Rencontre avec... Denis Biju-Duval
Né en 1959, prêtre du diocèse de Dijon et membre de la communauté de l’Emmanuel, le père Denis Biju-Duval, est depuis 1998 professeur de théologie de l’évangélisation à l’Institut Redemptor Hominis de l’université pontificale du Latran à Rome. spécialisé en théologie pastorale et en doctrine sociale de l’Église, Il a été nommé consulteur au conseil pontifical pour la nouvelle évangélisation.
Pourquoi un synode sur la nouvelle évangélisation?
Ce terme de nouvelle évangélisation vient à l’origine de Jean-Paul II. Dans sa réflexion, la nouvelle évangélisation était liée aux problèmes des pays de tradition chrétienne qui traversaient une crise au niveau de la foi. Jean Paul II a exprimé sa préoccupation en prenant conscience que cette évangélisation n’était pas simplement nouvelle dans le sens où il fallait recommencer ce qui avait été fait dans les siècles passés, mais aussi parce que la situation dans laquelle nous nous trouvons est inédite et implique une réflexion sur « comment évangéliser » aujourd’hui. Benoît XVI continue de se situer dans cette perspective. Dans le titre du prochain synode il y a l’expression « transmission de la foi », et sont concernés justement ces pays qui sont en crise de ce point de vue-là, qui ont du mal à transmettre la foi aux générations suivantes.
Quels sont les principaux obstacles à cette transmission en 2012 ?
Jusqu’à il y a quelques années, beaucoup de l’action de l’Église y compris en termes évangélisateurs et missionnaires dans nos pays fonctionnaient dans ce qu’on peut appeler une « mémoire culturelle chrétienne. » Même les gens qui ne pratiquaient plus avaient quand même baigné dans cette culture chrétienne. Par exemple, jusque dans les années 50, le taux de catéchisation des enfants était de 80 %. Quand on entreprenait des actions de « ré-évangélisation », par exemple à travers les missions paroissiales, tout était pensé en fonction d’un peuple qui gardait globalement des références chrétiennes, dans des contextes où l’église était considérée dans les villages comme le bâtiment communautaire par excellence. À l’époque, quand on sonnait la cloche, tout le village venait à l’église, aujourd’hui, les gens restent devant leur télévision ! La difficulté est donc que des instruments conçus en fonction de ce contexte ne fonctionnent plus aujourd’hui car la mémoire chrétienne s’est considérablement désagrégée. Actuellement, il ne faut donc pas trop présupposer cette connaissance de l’Église, des prêtres, des fêtes chrétiennes, etc… Il est paradoxal dans le cadre d’une nouvelle évangélisation de considérer que les gens ont en fait besoin d’une première évangélisation !
Dans ce contexte de mutations sociales et d’absence de terreau chrétien, n’est pas-ce pas un peu utopique de parler de nouvelle évangélisation ?
Il faut d’abord rappeler que la question de l’évangélisation relève à l’origine du commandement missionnaire de Jésus comme le dit la finale de Matthieu : « Allez et évangélisez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père du Fils et du Saint Esprit». Ce commandement est bien sûr toujours actuel pour l’Église. Il s’agit aussi de ne pas perdre de vue que le premier protagoniste de la mission est bien l’Esprit-Saint. S’il a été capable il y a 2 000 ans d’évangéliser tout un empire, alors en notre temps où l’histoire s’accélère, il ne faut pas craindre non plus d’y aller et compter sur lui, sans négliger que l’Esprit-Saint n’agit pas à coup de baguette magique, mais a besoin de notre discernement, de nos efforts. Il s’agit donc bien de penser cette nouvelle évangélisation en même temps que de la vivre.
L’instrument de travail du prochain synode insiste aussi sur le fait que l’Église doit se renouveler de l’intérieur pour mieux transmettre son message au monde, cette autocritique est-elle nouvelle ?
Si l’on regarde bien, on se rend compte que l’histoire de l’Église est faite d’une succession de crises et de réformes, et ça n’est pas la première fois qu’elle éprouve le besoin de se renouveler en profondeur. Quand on parle de réforme ou même de conversion, c’est inévitable car quand les temps changent, l’Église est appelée à reconfigurer ses actions pastorales. Il est vrai que ce n’est pas toujours facile pour de nombreux prêtres assez âgés, car il s’agit d’une vraie conversion qui est toujours à vivre. Et puis dans cette autocritique perce la question difficile du péché proprement dit. Cela oblige à prendre conscience que c’est aussi ce péché qui blesse l’Église et empêche l’évangélisation du monde.
Dans un récent ouvrage, vous avez remis au goût du jour la notion de « salut des âmes », une notion tombée un peu en désuétude…
L’expression elle-même n’est, il est vrai, plus beaucoup utilisée, car il y a eu une sorte de « désensibilisation » de l’Église et des chrétiens par rapport à cette question-là, qui appartient pourtant à la spiritualité missionnaire de tous les temps. Quand on lit saint Paul, on peut voir que son souci est traversé continuellement par un zèle, une ardeur afin que les hommes soient sauvés. On a un peu perdu de vue que la question du salut a aussi une dimension du drame, des combats, où notre liberté est vraiment mise en jeu. Cela peut faire peur car est posée la question des fins dernières. Mais il est frappant de constater qu’il y a eu ces quarante dernières années un grand silence dans le clergé sur le sujet. On est étonné de voir que Jésus en parle si souvent dans l’Évangile et les prêtres si peu dans leurs homélies. Les pasteurs ont laissé un terrain un peu trop libre et on a vu apparaître toutes sortes de croyances parallèles, réincarnation, spiritisme et autres bizarreries. Il faut rappeler que notre liberté a des enjeux d’éternité et Jésus veut nous inquiéter sur le sujet. N’ayons pas peur pour autant car il s’agit d’une saine inquiétude, habitée par une espérance. Nous ne sommes pas simplement bénéficiaires du salut, mais, en Jésus, protagonistes de ce salut et c’est pour cela qu’il nous donne son Esprit-Saint en particulier. Et à cette inquiétude pour son propre salut s’ajoute celle pour le salut de mon frère. Mon salut porte aussi en lui une dynamique de solidarité. Je ne peux pas être sauvé moi-même sans être aussi habité par l’inquiétude pour le salut de mes frères.
Le questionnaire de saint Antoine
Connaissez-vous saint Antoine et si oui quelle image avez-vous de lui ?
Je ne suis pas un dévot de saint Antoine, même si je dois confesser que comme tous les « chrétiens de base » il m’arrive de l’invoquer en cas de perte d’objets. Il m’est même arrivé de retrouver l’objet perdu le jour de sa fête. Il ne faut pas craindre les formes les plus simples de la dévotion à saint Antoine !
Comment priez-vous ?
En tant que prêtre, il y a tout le soutien de la prière liturgique de l’Église. L’appartenance à la communauté de l’Emmanuel fait que l’on est stimulé à un long temps de prière personnelle, un rythme quotidien de longue rencontre avec le Christ.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
C’est indubitablement dans l’Eucharistie.
Qu’est ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Je dirais les signes que l’on voit régulièrement dans l’Église de reconstruction de l’unité. Que cela concerne nos frères anglicans ou bien les ouvertures en direction des traditionnalistes pour réconcilier ceux qui somme toute aiment l’Église avec ce qu’elle est aujourd’hui, c’est-à-dire la grâce de Vatican II. Chaque mouvement vers l’unité me réjouit profondément.