Rencontre avec... Frère Benoît Dubigeon
Avec les Capucins et les frères Conventuels, les frères Mineurs Franciscains forment le premier Ordre de la famille Franciscaine. Au-delà de leurs différences, le père Benoît Dubigeon, Ministre de la Province Ouest des Mineurs Franciscains de France, insiste sur leur souci commun de fraternité et d’attention aux plus pauvres.
Vous êtes Ministre de la Province Ouest des Mineurs Franciscains. Pouvez-vous nous préciser en quoi consiste votre mission ?
En tant que Provincial, poste que j’exerce depuis deux ans et demi, j’ai la charge de 135 frères répartis dans 13 communautés situées à l’ouest d’un axe Lille-Béziers. Ma mission est donnée par saint François lui-même : il s’agit d’animer cette Province, de la faire vivre, de l’aider à grandir. Mon travail consiste donc à visiter mes Frères, à les encourager dans leur mission ou à les corriger quand cela est nécessaire.
Qui sont les Mineurs Franciscains ?
Saint François n’a pas voulu créer un Ordre ; il a trouvé des hommes enthousiastes qui l’ont suivi. Cette famille a grandi et a connu des réformes, des séparations, des divisions et des réconciliations. Notre arbre généalogique est très compliqué. Nous, les Mineurs, nous sommes issus de la Réforme de l’Observance (au XVe siècle, retour à la Règle primitive de saint François, à l’origine de la séparation d’avec les Conventuels, ndlr).
Mais ces précisions sont-elles bien nécessaires ? L’essentiel n’est-il pas ce qui nous unit, cette mission de saint François que nous portons tous ensemble avec le même désir d’être proches des gens. Paul VI a dit des Franciscains qu’ils sont les « frères du peuple ». Je crois qu’il a bien résumé notre vocation à tous. Au-delà de nos différences, un Franciscain, c’est un homme contemplatif, missionnaire et fraternel, doté d’une grande attention à ce qui est fragile.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir Franciscain ?
Une vocation, c’est une séduction, une envie très forte d’emboîter ses pas à la suite d’une personne. J’ai ressenti cet attrait pour saint François en lisant sa vie à la lumière de différentes expériences de pauvreté faites quelque temps plus tôt. Il y a d’abord eu la pauvreté des handicapés physiques rencontrés à 18 ans lors d’un stage en Angleterre. Je croyais leur apporter beaucoup, mais ce sont eux qui m’ont donné quelque chose de magnifique. Puis dans le cadre de la coopération, j’ai passé deux ans au Togo où j’ai notamment travaillé à la construction d’un puits et de latrines. Ce sont ces contacts noués avec des personnes de grandes pauvretés qui m’ont donné envie de dire oui à une vie que je n’avais pas prévue. On dit que les pauvres nous évangélisent ! Je l’ai expérimenté. Ils m’ont donné la joie, la simplicité et l’unité qui me manquaient.
Je me suis décidé à devenir franciscain le jour de l’attentat contre le Pape. J’avais 27 ans. Ce choix de vie me donnait la paix. Je crois pouvoir dire que je l’ai toujours.
Quel est le moteur de votre vie de frère ?
L’écoute. J’ai une passion de l’autre et j’ai eu la chance de pouvoir l’exercer à travers mes différentes missions. Je pense notamment à la fondation d’une petite communauté au nord de Saint-Denis (93) et à mon travail de coordination des services sociaux dans le cadre de la réhabilitation de grands ensembles à Clichy-Montfermeil. Ou encore à ma mission de professeur de maths dans trois lycées techniques et professionnels. J’aime le contact des jeunes. Ils me permettent de garder l’esprit ouvert. C’est en les écoutant, en essayant de les comprendre qu’on peut leur donner des repères sans risquer d’être moralisateur.
La vie franciscaine vous semble-t-elle pertinente dans le monde d’aujourd’hui ?
Le fait d’être un homme de prière et d’être constamment relié à sa source, c’est plus que pertinent ! Construire un monde fraternel, partager son salaire, c’est pertinent ! Être missionnaire et ouvrir l’espace de sa tente aux plus pauvres, n’est-ce pas pertinent cela aussi ? C’est cruellement d’actualité à un moment où nous assistons, à travers le traitement réservé aux Roms et aux gens du voyage, à une stigmatisation d’un type de population. À chaque fois que des personnes fragiles souffrent, les Franciscains doivent être à leurs côtés.
Quelle lecture faites-vous des événements de l’été passé autour des Roms ? Que nous disent-ils de notre société ?
Ces événements mettent en exergue le fait que notre société n’a pas confiance. Elle a mis tous ses efforts dans sa technique, dans ses lois et dans ses propres sécurités. Aussi rejette-t-elle tout ce qui ne correspond pas à ses normes. Au lieu d’une société d’intégration, nous sommes dans une société du rejet. Mais l’homme n’est pas normalisable !
Cette crise de la confiance, les chrétiens n’en font pas l’économie non plus. Nous vivons dans un monde très sécularisé, coupé de ses racines. Aujourd’hui Dieu est relégué aux oubliettes. D’où la baisse de vocations que nous connaissons dans l’Église. Ce n’est pas une crise des vocations, cela n’est qu’une illustration de cette crise de la confiance, perceptible à tous les niveaux de la société. Apporter du crédit à la parole donnée, voilà ce qui est difficile pour nous aujourd’hui.
En tant que Provincial, comment vivez-vous cette baisse des vocations à laquelle vous faites allusion ?
Difficilement, bien sûr. Dans notre Province, la pyramide des âges est impressionnante. Nous avons moins de Frères disponibles pour la mission, le vieillissement a un coût… Mais je reste serein par rapport à l’avenir, et nous ne manquons pas de projets. À l’appel de l’évêque de Marseille, nous venons de créer une communauté franciscaine au cœur d’un quartier très populaire. Partout où des Frères permettent à des personnes très différentes de se rencontrer, c’est un signe d’espérance extraordinaire.
Quelles sont les raisons de votre optimisme ?
Le Christ. Et tous les hommes et les femmes qui lui font confiance. Je m’appuie également sur la bonne volonté de tous ceux qui ne le connaissent pas et qui cherchent avec leurs moyens à ne plus marcher sur la tête. Je pense à tout ce qui concerne l’éthique, au commerce équitable... Je suis convaincu que la crise économique va nous obliger à revisiter nos manières de vivre. Et ça, cela me donne de l’espérance !
Questionnaire de saint-antoine
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue ? Quelle image avez-vous de lui ?
Saint Antoine est un frère de saint François d’Assise qui par ses prédications a permis à des personnes de retrouver la foi. C’est autre chose que les objets perdus ! Il a su toucher les cœurs en annonçant l’Évangile.
Êtes-vous déjà allé à Padoue ? Quel souvenir en gardez-vous ?
Non, je ne connais pas Padoue. Il va falloir que je répare cela ! En revanche, je suis allé une quinzaine de fois à Assise. C’est une ville qui respire l’esprit de saint François. On l’imagine aisément arpenter les rues, en troubadour de Dieu.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Dans l’oraison, matin et soir, quand je dépose tous les fardeaux qui pèsent sur mes petites épaules. Je suis alors comme un pauvre qui ne sait pas faire et qui demande au Seigneur de tout faire. Autre moment de proximité avec Dieu : lorsque j’écoute une personne et que je parviens à créer les conditions pour qu’elle puisse se dire en vérité.
Comment priez-vous ?
Mal ! Pour moi, la prière ce n’est pas seulement réserver un temps d’oraison. C’est aussi apprendre à aimer, apprendre à se laisser aimer soi-même et à aimer l’autre avec son histoire, souvent faite de blessures. La plus belle prière, c’est quand je fais l’expérience du pardon.
Qu’est ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Je me réjouis d’avoir aidé un frère qui souffrait psychologiquement à s’en sortir et à retrouver une vie normale.