Rencontre avec... Étienne Pinte

17 Janvier 2012 | par

Né en 1939 en Belgique, ancien maire de Versailles et député UMP des Yvelines, Étienne Pinte est président du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale et membre de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.



La voix des chrétiens est-elle recherchée aujourd’hui ou même écoutée en politique ?


J’ai l’impression que depuis que nous sommes en crise, nos concitoyens sont de plus en plus inquiets et ont besoin d’alimenter leur réflexion tous azimuts, pas seulement dans le monde politique, mais chez des écrivains, des philosophes et aussi des chrétiens. L’expression de « responsable politique chrétien » est accueillie non seulement avec sympathie, mais aussi avec une attente particulière. Cela vient aussi chez nos concitoyens qui ne sont pas chrétiens et qui attendent une réflexion sur la crise, sur l’extrémisme, l’Europe, la mondialisation… Cette parole, ces engagements et convictions sont attendus. En tant que responsable politique chrétien, sur certaines thématiques, je suis sollicité et accueilli.

 

Les chrétiens sont-ils attendus sur certains thèmes ou ont-ils une parole à donner sur toutes les questions de société ?

Ils doivent donner leurs idées et réflexions sur tous les sujets de société. Chaque parlementaire a bien sûr ses domaines de compétence et de responsabilité. En ce qui me concerne, je suis connu sur les thématiques de l’immigration, du logement social ou encore des droits de l’homme. Je fais partie de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale depuis très longtemps.

 

Ne vit-on pas aujourd’hui dans la tentation du repli identitaire à cause de la crise ? Quelle parole les chrétiens peuvent-ils apporter dans ce contexte ?


Je crois que la première chose est d’abord de dire la vérité à nos concitoyens. Le 17 octobre dernier, j’ai envoyé une note à François Fillon, dans le cadre de la discussion du projet de la loi de finances 2012, où commençaient à être intégrés le premier puis le second plan de redressement. Je lui ai dit que nous n’étions pas suffisamment francs avec nos concitoyens. Ils sont beaucoup plus responsables et lucides qu’on ne l’imagine – regardez le taux d’épargne pendant cette crise ! Notre devoir est de leur dire ce qu’est la réalité. Un mois plus tard, ce second plan d’austérité a été annoncé. J’estime qu’aujourd’hui il faut en permanence être transparent et partager avec nos concitoyens la responsabilité des mesures pour faire face à la situation.

On doit considérer les gens comme des citoyens adultes et responsables, c’est-à-dire en partageant leurs inquiétudes. Il faut reprendre la parole de Jean-Paul II, « n’ayez pas peur ! », mais on ne peut la prononcer qu’à condition que les choses soient mises clairement sur la table. À partir de ce moment-là, ils auront la conviction que l’on partage ensemble les difficultés, les solutions que l’on va leur demander de promouvoir et les efforts que nous aurons à assumer ensemble.

 

Comment restaurer la confiance dans le monde politique ?


Je ne vous cache pas que ce n’est pas facile, car il y a un double contexte, celui d’une crise économique et celui d’un monde politique vu avec défiance, comme un univers pollué. C’est le fameux « tous pourris ». Il n’y a pas que la crise qui inquiète les Français. L’enjeu est de redonner confiance, non pas individuellement, mais collectivement, il faut la « retricoter ». C’est un véritable dilemme.

 

La notion de bien commun, telle qu’elle est évoqué dans la doctrine sociale de l’Église, n’est-elle pas devenue une utopie ?


Paradoxalement, il est peut-être moins difficile de recréer le bien commun dans la difficulté, dans l’épreuve. Même si le repli un peu individuel et égoïste face à la crise est une tentation, les responsables politiques doivent tenter de solidariser les solutions pour répondre à ces inquiétudes et ces éventuels replis. J’ai la conviction qu’il ne faut pas laisser les gens s’enfermer dans leur bien commun individuel, mais au contraire le partager de façon solidaire. Ce qui me donne de l’espoir, c’est la grande générosité des gens quand on fait appel à eux pour lutter contre la pauvreté. Dans le monde associatif, le nombre de donateurs est aussi important qu’avant la crise. Il y a donc la conscience de partager ce bien commun et de ne pas rester enfermé en soi.

 

Comment, dans un contexte où la laïcité est parfois un sujet sensible, les valeurs chrétiennes peuvent-elles entrer dans le débat public sans heurter les sensibilités ?

Sur ce point-là, je crois que nous avons bien fait comprendre à nos concitoyens que la laïcité est un rempart qui défend la liberté d’expression et la liberté de culte. Chaque fois que les catholiques expriment leur point de vue, il est attendu. Prenons l’exemple du discours de Grenoble de juillet 2010 contre les Roms et gens du voyage qui a fait réagir l’Église et bien au-delà. Les réactions ont été telles, qu’à aucun moment les paroles de l’Église n’ont été interprétées comme une ingérence dans le pouvoir civil. Ces réactions ont interpellé le pouvoir, puisque le président de la République a reçu le cardinal Vingt-Trois. À certains moments forts de la vie en société, la voix des chrétiens est naturellement acceptée. On peut rappeler la doctrine sociale de l’Église sans que cela choque le moins du monde.

 

Est-ce que le politique n’a pas capitulé face à la sphère économique et financière ?

Il est vrai que certains, à commencer par les extrêmes de gauche comme de droite, disent que les gouvernants sont entre les mains des financiers, des marchés et des agences de notation ; je pense que là aussi ces dérives, où le financier ne correspond plus à une logique économique, font que les opinions publiques et les gouvernants sont mis au pied du mur et doivent réagir. Ils sont sollicités pour reprendre le pouvoir politique.

 

Mais cette crise n’est-elle pas une chance pour que les chrétiens fassent entendre leur voix ?

C’est une chance pour tout le monde. Comme disait Camus, « nous sommes en train de réveiller nos consciences » et la crise en est le vecteur. Sur le plan des valeurs, c’est peut-être une chance que nous soyons en crise, pour qu’il y ait ce sursaut d’éthique dont une société a besoin. Cette crise, conséquence d’un certain nombre de dérives et de dérapages, est une chance pour rebondir et retrouver des valeurs, le sens du bien commun.

 

En pleine campagne électorale, n’est-il pas difficile de garder cette liberté de parole alors que la vie politique se polarise du fait même de cette campagne?

Non, pas du tout. J’ai toujours eu dans ma formation politique l’habitude d’être très libre et indépendant et de faire passer des messages même quand ils n’étaient pas politiquement corrects. L’important est que chaque fois que nous ne sommes plus en phase avec nos valeurs et nos espérances spirituelles, il faut s’exprimer. Ce que je regrette beaucoup, c’est que j’ai pas mal de collègues qui ne disent rien alors qu’ils n’en pensent pas moins, et qui me disent : « C’est bien que tu sois là pour parler en notre nom. » Je leur réponds d’abord que tout le monde ne sait pas que je parle en leur nom, mais que je souhaiterais qu’ils s’expriment également ; j’ai l’impression d’être parfois un peu trop seul. C’est un de mes regrets. Je pense qu’il est important qu’au cœur de cette campagne la conscience et l’éthique soient des valeurs présentes. C’est pourquoi j’ai contribué à un livre sur les chrétiens face à l’extrême droite*. C’est ma contribution au débat politique à la veille des échéances électorales.  

 

*Étienne Pinte, Jacques Turck, Extrême droite. Pourquoi les chrétiens ne peuvent pas se taire, Éd. de l’Atelier, 01/2012

 

Updated on 06 Octobre 2016