anciens. Le symbole nous apparaît tout simple, tout bête parfois. Quand on a cherché et trouvé! Mais quand c’est trop simple, les gens ne croient pas. Si le Christ revenait, on n’y croirait pas!
Votre recherche se fait également à partir du monde des sciences ?
Oui, la théorie des quantas, par exemple. Tous les savants recherchent les traces de notre origine. Aujourd’hui on parle de «traçabilité» à propos de l’alimentation, pour ne pas s’empoisonner physiquement. Pour ne pas s’empoisonner intellectuellement, il faut aussi passer par la «traçabilité». En tout cas, le Christ a pris nos péchés sur Lui et nous sommes des hommes propres. Certes nous péchons chaque jour. Et chaque jour il nous lave de nos péchés.
Il y a également cette trilogie de Pagnol récemment passée à la télévision …
Ce fut aussi un rendez-vous d’amour. C’est amusant, Roger Hanin se présente parfois comme plus chrétien que juif, et moi, comme le chrétien le plus juif du monde après Jésus-Christ (Rire).