Rencontre avec… Frère Roger Marchal
Originaire de Sarrebourg en Lorraine, le frère Roger Marchal, aujourd’hui âgé de 58 ans, est entré chez les Franciscains à 23 ans. Maître des postulants pendant douze ans, puis provincial pendant sept ans, il est nommé en 2009 définiteur général de l’ordre, chargé d’assister le supérieur des Frères Mineurs, où il s’occupe en particulier de la zone de l’Europe centrale et de l’Ouest.
Le pape a pris le nom de François, racontez-nous comment vous avez vécu ce moment historique…
C’est seulement après coup que l’on a réalisé que c’était un pape jésuite, et qu’il avait pris le nom de François, il n’y a qu’un jésuite pour faire cela ! C’était inattendu, on n’a jamais vu ça dans l’histoire de la papauté, et c’est vrai que le fait de prendre le nom de François d’Assise nous a provoqué une grande émotion. Ce nom est en même temps tout un programme. François est en effet celui qui a voulu être proche des plus pauvres, qui a voulu être pauvre lui-même. J’aimerais raconter une anecdote : peu avant le conclave, j’avais lu dans le journal La Croix la présentation des cardinaux, et j’avais été marqué par la figure du cardinal Bergoglio. Il était écrit « ascète proche des pauvres », et je me suis dit, sans toutefois me faire d’illusions, « et si c’était lui ? Il aurait vraiment le profil pour aujourd’hui. » Et magnifiquement, c’est lui qui a été élu.
Que représente pour le monde et pour les chrétiens en particulier cette figure de saint François ?
C’est l’un des saints les plus connus dans l’histoire de l’Église. Jean-Paul II l’a d’ailleurs nommé patron de l’écologie, et c’est une figure qui parle encore aux gens d’aujourd’hui. Pour beaucoup, il est l’ami des animaux, du loup et des oiseaux, et rappelle bien sûr le Cantique des créatures ; pour d’autres, c’est celui qui va choisir la condition de petit et de simple, de mineur en somme, proche des rejetés et des exclus. Les gens voient en nous des disciples de François, avec toutes nos pauvretés et nos faiblesses. Je crois que cette simplicité parle beaucoup aux gens. Quand on évoque François, il y a aussi cette dimension fondamentale qui est la fraternité, et qui est constitutive du mode de vie des franciscains.
Quelles continuités y a-t-il entre l’époque de saint François d’Assise et la nôtre ?
Il y a cette idée fondamentale du « retour à l’Évangile », pour reprendre le titre d’un ouvrage du père Éloi Leclerc. Au XIIIe siècle, François découvre l’Évangile, il le découvre sans glose, il veut le vivre hors des débats intellectuels. Il est d’ailleurs frappant de voir qu’il se plonge dans l’Évangile à chaque fois qu’il a une décision importante à prendre.
Par trois fois il a entendu cette parole : « Va, donne tout ce qui tu as aux pauvres et suis-moi ». François a ainsi donné cette impulsion au XIIIe siècle, avec d’autres comme Dominique, et le mouvement mendiant, vers un Évangile qui soit plus abordable pour les gens, plus en prise directe avec leur vie. Aujourd’hui encore, il s’agit de redécouvrir cet Évangile, en laissant de côté tout ce qui nous encombre pour aller à l’essentiel, c’est-à-dire goûter la parole de Dieu, pour ce qu’elle est.
Dès ses premiers discours, le pape François est beaucoup revenu sur le symbole de la croix. En quoi est-elle centrale dans la pensée franciscaine ?
La croix est très présente dans la vie de François. Bien sûr, si on la regarde en tant que telle, c’est un gibet, un lieu où l’on exécutait les traîtres. Cette fin ignominieuse était réservée aux esclaves à l’époque romaine. Mais cet instrument de supplice devient le symbole de la victoire du Christ sur la mort et de l’amour sur le péché. La croix devient un objet de répulsion si on la détache de l’amour. Quand François reçoit les stigmates sur le mont Alverne, il ne demande pas à souffrir comme le Christ, mais à ressentir tout l’amour que le Christ a eu en lui au moment de donner sa vie pour les hommes, et cela dit tout sur le sens de la croix pour lui. Je pense que nous avons à redécouvrir cette croix comme un passage inévitable, fût-ce par la souffrance et la déréliction, vers la Résurrection.
Peut-on définir l’essence de la vie franciscaine ?
Les choses sont simples : pour François, il y a deux thèmes majeurs, les frères et l’Évangile au service de l’Église. Il écrit dans son testament : « quand le Seigneur m’eut donné des frères, il me révéla que je devais vivre le saint Évangile ». Ce sont les frères qui conduisent à vivre cet Évangile. La fraternité pour nous franciscains est essentielle, nous ne sommes pas des électrons isolés. Vivre la fraternité est véritablement donner sa vie pour ses frères, à la suite du Christ qui nous a lavé les pieds. Il est important de souligner également que cette spiritualité franciscaine n’est pas seulement réservée aux religieux, mais peut être vécue par tous.
Questionnaire de saint Antoine
Quelle image avez-vous de saint Antoine de Padoue ?
Je ne dis pas cela parce que je suis franciscain, mais c’est le saint que je vénère le plus ! Antoine me touche beaucoup car il est à la fois celui qui est proche des petits et en même temps le théologien prédicateur, soucieux d’expliquer l’Évangile. Nous avons aussi la tradition dans nos couvents de partager le « pain de saint Antoine », ce pain que les gens apportent pour les pauvres. Et puis Antoine, c’est aussi la tendresse de celui qui porte dans ses bras le Christ devenu enfant, une image qui me touche beaucoup. Saint Antoine est celui qui reçoit l’humilité de Dieu dans sa vie. Il y a enfin cette image qui le représentait autrefois avec la flamme dans la main, qui symbolise l’ardeur de la parole de Dieu.
Comment priez-vous ?
Il y a d’abord l’oraison personnelle. J’essaie d’y être fidèle tous les jours, au moins une demi-heure le matin, en plus bien sûr des offices que nous disons ensemble dans ma communauté. Ce moment d’oraison fonde ma journée et est un moment essentiel sans lequel je ne pourrais pas vivre avec le Seigneur. Je ne sais pas si je prie bien, mais j’essaie de le faire dans un esprit sincère, en esprit et en vérité comme dit saint François. Il s’agit de comprendre que le Seigneur m’attend déjà avant même d’entrer dans la prière.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Sans doute quand j’exerce la charité. Quand on montre aux autres qu’on les aime, on est en lien direct avec le Seigneur. Cela peut passer par un acte de charité envers un pauvre ou bien par un service rendu à un frère. Je crois que cet amour est vraiment l’expression la plus directe et la plus profonde de Dieu.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux ces derniers mois ?
Il y a deux événements. Le premier est bien sûr l’élection du pape François. Le deuxième événement remonte au mois de février à Nairobi, au Kenya, où je me suis rendu pour assister à un congrès interreligieux. Nous avons rencontré une communauté musulmane très pauvre, vivant dans un bidonville. Les gens là-bas nous ont accueillis à bras ouverts, et pour moi cela a été un grand bonheur de rencontrer ces croyants d’une autre religion, qui cherchent Dieu et essaient de le servir comme ils le peuvent.