Rencontre avec... Claude Berruer
Né en 1956, Claude Berruer fait ses études dans l’enseignement public. En 1984, il devient chef d’établissement d’un collège privé de Bourges puis directeur diocésain sept ans plus tard. En avril 2006, la Conférence des évêques de France nomme ce père de trois enfants secrétaire général adjoint chargé de l’éducation au sein de l’enseignement catholique, qui regroupe près de 9 000 établissements en France.
Quels sont les grands chantiers de l’Enseignement catholique en France en cette rentrée ?
J’en nommerai deux liés à l’actualité récente. Nous avons d’abord un nouveau statut que les évêques de France viennent de publier et il convient de prendre le temps de se l’approprier. Nous sommes ainsi au début d’une étape nouvelle pour tous les acteurs de l’Enseignement catholique français, qui nécessite de la pédagogie. Et puis lors de notre convention nationale les 1er et 2 juin derniers, qui a réuni plus de deux mille personnes, plusieurs pistes d’actions ont été dessinées : la lutte contre les inégalités car le système éducatif français n’est plus l’ascenseur social qu’il a été, l’animation de l’Enseignement catholique et la transmission de la mission éducative à nos nouveaux éducateurs, et puis la relecture de nos projets dans un contexte trop souvent marqué par l’urgence et la pression.
Qu’entendez-vous par « urgence et pression » ?
En évoquant l’urgence, je fais référence à l’environnement contemporain : nous sommes dans un monde où tout va très vite, un monde marqué par les nouvelles technologies, où l’épaisseur du temps et la durée sont des notions de plus en plus estompées. La pression vient de la crise économique où les parents sont de plus en plus inquiets pour leurs enfants et les jeunes pour leur avenir. La pression aussi d’un environnement politique avec l’alternance et la loi de refondation de l’école, qui va conduire à reposer sans doute la question des fondamentaux du système éducatif français.
En quoi l’Enseignement catholique fait-il œuvre d’intégration des jeunes dans la société et lutte contre les inégalités ?
C’est avant tout en s’appuyant sur une tradition, notamment celle des congrégations enseignantes, qui au cours de l’histoire se sont ouvertes à différentes formes de précarité, par exemple au service prêté aux orphelins. De nombreux lycées catholiques, en particulier professionnels, sont marqués par cet héritage même s’ils sont de petite taille, ce qui pose des difficultés structurelles. Nous faisons aujourd’hui un véritable travail de re-
déploiement de nos moyens, notamment dans les quartiers les plus difficiles, frappés par le chômage, afin que notre savoir-faire soit mieux situé, au service des familles et des jeunes les plus en difficulté.
Le Ministre de l’éducation nationale rappelle souvent les valeurs de la République, il a même provoqué une polémique en inscrivant dans la loi d’orientation l’enseignement de la « morale laïque ». En quoi les valeurs de l’Enseignement catholique en France sont-elles compatibles avec celles de la République ?
C’est une question que nous allons suivre de près. Il faut attendre de voir quel seront les contenus des programmes de l’enseignement de la morale laïque. Nous ne sommes pas forcément choqués par la question de la laïcité dès l’instant où l’on s’accorde sur la définition de celle-ci. Si la laïcité n’est pas l’exclusion du religieux mais bien la garantie d’un espace où les diverses traditions peuvent dialoguer, cela nous va très bien ! Les valeurs de la République ne nous choquent pas non plus bien sûr, dès l’instant où nous pourrons, avec notre caractère propre, montrer une façon plus chrétienne d’habiter l’égalité, la liberté et la fraternité. Comme nous y autorise la loi qui nous régit, il me semble qu’il est important que nous expliquions comment la tradition chrétienne peut éclairer ces valeurs.
« On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec la religion catholique », disait l’actuel Ministre de l’éducation nationale Vincent Peillon en 2008. Des propos qui ont suscité la polémique. Le climat semble tendu avec votre ministère de tutelle…
Notre analyse est plus nuancée. Vincent Peillon est un universitaire, un chercheur qui a beaucoup travaillé sur les origines du système éducatif laïc et telle ou telle presse a pu parfois sortir de son contexte une analyse de type universitaire plutôt qu’un engagement politique. Il y a, c’est vrai, chez Vincent Peillon, une révérence importante envers la laïcité, mais il y a également une vraie considération de la place que la laïcité doit laisser au religieux. Nos relations sont plutôt bonnes, elles sont régulières et chacun occupe la place qui est la sienne. Même s’il n’y a pas toujours convergence, nous avons le sentiment d’avoir toujours été entendus, et nous restons malgré tout confiants dans la mise en place progressive de la loi d’orientation de l’école, adoptée le 25 juin dernier.
N’y a-t-il pas de tentation « laïciste » en France aujourd’hui ?
Il y a sans doute des intégristes laïcs tout comme il y a des intégristes catholiques, mais à notre sens, cela ne concerne pas le Ministre de l’éducation nationale.
Un récent rapport montrait la frilosité de l’Enseignement catholique en matière de lutte contre l’homophobie à l’école. Y a-t-il un risque de fracture supplémentaire entre l’Enseignement catholique et l’éducation nationale en raison de ces questions sociétales ?
Je ne pense pas. Nous avons dialogué aussi avec l’auteur du rapport, Michel Teychenné. La façon dont il a rapporté nos propos est je crois un peu excessive. Il n’y a pas de frilosité de notre part. Nous considérons que dans la lutte contre les discriminations, celle contre l’homophobie doit naturellement être conduite, dans l’Enseignement catholique comme d’ailleurs dans tout le système éducatif. Nous souhaitons néanmoins ne pas polariser sur cette seule discrimination, même si elle peut avoir des conséquences graves pour un certain nombre d’adolescents. Sans la dévaloriser, nous souhaiterions l’inscrire dans une lutte plus globale contre toute forme de discrimination, qui est aussi liée à la race, à la culture ou la religion. Et nous restons libres des moyens que nous nous donnerons dans ce combat. n
Questionnaire de saint Antoine
Connaissez-vous saint Antoine de Padoue et si oui, quelle image avez-vous de ce saint ?
Je ne le connais pas très bien mais j’ai eu l’occasion de m’approcher de sa spiritualité en rencontrant les moines du monastère franciscain des grottes de saint Antoine à Brive-la-Gaillarde. Mais je ne suis vraiment pas un expert !
Comment priez-vous ?
Je suis plus proche de la spiritualité ignacienne puisque je fais partie d’une communauté de vie chrétienne avec mon épouse depuis une trentaine d’années. Ma prière reste très marquée par le dialogue contemplatif de saint Ignace, la relecture et les exercices spirituels en particulier.
Quand vous sentez-vous le plus proche de Dieu ?
Je ne sais pas s’il y a un « moment » particulier car la spiritualité ignacienne consiste à voir Dieu en toutes choses, mais les périodes de vacances dans la nature me permettent de prendre un peu plus de temps pour la contemplation et la prière.
Qu’est-ce qui vous a rendu le plus heureux cette année ?
Un événement très simple : je suis devenu récemment grand-père, et savoir que la vie se transmet à travers ses enfants est évidemment un bonheur assez extraordinaire.