Rencontre avec... Claudio Scimone
Quand avez-vous découvert votre amour de la musique ?
J’aime la musique depuis que je suis enfant, même si je n’ai jamais été un enfant prodige. Ma famille maternelle était très musicienne. Ils aimaient particulièrement le chef d’orchestre Arturo Toscanini et ma mère rêvait de me voir devenir chef d’orchestre. A vingt ans, j’ai entamé des études de droit à l’université de Padoue. Mais petit à petit, je me suis recentré sur la musique, notamment après ma rencontre avec Dimitris Mitropoulos, un chef d’orchestre, pianiste et compositeur grec. Mitropoulos était aussi un mystique, il avait passé beaucoup de temps dans les monastères du Mont Athos. Lui et d’autres, comme le chef Antonio Ferrara, m’ont encouragé dans ma vocation musicale. Mais mes études de droit n’ont pas été inutiles : en droit, comme en musique, il faut apprendre à interpréter !
Comment vous est venue l’idée de fonder “I Solisti Veneti” ?
Il était difficile de devenir chef d’orchestre à Padoue à cette époque. Dans les années 1950, le conservatoire local ne proposait pas grand-chose. Mais en même temps, on commençait à redécouvrir la grande musique vénitienne des XVIIe et XVIIIe siècles. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Bernardino Molinari avait enregistré pour la première fois les Quatre Saisons de Vivaldi. Il avait modernisé l’œuvre, et fut salué par le monde entier. Vivaldi vivait au cœur de la période baroque. Il jouait dans des églises et des villas, décorées des œuvres de Tiepolo ou du Tintoret, et sa musique était pétillante et vibrante.
Au départ, notre orchestre comprenait 10 instruments de la famille du violon, et nous voulions faire redécouvrir la grande musique vénitienne, un peu oubliée au XIXe.
Nous avons eu beaucoup de succès, notamment auprès des jeunes, dans les années 1970. Nous étions devenus si célèbres que même les grands amateurs austères de musique classique appréciaient nos efforts pour faire apprécier cette musique aux jeunes.
Est-ce que la musique nous rapproche de Dieu ?
Bien sûr. La musique est le message transcendant le plus direct. C’est un langage sans mot, qui communique une forme supérieure de vérité. Dans la tradition catholique, ce message mystique prend corps entouré des plus hautes formes d’expression de l’art sacré et de l’architecture : pensez aux grandes cathédrales et basiliques, comme celle de Padoue…
L’an dernier nous avons joué la Messe Glorieuse de Puccini, à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance, c’est une œuvre très fidèle aux différentes étapes de la messe.
Dans la tradition du bouddhisme zen, qui récuse la possibilité d’atteindre l’infini par la logique verbale, la vérité se transmet de façon non-verbale. C’est très proche de ce que saint Augustin pensait. La musique est une façon occidentale de communiquer la vérité, que chacun ensuite traduit à sa manière.
Vous vous êtes récemment produits en Terre Sainte. Que pouvez-vous nous dire de cette expérience ?
C’était une expérience très intense, qui m’a fait percevoir l’union historique des trois grandes religions monothéistes : le judaïsme, le christianisme et l’islam. Où que vous soyez en Israël, vous voyez ou vous entendez s’exprimer les trois traditions. Des traces de chacune sont visibles partout et cohabitent de manière très intéressante. Bien des gens là-bas ne voient pas pourquoi ces divisions existent. Le désir de paix est très fort.
Nous avons donné un concert à l’église de la Nativité à Bethléem et un autre à Jérusalem. A Bethléem, le maire et quatre représentants de l’Autorité Palestinienne sont venus. A Jérusalem, le maire et deux ministres israéliens. Notre concert s’intitulait Concert pour la Vie et la Paix. C’était une expérience vraiment émouvante, avec des Palestiniens applaudissant un chanteur juif et des Juifs applaudissant un chanteur arabe. Le public nous a fait un accueil extrêmement bienveillant des deux côtés.
Est-ce que la musique est seulement un divertissement ?
La musique peut être éducative. Je parraine un projet baptisé Un instrument pour chaque enfant : les enfants comprennent la musique avant de comprendre les mots. Il est prouvé qu’écouter Mozart ou Vivaldi stimule le développement des fonctions logiques du cerveau de l’enfant.
Au Venezuela, il y a des centres de musique pour les petits enfants, car ils ont remarqué que cela les aide à être plus calmes, plus sociables, et à surmonter les barrières raciales et culturelles. Cela ne veut pas dire, bien sûr, que tous les enfants doivent devenir des musiciens professionnels. Mais toute personne qui a appris à jouer d’un instrument sait combien cela enrichit et renforce l’âme. C’est pourquoi je pense que les états devraient financer l’enseignement de la musique, qui peut améliorer la santé physique et mentale des sociétés.
Mon père était médecin, et il me demandait sans cesse si ce que je faisais était aussi utile que ce qu’il faisait. Je crois que oui car la musique panse les plaies des personnes et des sociétés, elle abat tous types de barrières entre les hommes et unit l’humanité.
QUESTIONNAIRE DE SAINT ANTOINE
Qui est Dieu pour vous ?
Pour moi la religion est intuitive. Dieu est une intuition, et ne peut être définit. « Notre Père qui êtes aux Cieux »… pour moi c’est la plus belle définition que nous ayons de Lui. Je ne crois pas que l’expérience religieuse doive être subordonnée à la logique, c’est quelque chose qu’on doit ressentir. La beauté du message catholique, c’est sa simplicité. Ses vérités fondamentales sont : « Aime ton prochain comme toi-même » et « Pardonne et tu seras pardonné ». C’est une religion de générosité, de charité, et de bonté.
Que voudriez-vous demander à Dieu, pour vous et pour le monde ?
Pour moi, la sérénité et la chance, comme tout le monde. Pour l’humanité, je demanderais la paix universelle. Hélas, depuis notre chute du Paradis, nous vivons dans un monde blessé, et nous ne pouvons goûter à la pleine mesure de la paix.
Vous avez souvent amené les “Solisti Veneti” à la Basilique de Padoue. Que pensez-vous de saint Antoine ?
Pour moi, il est le plus grand saint dans l’histoire de l’Eglise. Il était très instruit et avait le don de se trouver à deux endroits à la fois. Il était un intellectuel mais au sens dynamique, quelqu’un qui essayait d’alléger la souffrance et la pauvreté. J’ai une admiration infinie pour lui, et d’ailleurs il n’y a pas un diocèse dans le monde qui n’ait un lieu ou une statue pour le vénérer.